ATTENTAT  D'ORLY
 
20 mai 1978
 
Extrait du livre de Robert Pinaud "Soldats sans victoires" édition (Garancière)
 
 

« C'est à nouveau à l'aéroport d'Orly-Sud que le terrorisme va frapper le 20 mai 1978.

Un groupe de compagnies républicaines de sécurité, sous l'autorité du commandant Peucelle, chef de la C.R.S. de Dijon, renforce les services de la police de l'air et des frontières (Il y a notamment les C.R.S. 40 de Dijon (commandant Peucelle) et 31 de Rouen (commandant Hirel)).

Ses personnels sont affectés, d'une part à la fouille des bagages, d'autre part à la police générale et à la sécurité. Ils ont également pour mission de couvrir toutes les opérations de départ et d'arrivée de la compagnie israélienne " El-Al ".

Au cours de l'après-midi, il y a précisément une arrivée et un départ en provenance et à destination d'Israël, l'appareil faisant le plein et repartant aussitôt. Une équipe de six gardiens, sous les ordres du brigadier-chef Jean, de la C.R.S. de Rouen, protège l'appareil venant d'atterrir et accompagne les passagers jusqu'à la salle d'accueil «  arrivée ».

Cette première mission accomplie, Jean laisse trois hommes à la garde de l'avion et s'achemine avec les autres vers la salle 30, au premier étage de l'aérogare d'Orly-Sud pour prendre en charge les passagers en partance pour Tel-Aviv.

Salle 30, des collègues sont déjà là pour palper, fouiller et « couvrir »  la centaine de voyageurs présents. Le brigadier-chef Thibert de la C.R.S. de Dijon est responsable des opérations. Il a près de lui, attentif à tout ce qui se passe, le gardien Primauguet de sa section.

Dans le même temps, trois hommes, munis d'un billet d'avion pour Tunis, arrivent, au premier étage de l'aérogare sud, se présentent à la frontière (Il s'agit d'une frontière théorique constituée par un guichet de contrôle) qu'ils franchissent sans difficulté particulière (Ils sont munis de faux passeports, la suite le prouvera, mais qui paraissent, bien entendu, aussi authentiques que les vrais) et se dirigent le plus simplement du monde vers la salle où les passagers d'El-Al se préparent aux opérations d'embarquement.

Les trois hommes, un Libanais et deux Tunisiens, assez typés, sont remarqués par un agent de sécurité israélien et par les fonctionnaires des C.R.S. Les bons sentiments antiracistes dans la rue sont une chose, les menaces du terrorisme international dans un aéroport en sont une autre...

Toujours est-il que cet échange de regards circonspects et interrogateurs va précipiter l'action, d'autant que la demi-équipe de Jean approche visiblement de la salle 30.

En effet, avec une lenteur calculée, les trois terroristes s'écartent les uns des autres, fouillent en même temps dans leur sac de voyage respectif, et brusquement en sortent chacun un pistolet mitrailleur !... Prestement, ils arment la culasse mobile et ouvrent immédiatement le feu sur les agents des C.R.S.

Le premier atteint est le brigadier-chef Jean au moment où il entre salle 30. Atteint de plein fouet par la rafale, René Jean s'écroule, mort.

Spontanément, les " C.R.S. " ripostent avec leur pistolet individuel, évitant l'usage des pistolets mitrailleurs, dont la patrouille est dotée pour ne pas risquer d'atteindre les passagers.

La fusillade est intense. Thibert est, à son tour, atteint aux jambes, à l'abdomen, au thorax et à l'épaule par une rafale de huit balles. Deux gardiens sont également blessés.

Parmi les passagers épouvantés qui vivent d'interminables minutes, c'est la confusion...... Trois d'entre eux sont touchés... Les détonations et les cris emplissent la salle d'embarquement. Tout le monde s'est jeté à terre. C'est la panique...!

La riposte est vive...

Deux des agresseurs sont tués. Le troisième s'est replié vers les cabines de fouilles d'où il expédie de brèves rafales...

Cette atroce fusillade à courte distance a son héros, le gardien Primauguet de la C.R.S. de Dijon. Ce jeune policier, après avoir vidé le chargeur de son propre pistolet, a récupéré l'arme du chef Thibert, qui n'avait pu tirer que deux cartouches. Puis, ayant épuisé ce reliquat, il bondit sur la mitraillette d'un des terroristes abattus et, avec cette troisième arme, contribue avec un inspecteur de la PA.F., accouru à son tour, à éliminer le dernier tueur.

