LES MAITRES NAGEUR SAUVETEUR DES CRS
 
 
Extraits du livre de Robert Pinaud : "Soldats sans Victoire"
 
 
LE DAUPHIN DE NAUJAC

 

 

".....Les M.N.S. effectuèrent des milliers de sauvetages en mer et sur les plans d'eau. Il me parait utile de conter l’un d'entre eux, un des plus spectaculaires et des, plus dramatiques :

L'action va se passer dans le département de la Gironde, à Naujac-sur-Mer, plage avenante de sable fin où officie le M.N.S. Philippe Neble de la C.R.S. de Bordeaux.

Nous sommes le 2 août 1979 au milieu de l'après-midi et le temps est franchement maussade. Les nuages obscurcissent le ciel. Le vent d'ouest souffle fort et la mer est agitée.

Au sommet du mât de signalisation, la flamme orange frémit à l'horizontale et sa drisse claque tout au long de la perche.

La mer commence à se retirer...

Neble est installé sur le siège de son mirador. Il scrute d'abord les ébats de cinq téméraires nageant dans les rouleaux à la sortie d'une baïne. Prés de ces imprudents, se tient Alain Lequet, un sauveteur nautique de l'association départementale de la Sécurité Civile de la Gironde.

Le M.N.S. promène ses jumelles dans lesquelles se fixe l'image d'un promeneur insolite et inconscient, longeant une langue de sable entre la baïne et l'océan. Un peu plus sur la gauche, son regard s'attache soudain à une dizaine de nudistes, filles et garçons, qui traversent la baïne avec de l'eau aux genoux. Ça n'est pas leur nudité qui importe, mais le danger qu'ils courent !

Le drame va se nouer...

Ayant déposé ses jumelles sur son siège, d'un geste souple, Philippe Neble saute en bas de son mirador. Il tire des sons stridents de son sifflet, à la fois pour alerter Lequet et pour capter l'attention des baigneurs en danger.

D'ailleurs, le promeneur vient d'être chassé de la langue de sable par des vagues déferlantes et projeté dans la baïne. Il se débat dans le courant qui l'entraîne inexorablement.

Dans le même temps, les cinq nageurs au milieu des rouleaux et les dix naturistes sont aux prises avec des difficultés, les premiers n'arrivant plus à remonter le courant du jusant, les autres étant déséquilibrés et entraînés par le violent reflux. Au total, seize personnes sont en péril et il n'y a que deux pour leur venir en aide sauveteurs (le gardien Gonzalès, est de repos ce jour-là).

Neble a mis ses palmes. Il se précipite vers le « promeneur », qu'il peut ramener au sec après avoir combattu vigoureusement contre le courant.

Lequet s'est avancé vers les cinq nageurs dans les rouleaux. Il a réussi à en agripper un, le plus faible. De la voix, il encourage les autres. Il faudra une demi-heure à ce brave garçon (brave dans les deux sens du mot) pour regagner, complètement épuisé, le sable longtemps espéré.

Le M.N.S. des C.R.S., une fois son premier sauvetage réalisé, s'est précipité à nouveau dans la mer de plus en plus mauvaise, au secours du groupe de jeunes nudistes. Il se saisit d'une jeune fille qui est dans un état avancé d'épuisement et d'inconscience.

Il a quatre-vingts mètres à faire pour la ramener sur la plage où les estivants, les curieux se sont rassemblés ; l'alerte ayant été donnée, on attend les autres secours. Neble crie à tous ces gens de s'occuper de cette demi-morte, inanimée et glacée, car il doit retourner là-bas où agonisent d'autres nageurs.

Parmi la petite foule, il y a deux hommes de cœur qui se jettent à l'eau pour tenter d'amener, jusqu'aux nageurs en péril, le filin de sécurité des M.N.S. à l'aide duquel on pourra hisser les naufragés ayant réussi à s'en saisir. L'un échoue et réussit à regagner la berge. Son compagnon est englouti par les vagues.

Neble a ramené jusqu'au rivage une seconde jeune fille tout à fait inerte. Il ressent une profonde fatigue. A bout de souffle, plié en deux, il tente un instant de récupérer des forces.

