Commandant Brenot

 

Extraits d'un document réalisé par Bruno Le Marcis à partir d’un fonds d’archives personnelles

 
 

        La fin de son service militaire   

 
          Au cours de la décennie suivante, le Capitaine Brenot, les périodes effectuées dans la réserve lui ont permis d’avancer en grade, rejoint l’armée d’active. En 1937, il signe un premier contrat de deux ans, renouvelé en août 1939. Immédiatement inscrit au tableau d’avancement, il est promu Commandant.
 

" La débâcle sous les bombes "

 

Le 9 juin au matin, les hommes du Bataillon de l’Air 116 sont évacués vers Oloron-Sainte-Marie sur ordre de son Commandant, le Colonel Plousey. Les péripéties ne manquent pas : le ravitaillement fait défaut, l’essence est comptée, les pannes mécaniques se multiplient, plusieurs véhicules doivent être abandonnés.

 

" Enfin, Oloron "

 

          Le B.A. 116 atteint les Pyrénées, via Chartres (27), Méhers (41), Argenton-sur-Creuse (36), Aubazine (19), Sainte-Livrade-sur-Lot (47) et Saint-Justin (32).

À Chémery, Marcel Brenot confie à son fils aîné, qui vient de fêter ses 18 ans mais n’a pas encore décroché son permis de conduire, une mission de confiance : le rejoindre au plus vite au volant de la Renault Vivaquatre familiale (surnommée Adélaïde eu égard, sans doute, à son profil assez peu sportif). Un ami l’accompagne.

Le voyage tourne à l’épopée des J3. La jonction se fait le 17 juin à Argenton-sur-Creuse où le B.A. 116 stationne. Le 19 juin la route est bloquée par un intense bombardement de l’aviation italienne.

Le lendemain, le convoi s’ébranle de nouveau, les jeunes suivent à distance. À Eguzon (36), les chasseurs italiens reviennent. Cette fois, leur cible est une centrale électrique. Ils font mouche à trois reprises. La Vivaquatre, désormais assurée d’un ravitaillement en essence lui permettant d’atteindre les Pyrénées sans encombre, prend le chemin des écoliers et met le cap sur Cahors (46) pour y déposer des soldats orphelins de leur formation pris au bord de la route.

Dix-sept jours après son départ, le 25 juin au soir, le convoi fait son entrée à Oloron-Sainte-Marie sous une pluie battante. Les officiers du B.A. 116 s’installent dans le provisoire, en attente d’un ordre de marche vers une nouvelle affectation. Première nécessité, le mess des officiers investit une vieille maison à colombages, près du pont Sainte-Marie, en surplomb du gave d’Aspe. Le Commandant en second qu’est Marcel Brenot installe ses pénates dans une vaste propriété appartenant à la famille Bordeu.

Le fils, arrivé à bon port, est prestement dirigé avec quelques jeunes gens du cru vers le Lycée de Pau — il n’y a pas de guerre qui vaille l’abandon des études ! —, où il peut s’inscrire de justesse à la session du baccalauréat organisée le 12 juillet. Brillant, il rejoindra la corniche Turenne à Toulouse, parachèvera sa formation à l’École militaire de la Garde (Au sein de l’école militaire de la Garde, que commande le Général Perré, en mai 1944. Il entre à St Cyr le 3 janvier 1945.), à Cusset (03), et effectuera un bref séjour au S.T.O. Au sein de la Division d’Auvergne, il participera ensuite à tous les combats qui précéderont la Libération, dans l’Armée de Lattre. Il se distinguera, du côté de Belfort.

 

" Continuer à servir "

 

Le courrier reprend petit à petit. Désormais, la liaison est rétablie avec le Loir-et-Cher. Mi-juillet 1940, Marcel Brenot écrit brièvement à son épouse : « Nous devons partir sous 15 j. 3 sem. en direction de Marseille. Je ne peux rien te dire de plus. » Il précise: « Je suis Commandant de Place, quelque chose comme le Préfet de police de la localité (…). »

Le 14 juillet à Oloron, le B.A. 116 au grand complet défile au Square des Poilus (aujourd’hui place De Gaulle), au pied du monument aux morts de la Grande Guerre 14-18, une imposante colonne en granit de Bretagne située face à la Poste. Le ban et l’arrière-ban sont au garde-à-vous. Le Sous-Préfet et le député, maire d’Oloron, Jean Mendiondou, sont présents. Lors de la cérémonie des couleurs, le Colonel Plousey fait don à la ville du pavillon du B.A. 116 « (…) crasseux des fumées des incendies allumés par le bombardement (…) pour qu’il flotte toujours en haut de ce mât. » Au  Commandant Brenot revient l’honneur d’épingler en son centre l’insigne du  bataillon.

Une douzaine de jours plus tard, le B.A. 116 plie bagage vers d’autres horizons. Un convoi de véhicules (camions-citernes, camions bâchés et Citroën C3) servis par une dizaine d’officiers de l’Armée de l’Air prend la route fin juillet. Le 26, les derniers hommes en charge de l’entrepôt 303 du B.A. 116 rallient Lyon en train.