L'alerte a été bien sûr donnée dès les premiers coups de feu. Toutes les unités du secteur répondent immédiatement, mais la plus prompte est la C.R.S. 3 du commandant Fons, dont deux sections arrivent à Orly, au moment du drame.

Au lieu de se rendre à l'isba (Pavillon d'accueil des chefs d'Etat.), où elle doit accomplir un service en l'honneur du président de la République tchadienne, cette demi-compagnie fonce sur Orly-Sud et la salle 30, d'où provient le bruit de la fusillade.

Au moment précis où le renfort s'engouffre dans la salle, le chef Thibert est allongé sur le dos, grièvement blessé, mais vivant et conscient. Deux des terroristes sont morts. Leurs sacs contiennent des grenades et des explosifs.

Une ambulance amène Raymond Thibert vers l'hôpital de Villejuif.

Lorsqu'on découvre le cadavre du dernier terroriste abattu, on se rend compte, sans surprise, qu'il est aussi porteur de grenades...

Ainsi une catastrophe comparable à celle de l'aéroport de Lod a été évitée.

Il paraît évident aux enquêteurs que, dans un premier temps, le plan du commando était de neutraliser les agents présents dont deux seulement avaient les mains libres, Thibert et Primauguet, les autres étant affairés aux opérations de sécurité.

C'est l'arrivée du groupe de protection du chef Jean qui a contrarié leur projet : au lieu de deux policiers à éliminer, il s'en trouvait brusquement cinq, plus l'agent de sécurité d'El-Al, qui n'est pas resté tout à fait passif. Malgré la puissance de feu de ses armes automatiques, le commando n'avait plus d'autre ressource, avec des adversaires aussi déterminés, que de faire face à la riposte, sans pouvoir atteindre l'objectif qu'il s'était initialement fixé.

La suite est des plus classiques. Je suis personnellement sur les lieux avec Peucelle, au moment même où la brigade des gaz investit les toilettes, où, si l'on en croit la rumeur, d'autres terroristes se sont retirés, ce qui me donne l'occasion d'apprécier l'approche et le travail remarquable des hommes de la brigade.

« Le meilleur des rapports ne traduira jamais l'intense panique des voyageurs ! » me souffle le commandant.

Puis les cadavres sont enlevés. La télévision, les radios sont là. On interviewe « à tours de micros » (sauf les principaux intéressés), et pour ajouter quelques images choc, les caméras s'attardent sur des

Éléments du G.I.G.N (1), qui viennent d'arriver sur les lieux.

Il y a bien longtemps que Primauguet et ses camarades ont regagné leur cantonnement. Quant à la 3, elle fait route vers Quincy-sous-Sénart, après avoir rendu, comme elle le devait, les honneurs au président du Tchad.

Les obsèques de Paul Jean, le 24 mai, sont particulièrement émouvantes. Elles se déroulent dans la cour du ministère de l'Intérieur devant un public recueilli. Des monceaux de fleurs sont arrivés d'un peu partout et, notamment, de nombreuses organisations juives de Paris.

Christian Bonnet apporte le réconfort de ses condoléances à la veuve et aux deux orphelins :

               Soyez courageuse ! dit-il à l'épouse du brigadier-chef promu officier à titre posthume.

               Une femme de C.R.S. est toujours courageuse, lui répond simplement Mme Jean.

Par cette phrase assez anodine, elle mettait en exergue le rôle de ses semblables dont le mari sert dans les compagnies républicaines de sécurité. Il en faut du courage à ces épouses pour supporter les départs fréquents, les séparations, l'angoisse des journées d'émeutes ou celle, plus récente, du terrorisme aveugle. Que leur mérite est grand puisqu'il leur faut aussi assumer, seules, bien des problèmes familiaux au rang desquels l'éducation des enfants n'est pas le moindre...

Dans l'après-midi du même jour, j'accompagne le ministre et le directeur général à l'hôpital Paul Brousse à Villejuif, où nous allons rendre visite à Raymond Thibert.

Nous trouvons le grand blessé en relative bonne forme. Il est ému...

Le lendemain, nouvelle atroce : une embolie pulmonaire l'a emporté.

Trois jours après, de nouvelles obsèques ont lieu…. »