Le sacrifice du courageux sauveteur disparu, un père de trois enfants, Jean Martinez, orginaire de Pian-Médoc, dont on retrouvera le corps quelques heures plus tard, ne sera pas inutile, car des naufragés ont réussi à prendre le filin. L'un d'eux, complètement épuisé et ne pouvant l'appréhender, l'a enroulé autour de sa cheville. A l'autre extrémité, le M.N.S. et des volontaires ahanent en disputant péniblement la lourde charge humaine à la mer. Finalement, ils ont la joie de ramener quatre jeunes hommes, quatre Allemands, dont celui qui s'est lié par la cheville. Mais, hélas, celui-là est mort, malgré la longue tentative de ranimation d'un autre M.N.S. des C.R.S., le gardien Sarthe, accouru de la plage voisine de Grayan.

Dans la tête de Neble, les comptes s'embrouillent un peu : dix plus un, plus cinq, égale seize, plus un, encore : dix-sept. Lequet en a sauvé un, lui trois. Quatre sont revenus par le filin. Il reste donc neuf disparus. Combien ont pu se sortir eux-mêmes de cet enfer? Il n'en sait plus rien...

C'est alors que se pointe dans le ciel l'hélicoptère de la Sécurité Civile (Les C.R.S. ont détaché plus de quarante pilotes d'hélicop­tères et plus de trente mécaniciens à la Protection Civile (devenue la Sécurité Civile).), qui atterrit, tout près, sur la plage.

Philippe Neble bondit dans l'appareil, qui s'élève dans les airs et va faire un point fixe au-delà des rouleaux, à cent cinquante mètres du rivage. Les spectateurs effarés voient le M.N.S. plonger dans les flots, bientôt suivi d'un autre secouriste, Daniel Crouzet, embarqué à bord de l’  « alouette ».

Crouzet a pris un des nageurs évanouis sous un bras et il souque vigoureusement de son bras libre vers la rive, longue, péniblement longue à atteindre.

Neble s'est à nouveau emparé d'une jeune fille sans connaissance. Mais il n'a plus la force de nager avec son fardeau. Il demande l'aide du treuil que le pilote lui déroule. Le M.N.S. sangle la victime et s'accroche lui-même au câble. Là-haut, le pilote a remonté le filin de quelques mètres et mis cap sur la plage.

Durant cette opération, un autre sauveteur bénévole s'est précipité à son tour pour porter secours à deux personnes que l'on voit se débattre à l'extrémité de la baïne. Bientôt, tous les trois vont se trouver dans la même situation. Mais Neble est déjà reparti dans l'hélicoptère, pendant que, sur le sable, son collègue Barthe ranime tous ceux qui n'ont pas encore donné signe de vie.

Au-delà des vagues déferlantes et tout près des naufragés, Philippe plonge une nouvelle fois depuis l'appareil, dont le treuil dévide à nouveau son filin. Il y attache une femme inanimée, que le pilote récupère dans sa cabine, avant de redonner du fil au M.N.S.

Celui-ci, de plus en plus épuisé, en a bien besoin. Il a récupéré une autre femme et le sauveteur bénévole, qu'il ancre solidement au filin. L'hélicoptère part faire une nouvelle navette vers la plage, où Barthe s'active (1).

Lorsque l'appareil revient au-dessus de Neble, celui-ci retient le dernier naufragé, déjà cyanosé. Avec l'énergie du désespoir, le M.N.S. saisit à nouveau le câble dans lequel il s'enroule avec son compagnon...

Sur le sable, Philippe Neble, maître-nageur-sauve­teur des compagnies républicaines de sécurité, s'écroule, épuisé. Il a de l'eau dans un poumon. Mentalement, il compte encore : il lui manque cinq victimes. Mais, pour lui, c'est fini, à plat sur le dos, bras et jambes écartés, en regardant le ciel où courent des nuages de plus en plus gris, il sait, qu'il ne peut plus repartir...

(1) Le M.N.S. Barthe ranimera sept personnes qui seront évacuées sur l'hôpital. Par contre, il ne réussira pas à insuffler la vie au jeune Allemand qui avait enroulé le cable autour de sa cheville......"