Le 29 juillet 1940, un courrier du Secrétariat d’État à l’Aviation fait savoir au Général commandant la 38e Région Aérienne à Pau, que « le Commandant de Réserve BRENOT du Bataillon de l’Air 116 est autorisé, sur sa demande, à continuer à servir en situation d’activité, jusqu’à l’expiration de son contrat en cours (1er août 1941). »

Problèmes budgétaires ? Marcel Brenot n’ira pas jusqu’à ce terme. Vichy le radie du corps du contrôle auquel il appartient.

Le 1er septembre 1940, il bénéficie d’une permission d’un mois pour se rendre à Saint-Julien-de-Chédon (41) avec sa voiture personnelle. Ce déplacement est-il en lien avec la nomination imminente de Marcel Brenot à Gurs ? Sa permission l’autorise à se rendre également à Saint-Aignan, point de passage contrôlé de la ligne de démarcation. La mémoire familiale rapporte que son épouse et ses deux filles jumelles ont passé la ligne, camouflées dans le camion d’un fabricant de chaussures, habitué des routes de la région qu’il arpente pour approvisionner magasins et marchés. Les Allemands, habitués à ses allées et venues, ne contrôlent plus le camion depuis longtemps.

 

Il devient Fonctionnaire  -  Chef du 182e G.T.E. à Gurs et du 526e à Izeste (1940-1943)

 

Le Commandant Alcide, Pierre, Marcel Brenot est affecté au 182e Groupe de Travailleurs Etrangers (GTE), comme Chef de groupe, le 9 novembre 1940, en remplacement de M. Hubert Cosse. L’avis de nomination et le courrier qui l’accompagne sont signés par René Belin, Secrétaire d’État à la Production industrielle et au Travail.

Tout porte à penser que Marcel Brenot a choisi l’opportunité de cette permission pour aller attendre les siens de l’autre côté du Cher, sur la rive gauche, et les ramener avec lui. Le 2 octobre 1940, il est démobilisé à Pau. Un mois après, finie la carrière militaire, le 9 novembre, il devient simple fonctionnaire.

( Pour en savoir plus sur le compagnie de travailleurs étrangers CTE et GTE )

"Spécialiste du bois"

À la tête, à ce jour, du 182e G.T.E., il déploie tous ses efforts pour gérer les travailleurs étrangers — pour la plupart des Républicains espagnols, qu’il place, par des contrats de travail, dans les usines et les entreprises de lagion.

Beaucoup d’entre eux sont employés aux travaux forestiers. Un domaine que connaît bien Marcel Brenot. C’est un spécialiste du bois : les essences n’ont pas de secret pour lui. Il sait d’un coup d’œil sûr cuber un fût jusqu’au houppier lorsqu’il n’a pas avec lui son grand compas de forestier en chêne.

Pénurie d’essence oblige, camions et automobiles sont équipés de gazogènes qu’il faut alimenter en charbon de bois. Le travail ne manque donc pas dans le secteur : abattage, coupe, carbonisation et débardage des grumes de bois nobles vers les scieries et les industries de transformation de la région.(Par exemple, l’entreprise Lombardi-Morello à Arudy).

La gestion des travailleurs étrangers n’est pas toujours de tout repos. Il faut savoir canaliser quelques personnalités trop marquées, voire les écarter pour préserver coûte que coûte le moral des troupes, garant d’un bon entrain… et de la productivité qu’en attendent les employeurs.

Tous les groupes de T.E. ne se ressemblent pas, tant s’en faut. Et certains « petits chefs », sans doute moins imprégnés de la droiture militaire qui guide encore Marcel Brenot, peuvent se montrer injustes et brutaux : tout ce qu’il exècre.

Autour du camp de Gurs se développe sporadiquement un marché aussi noir que parallèle, alimenté par des travailleurs en quête d’un pécule, condition sine qua non pour espérer pouvoir se faire la belle. Gare aux vrais voyous qui abusent de la situation ! À Pau, le tribunal, auquel le Préfet réclame « des mesures très sévères », tourne à plein régime.

 

" Un tempérament d’animateur "

 

La relative liberté de mouvement dont jouissent, hors le camp, les hommes  du 182e  G.T.E. susciterait-elle des jalousies ? Marcel Brenot prend soin de recueillir, des témoignages d’employeurs — parfois très flatteurs (trop ?) — attestant des qualités morales de ses travailleurs placés et, au passage, de son efficacité personnelle. Un peu de publicité sur son œuvre de remise en ordre du 182e G.T.E. ne peut nuire à l’ego.

Parmi les travailleurs espagnols, quelques « meneurs » ont pu tenter de déstabiliser le groupe en incitant leurs compatriotes à lever le pied. Une forme de résistance passive face à des employeurs rudes à la tâche, notamment dans le monde agricole, et parfois âpres au gain. Peu enclins, quoi qu’il en soit, à respecter les sacro-saintes brisures pour cause de sieste, comme on a l’habitude de les pratiquer « tras los montes », lorsque s’installe le cagnard.

Marcel Brenot y met bon ordre en réorganisant le groupe, comme il sait le faire : sur le mode militaire.

Le précédent « patron » de Marcel Brenot, le Colonel Plousey, le porte en très haute estime. Le 25 mai 1940, il note, prémonitoire : « Officier remarquable par l’ensemble de ses qualités. Témoigne d’un allant exceptionnel. Brillante activité tant physique qu’intellectuel (sic). Caractère ardent. Très apte à exercer le commandement d’un bataillon dont il saura faire en peu de temps, grâce à son tempérament d’animateur, une unité d’élite »

Acte I, redonner de la tenue aux hommes en organisant autant que faire se peut un semblant d’hétérogénéité dans les tenues. Chemises avec poches à rabat, culottes de cavalerie et bérets pour l’encadrement ;  des ponchos taillés dans des couvertures font office de cache-misère pour le reste de la troupe.

 

" L’emblème, le fanion et l’hymne "

 

            Le 182e G.T.E. a incorporé, depuis leur arrivée au camp de Gurs en 1940, un certain nombre d’Allemands expulsés du Pays de Bade pour cause d’antinazisme notoire, juifs pour la plupart. Dans leurs rangs de ces désormais apatrides dont certains réussiront à émigrer, principalement aux États-Unis, figurent de nombreux intellectuels, écrivains, acteurs, musiciens, peintres, dessinateurs, plasticiens… des sportifs aussi. Une équipe de football — maillot bleu (?), short blanc et chaussettes à bandes blanches — se produit au stade d’Oloron.

            Un « Club artistique » du 182e G.T.E. voit le jour à Gurs, puissant dérivatif à la désespérance qui hante les autres interné(e)s, consignés dans des baraquements sommaires que les rudesses des deux hivers précédents ont déjà bien mis à mal. Le 13 mai 1941, un diplôme de Président d’honneur est décerné à Marcel Brenot. Lui même dessine, plutôt bien, à ses heures perdues. Pour le moment, elles sont rares.

 En « mécène » intéressé, il commande aux artistes la création d’un insigne et d’un pavillon pour le G.T.E.. L’histoire n’a pas retenu le nom des graphistes, qui ont choisi l’edelweiss pour emblème — les béarnais l’appellent « imortèla » — sur fond bleu-blanc-rouge, ni celui de l’inventeur du fanion, qui — clin d’œil ( Le camp héberge des aviateurs et des mécaniciens espagnols), demande expresse, ou flagornerie assumée ? — a choisi l’insigne de l’Armée de lAir qu’arbore Marcel Brenot sur un portrait réalisé par un autre artiste espagnol, Andrés Tejedén.

                             

Aux musiciens, Marcel Brenot commande aussi l’écriture d’un hymne bien martial, une marche, paroles et partition pour voix et piano, que l’orchestre du camp pourra exécuter.

Les musiciens signent leur œuvre, La marche du 182e, à la Noël 1941. Elle reprend en titre et en couplet la devise du Groupe, que n’aurait pas reniée Baden Powell : « Toujours prêt ! ». Le parolier allemand, Hans-Julius Schwab, signe un envoi lyrique : « Je dédie cette chanson au Commandant Brenot du 182e G.T.E. au Camp de Gurs, mon chef militaire, et à son groupe, en signe de ma reconnaissance la plus sentie de notre situation préférée et élevée, et en signe de ma fierté d’appartenir à un groupe qui est « Toujours Prêt » à tout ce qu’il y a de bon et d’utile. »

(L'Oeuvre musicale est signée par Hans-Julius Schwab, pharmacien, infirmier du 182e G.T.E., pour les paroles, et par Hans Ebbecke pour la musique. Dans son ouvrage « De la paix aux résistances: Les protestants en France (1930-1945) », Patrick Cabanel mentionne ce dernier comme un spécialiste de Bach. Ancien organiste de la cathédrale de Strasbourg, ce chef dorchestre, qui dirige le quatuor du camp de Gurs, a suivi son épouse cantatrice juive allemande en interné volontaire.).

Bon et utile… Le 182e G.T.E. est l’objet de toutes les attentions de l’Organisation Todt. Le 30 juillet 1941, deux sergents recruteurs enrôlent 248 hommes, dont 141 membres du Groupe. Le 3 août, la gendarmerie les escorte jusqu’au Groupement Régional n° 2 de Toulouse (4 rue de Belfort), dont dépendent les 27 G.T.E. du Sud, quelque 13.000 hommes, pour être remis aux Allemand

 

" L’appel du 526e G.T.E."

 

En ce Noël 1941, en amenant les couleurs du 182e pour la dernière fois de l’année, Marcel Brenot fait sensation au camp de Gurs.

Dans un article du « Monde Juif » (N° 153 - 1995), l’historien Christian Eggers, remarque : « C’est peut-être [le Commandant de G.T.E.] qui donne l’exemple du plus pur paternalisme de certains « bons chefs » à l’égard de leurs hommes. » Soulignant : « Ce même officier avait (…) fait preuve, dès l’hiver 1941-1942, d’un certain esprit d’opposition, chose rare dans la hiérarchie des camps à ce moment-là. »

En prononçant un discours qualifié de « chaleureux » devant les hommes de son Groupe, Marcel Brenot formule effectivement un vœu assez hardi dans le contexte de Gurs : « Je souhaite que 1942, déclare-t-il un rien emphatique, soit pour tous l’année de la Paix… »( En août et septembre 1942 seront formés quatre convois pour les camps dextermination.)  Dans un brouillon, noirci d’un jet d’une plume ferme, il écrit puis raye « l’année de la libération ». Et poursuit : « …dont l’aurore commence à paraître !… Vive le 182 !! » Le discours, traduit en allemand et dactylographié, porte la même correction.

Ces quelques mots, selon Eggers, lui valent d’être éloigné du camp. Son intransigeance, il a le caractère entier, comme ses exigences lorsqu’il s’agit de défendre ses hommes, lui ont certainement valu quelques solides inimitiés.

Quelques mois après, le 19 mars 1942, Marcel Brenot est affecté au 526e G.T.E. qu’il rejoint le 1er avril. Ainsi Charles Rivalland (remercié après un différend avec le Colonel Lespert, à la tête du Chantier de Jeunesse d’Arudy), lui cède-t-il  la place le 20 avril.

Le procès-verbal de passage de commandement précise la situation du groupe à cette date. Le 526e Groupe interdépartemental de Travailleurs étrangers chapeaute les autres GTE des Basses-Pyrénées et de la partie des Landes non occupées. A cette date, il compte 777 travailleurs (21 employés par le groupe, 744 détachés chez les employeurs, 4 disponibles et 8 absents). Le 7 mai 1942, le 526e grossit. Les effectifs atteignent 900 hommes « 600 Espagnols, 100 juifs et 200 de nationalités diverses, mais ariens », selon un rapport du Comité d’Assistance aux Réfugiés (C.A.R.) [Cf.26]. L’arrêté des comptes fait apparaître un excédent de 122.573,04 francs (environ 40.500 €). L’encadrement français est composé de six surveillants sous le commandement d’un surveillant-chef.

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" Un journal franco-espagnol "

 

Le siège du 526e est d’abord à Izeste (tél. : le 5 à Louvie-Juzon). Mais le Groupe dispose aussi de bureaux à Oloron-Sainte-Marie, 22 et 25 rue Saint-Grat (tél. : 343), où sont également situés l’écurie et le garage. Les magasins (ordinaire et matériels) sont au 9 de la rue Carrerot. Marcel Brenot, précédemment installé dans un appartement de fonction — un meublé, 18 rue Dalmais, qu’il loue à Émile Lucbéreilh, fabricant des pâtes alimentaires « Luc » (marque déposée) —, investit avec femme et enfants le pavillon dévolu à la direction du Groupe.

A Izeste, le paysage est somptueux, le jardin à l’arrière de la maison offre une pleine vue sur le Pic d’Izeste. Devant, flotte un étendard sur un mât. Un « dépôt » accueille des T.E. en rupture de contrat entre deux placements, plus tard doté d’une infirmerie. Dans les communs, des employés entretiennent une basse-cour et une petite porcherie d’une dizaine d’animaux moyennement gras. Ils cultivent également un vaste potager. Une symphonie pastorale dans la fureur de la guerre. Plus au nord-ouest, à 38 kilomètres à vol d’oiseau d’Izeste, au strict opposé d’Oloron, les détenus du camp de Gurs sont en proie à la famine et aux pires maladies.

           Poussé par la nécessité d’informer plusieurs centaines de T.E. éparpillés dans les entreprises de la région, Marcel Brenot réussit à obtenir des subsides d’une association caritative pour éditer un bulletin bilingue franco-espagnol de 2 ou 4 pages, dont il est l’unique rédacteur-gérant.

 Il l’espère mensuel. Faute de papier disponible chez l’imprimeur (J. Lentignac, à Oloron.), « Servir » (surtitre « Honneur et Fidélité », la devise de la Légion Étrangère), tiré à 1.000 exemplaires, ne connaît, semble-t-il, que quatre parutions (dont une double).

Dans le premier numéro, daté du 1er juin 1942, Marcel Brenot annonce : « La plupart d’entre vous me connaissent comme ancien chef du 182. Vous savez quelles ont été là-bas [à Gurs] mes réalisations, dont la plupart n’étaient qu’à l’état de projet ou d’ébauche, lors de votre départ. J’ai toujours tenu mes promesses, dans le cadre des lois, et dans la mesure de mes possibilités (…) »

 

" Juste, équitable, humain "

 

Marcel Brenot parle à ses T.E. du 526e  G.T.E. en chef de guerre. Il les exhorte à la patience et à l’engagement. Il leur explique les difficultés économiques d’une France devenue pauvre, saignée de ses forces vives, privée de ses hommes prisonniers… Son projet : disposer de travailleurs d’élite, de « troupes de choc », de « groupes d’assaut » sur le « front du travail », dont il entend distinguer les meilleurs par la remise d’un insigne.

Marcel Brenot rappelle ce qu’il considère sans doute comme ses victoires contre l’administration : « J’ai obtenu la suppression de la retenue mensuelle des 60 Fr. d’habillement depuis le 1er mai. J’ai également obtenu pour la plupart des T.E. les mêmes droits que les ouvriers français, en matière d’allocations familiales et d’assurances sociales. »

Il promet : « Je veillerai à ce que vos femmes et vos enfants ne soient pas dans la misère. Je pense aux regroupements familiaux (…) » Il assure : « Je serai juste, équitable, humain, aussi bien pour les employeurs que pour le T.E.. Toute faute sera sanctionnée, justement, mais sans faiblesse. »

Dernière salve, nettement plus comminatoire : « J’interdis d’abandonner le travail, de s’absenter sans en avoir averti le chef d’équipe chargé d’en demander l’autorisation au Patron. Il est interdit de rentrer au dépôt à Izeste sans l’autorisation de l’employeur. Les indésirables seront radiés du 526 et envoyés dans un groupe spécial. Je ne veux pas de mauvais sujets dans le mien. » Mais, à bon entendeur salut : « Les T.E. seront, par contre, retirés aux mauvais employeurs »…

S’ensuit une liste de courts conseils et de renseignements pratiques, comme ce bref encadré en bas de page, intitulé « Recommandations importantes pour MM. Les employeurs ruraux » : «  Pour avoir de bons T.E., fidèles et dévoués, occupez-vous aussi d’eux en dehors du travail. Préoccupez-vous fréquemment du sort de leur famille, de leur femme ou de leurs enfants. Procurez-leur toute l’aide matérielle et morale possible. Ils vous en seront très reconnaissants ».

Les 23, 25 et 27 juillet 1942, la Commission Todt est encore à pied d’œuvre, le Mur de l’Atlantique réclame toujours plus de bras pour réaliser ce projet pharaonique dont Adolf Hitler confiera la supervision au Maréchal Rommel en décembre 1943 : 15.000 bunkers et blockhaus du Danemark à la Bidassoa, nécessitant quelque 13 millions de m3 de béton…

L’occasion pour Marcel Brenot de remercier les T.E. « pour la ponctualité avec laquelle [ils se sont] présentés aux Centres de rassemblement. (…) Ceci est la preuve de votre parfaite discipline ».

« L’appel que je vous adressais dans le premier numéro de « Servir » souligne-t-il, a été entendu. J’ai reçu de nombreuses lettres de remerciements et d’encouragement. Ceci me confirme dans la résolution de poursuivre l’envoi de ce bulletin, seul trait d’union entre le Chef et les membres de notre communauté ». Dommage, dès la parution de ce n° 2, la traduction en espagnol fait défaut, pénurie de papier oblige.

 

" Lutter contre les rumeurs "

 

Le passage des recruteurs de la Commission Todt a alimenté bien des rumeurs : « Les bruits les plus invraisemblables circulent de bouche à oreille, déplore Marcel Brenot en omettant d’en préciser la nature… Méfiez-vous de ces bobards destinés à créer un état d’énervement néfaste ! Si vous êtes inquiets, n’hésitez pas à écrire pour connaître la vérité. Rejetez toute information qui ne viendrait pas de moi. »

(Si Marcel Brenot se montre peu disert dans les colonnes de « Servir » quant à la nature des « rumeurs » quil dénonce, un document de 1944, dans lequel il retrace son parcours dans les G.T.E., indique que lOrganisation Todt avait clairement jeté son dévolu sur le 526e quelle entendait absorber dans sa totalité. Marcel Brenot, qui se targue de ne jamais avoir travaillé avec, ni pour, les Allemands justifie sa démission des G.T.E. en 1943 par cette perspective.)

Un appel aux travailleurs espagnols, signé LEMAY, chef du Groupement régional n° 2 (Toulouse), relate sans autre précision de lieu ni de date, qu’ « un attentat a été commis sur la voie ferrée, au passage du train spécial qui emportait en Zone occupée 300 travailleurs espagnols volontaires ». S’agit-il des T.E. recrutés fin juillet ? Y a-t-il eu des morts ou des blessés ? Lemay demande la participation de tous pour démasquer les coupables et menace : « (…) Dans le cas contraire, il n’est pas douteux que les mesures de représailles dont ils seraient l’objet, auraient pour la totalité d’entre eux, les conséquences les plus graves. »

Dans cette même livraison, on apprend qu’un « tableau d’honneur des travailleurs d’élite » sera publié dans le numéro 4 du bulletin.

(Servir » n°4. Ce classement comporte 4 catégories : Chantiers de montagne, Chantiers de plaine des Basses-Pyrénées, Chantiers des Landes, Mines et Usines. Le règlement précise que les T.E. devront attester, chaque quinzaine, de leur volume dabattage en m3 réel, du façonnage de bois de chauffage  et de la production de charbon de bois en tonnes. « Dans chaque catégorie de chantiers et pour chaque genre de production, ajoute Marcel Brenot, les deux premières équipes ou plus forts ouvriers seront cités au bulletin et recevront une récompense. Je ferai de même pour les mineurs des mines de Baburet. () Tout employeur  peut me faire des suggestions dans le même ordre didées, pour une compétition entre usines ou entre entreprises. )

« Servir » n° 5, distribué en décembre 1942, apporte les vœux que Marcel Brenot adresse aux travailleurs du 526e G.T.E.. Il réitère les mêmes espoirs que l’année précédente : « Je souhaite que 1943 soit pour vous la dernière année d’exil, et que vous puissiez rentrer dans vos foyers retrouvés. (…) Pas d’impatience, la guerre finira, et, alors, vous reprendrez une vie normale auprès des vôtres. »

           Le 11 novembre 1942, l’ambiance générale se refroidit brutalement dans les Basses-Pyrénées : les Allemands envahissent la zone libre. Plus que jamais, la prudence s’impose. Les visites impromptues se multiplient au camp de Gurs. Et les claquements de portières des voitures de la Gestapo à la porte de son bureau hantent encore Marcel Brenot, en 1944, lorsqu’il reconstitue son parcours pyrénéen, pour les besoins de sa défense.
 

" Ce n’est pas de la délation "

 

Les Allemands missionnent-ils des « moutons » dans les G.T.E. ? Marcel Brenot prodigue fermement ses conseils : « Vous devez particulièrement surveiller les travailleurs arrivant au Groupe en renfort ; il ne faut pas leur accorder votre confiance totale, avant d’être sûrs d’eux. Je le répète, vous ne devez pas tolérer d’éléments malsains parmi vous ; c’est vous-mêmes qui devez procéder à leur élimination. Les moyens ne manquent pas pour cette opération. (…) Ce n’est pas de la délation, mais de lautoprotection ; ils disparaîtront rapidement du Groupe si personne ne veut les supporter. »

Le Commandant du 526e G.T.E. livre même à ses hommes, ce qu’on appelle aujourd’hui des éléments de langage : « Répondez en leur opposant des réalités tangibles ; vous n’avez que l’embarras du choix : La France vous a accueillis non comme des prisonniers mais comme des réfugiés. Vous bénéficiez des mêmes conditions de travail que les ouvriers français de même catégorie. J’ajoute même que nombreux sont parmi vous ceux qui, grâce à mes démarches, profitent d’un régime plus favorable. (…) Vous avez les Assurances sociales, l’Assurance accidents (…) [les] Allocations familiales. (…) Vous avez encore lorsque les circonstances le rendent nécessaire, la sollicitude du Service Social des Étrangers. Vous êtes soignés dans les hôpitaux français comme les Français eux-mêmes. (…) Vous bénéficiez des congés payés, à raison de 12 jours par an. » Seul bémol : «  Vos possibilités de circulation ont été à peine réduites bien que les agissements coupables de certains de vos compatriotes aient justifié des mesures beaucoup plus sévères. »

Marcel Brenot conclut l’énumération par cette réflexion : « Vous devez être reconnaissant au Gouvernement du Maréchal de sa mansuétude. » Formule obligée d’un collaborateur zélé ? Manière de donner le change aux autorités du Camp de Gurs, qui peuvent parfois douter de l’orthodoxie politique du Commandant, décidément très autonome ? Précaution face à l’encadrement du chantier de jeunesse 31, sans doute vexé de ne pas avoir obtenu gain de cause contre les T.E. d’Izeste, ne doit pas manquer d’exercer ? (Cf. 22) La caractérisation du comportement de Marcel Brenot dans la période 1940-1942 appelle nombre de nuances.

 

" L’année de la déconvenue "

 

          Cultivé, polyglotte, germanophile, Marcel Brenot parle allemand couramment depuis la fin de ses études à Sens et un peu anglais ; conférencier à ses heures pour ses camarades officiers, grand lecteur féru d’histoire, Marcel Brenot sait qu’elle ne repasse jamais tout à fait les mêmes plats. Il est urgent d’attendre, de rester debout et de préserver a minima l’ordre qu’exige toute organisation.

En 1940, s’il semble adhérer aux principes de la Révolution nationale, c’est d’abord en soldat, comme beaucoup d’officiers de sa génération, par respect pour le vainqueur de Verdun. Sur ce point, l’examen du texte de « l’acte  d’engagement » que lui demande de contresigner, en 1941, le Secrétariat d’État à la Production industrielle et au Travail pour sceller son incorporation aux G.T.E pourrait apporter un éclairage intéressant.

Nourrit-il des sentiments antisémites ? Sûrement non. Mais il ne dit mot des lois scélérates de 1941, encore moins de l’organisation au Camp de Gurs de six convois de détenus emportant vers « une destination inconnue » 3.907 juifs allemands et ressortissants d’autres pays, chargés à même la paille des wagons à bestiaux en gare d’Oloron-Sainte-Marie (Six convois pour Drancy/Auschwitz ont été constitués, les 6, 8, 24 août et 1er septembre 1942, les 27 février et 3 mars 1943).. Ses archives sont muettes sur le déroulement de ces événements tragiques, dont on peut imaginer que l’ampleur et la soudaineté ont dû mobiliser l’essentiel des rouages de l’organisation du Camp (et des deux GT.E. qui en font partie : 182 et 526) et dont il a nécessairement eu connaissance. Rien n’atteste, cependant, que Marcel Brenot a participé d’une quelconque manière à leur préparation ou leur organisation.

Départ d'un convoi en gare d'Oloron

L’année 1942 marque sans doute un tournant important dans le parcours de Marcel Brenot et alimente sa déconvenue. Tout menace de partir à vau-l’eau sous peu dans l’organisation des G.T.E. L’administration de Vichy ne suit pas. La nourriture est comptée, le matériel vient à manquer ; comme l’habillement, surtout les chaussures, qui fait cruellement défaut et l’objet de réclamations incessamment ravivées au gré des aléas de la météo. Ses exhortations à l’ordre et la patience ne sont, chaque jour un peu plus, que des mots, rien que des mots s’éloignant dangereusement de la réalité.

 

" Une fibre sociale "

 

           En mai 1942, le rapport d’inspection du Dr Silberstein, responsable du C.A.R. de Montauban, mandaté par le Comité de Nîmes, qui regroupe à la demande de Vichy les principales organisations caritatives déployées dans ou à proximité des camps, note que Marcel Brenot « (…) s’intéresse beaucoup à ses hommes. (…) Il a l’intention d’imposer par contrat un salaire mensuel variant entre 375 et 600 frs. (mais la nourriture et logement en plus à la charge de l’employeur). » Le Dr Silberstein lui fait « très respectueusement » (sic) observer  que les employeurs risquent de « se rattraper » sur la nourriture des T.E. hébergés chez eux. Argument balayé  d’un revers de main : le Commandant du 526e annonce qu’ « il va déléguer plusieurs inspecteurs qui vont faire inopinément le contrôle des cantines et, en plus, il se réserve le droit de faire ce contrôle par lui-même. »

Le Dr Silberstein est frappé par la fibre sociale du Commandant et l’intérêt qu’il porte à  la question de l’assistance. Il ne ménage d’ailleurs pas ses critiques envers le Service Social des Étrangers (SSE), doté d’une assistante sociale (Mme Pozzo di Borgo, rapidement remerciée), accusé de n’avoir rien fait pour ses T.E. « De sorte que les familles de plus de 100 travailleurs sont l’objet de promesse de l’État français, promesses qui ne sont jamais réalisées », explique-t-il au Dr Silberstein. L’indignation et palpable. Les promesses, non suivies d’effets, que le Commandant répète dans son bulletin de liaison, sont autant de sel sur les plaies. Marcel Brenot est un homme d’ordre, méthodique de surcroît. À cheval sur les principes, il ne conçoit pas que l’on puisse manquer à la parole donnée. A fortiori lorsque c’est celle de l’État dont il se sent localement dépositaire.

Le Commandant demande une aide financière immédiate pour pouvoir financer ses projets dont il estime la réalisation urgente : création d’un foyer à Izeste, d’une infirmerie d’une dizaine de lits, réorganisation du service médical

C’est sur le terrain de l’humanitaire que Marcel Brenot va nouer des liens avec certaines familles d’Oloron et de la région, comme avec Henriette Verdalle, fille de Paul Verdalle, maire et conseiller général de Navarrenx. Cette dernière apporte un soutien actif aux internés du Camp de Gurs, parmi lesquels, un avocat berlinois : M. Frederic Wachsner. Marcel Brenot le dote d’un contrat de travail en bonne et due forme, autorisant Mme Verdalle à l’employer et l’héberger chez elle à Navarrenx. M. Wachsner supervisera les études du fils de sa protectrice, André Laclau-Barrère, né en 1926, avant d’être exfiltré en Espagne, puis de passer à Londres. À la Libération, il reviendra en France pour l’épouser.

Le sort heureux du Dr Benedykt Lippa, polonais originaire de Galicie, T.E. au 182e du camp de Gurs, est à mettre également à l’actif de Marcel Brenot, qui lui prépare un contrat de travail de complaisance en juin 1943, afin que le Dr Lippa, une fois sorti du camp, serve de médecin aux T.E. du 526e d’Oloron. Contrat qui sera honoré après son départ d’Oloron et du 526e , le 19 juin 1943, par l’un de ses successeurs, Philippe Grandclément, et son adjoint, Joseph de Goussencourt, à la date du 26 août 1943.

 

" Le maximum de ce qu’il était possible de faire "

 

Dans un mémoire daté de l’automne 1944, qui ne mentionne ni les convois ni le nombre de déportés, Marcel Brenot estime que « le Camp de Gurs a connu, pendant les années d’occupation, une notoriété d’un caractère spécialement douloureux. Destiné à recevoir des étrangers, il a été le théâtre de la part de la Gestapo et du gouvernement de Vichy des pires excès. Le camp comprenait des communistes espagnols, des israélites belges, allemands, autrichiens, etc., dont beaucoup avaient servi et combattu dans les rangs de l’armée française. » Il souligne : « J’ai fait tout ce qui était humainement possible pour adoucir les rigueurs des ordres et de la discipline, pour faciliter les évasions, pour sauver de la déportation de malheureux internés. » « Les mesures prises de ma propre initiative, poursuit-il, ont représenté le maximum de ce qu’il était possible de faire étant donné le contrôle allemand de Vichy. » Et d’énumérer dix points :

« — Déplacement du cantonnement des Travailleurs [du 182e G.T.E.] à la périphérie du camp.

« — Enlèvement des fils de fer barbelés. Interprétation des circulaires relatives aux règles de circulation des T.E. dans leur plus large esprit, même abusif.

« — Autorisation quotidienne de libre sortie pendant plusieurs heures. Permission de la journée et de 24 heures le dimanche.

«  — Permissions exceptionnelles de plusieurs jours pour toute la Zone Sud (nombreux conflits à ce sujet avec la direction du camp et le Préfet. Rappel à l’ordre de Vichy).

« — Incorporation au Groupe de nombreux internés du Camp, ex-volontaires étrangers, dont de nombreux israélites qui, par cette opération, devenaient Travailleurs libres en bénéficiant immédiatement du statut de T.E.. J’ai, de cette manière, soustrait d’innombrables anti-hitlériens de l’Europe centrale à la persécution de la Gestapo et de la police française.

« Création d’un foyer et d’une cantine, gérés par les Travailleurs, ce qui a permis de distribuer 300 frs par tête lors de la dissolution du Groupe.

« Rédaction et signature d’un contrat collectif de travail avec le Directeur du Camp, sauvegardant ainsi les droits sociaux de mes hommes.

« Rétablissement du libre exercice du culte israélite et suppression du travail le samedi. »

En tant que Commandant du 526e G.T.E., Marcel Brenot revendique l’incorporation de nombreux israélites, ex-volontaires étrangers ainsi que de réfugiés clandestins cachés chez des particuliers. « Ceux-ci, précise-t-il, une fois transformés en T.E., grâce à un contrat de complaisance, établi par mes soins, contrairement aux règlements, pouvaient obtenir légalement les cartes d’alimentation, de textiles, de tabac, et, tout en restant chez leur hôte, acquéraient, de ce fait, droit de gîte, en échappant, grâce à ma protection et aux renseignements secrets que je faisais parvenir, à la persécution de la Gestapo, et à la déportation. »

 

" Les soupçons de Vichy "

 

Le Commandant Brenot organise la protection des T.E., « étrangers antinazis recherchés par la Gestapo ». Il prépare « de nombreuses évasions et passages à l’étranger des Travailleurs recherchés », indique des lieux de retraite « bien qu’étant [lui]-même surveillé et soupçonné par la police vichyssoise, qui avait connaissance de [son] activité. »

Plus impliquant encore, il revendique la refonte du fichier du Groupe en une nuit « pour reculer les dates d’entrée en France de certains Polonais, Hongrois, Tchèques, Autrichiens, presque tous israélites, pour les soustraire aux mesures d’internement prévues par Vichy, en reculant leur date d’entrée en France (avant 1933). »

Un procès-verbal manuscrit en date du 5 mars 1943, atteste que ce jour à 15 heures, Marcel Brenot, assisté par quatre personnes (Jean Coulon, Commandant en second (cosignataire), Camille Portier, chef comptable, Hubert Heinnen, surveillant, Vincente Gandia, employé du Groupe) a procédé dans les bureaux du 526e G.T.E. à l’incinération de « 710 ordres de mission, cartes d’identités de Travailleurs étrangers du Groupe, périmés, remplacés par les nouvelles revêtues du nouveau cachet » (sic)

Sur un plan plus politique, dès 1941, Marcel Brenot prend une initiative remarquée en faveur des Républicains espagnols. On ne lui connaît pas de sympathies communistes, ce serait plutôt le contraire.

Cherche-t-il à acheter une paix sociale pour calmer les esprits, parfois vifs à s’échauffer lorsque les privations se font sentir ? Veut-il conforter sa stature de chef incontestable ? Le 15 avril 1941, bravant les consignes propres à l’État de siège alors en vigueur, Marcel Brenot, qui s’est personnellement engagé à ce qu’aucun débordement ne se produise, organise et préside devant un parterre de 300 ex-miliciens espagnols, tous du 182e G.T.E., un grand banquet à l’hôtel Lubeigt de Navarrenx. Ils célèbrent ensemble le 10e anniversaire de la seconde République (1931-1939). Paul Verdalle, le maire, dans un courrier du 27 décembre 1944, atteste que tout s’est déroulé dans le calme. « Je voulais ainsi donner à mes travailleurs, communistes espagnols, une marque de solidarité, laquelle ne pouvait avoir pour moi que des inconvénients, sans aucune contrepartie », assurera Marcel Brenot en 1944.

 

" La coupe est pleine "

 

Peut-il soupçonner à cet instant qu’un certain nombre de travailleurs du 526e G.T.E., affectés au chantier de construction de la centrale hydroélectrique de Fabrèges, dans la vallée d’Ossau, seront bientôt approchés par la Résistance toulousaine ? Marcel Brenot a-t-il eu écho des infimes prémices de quelconques  mouvements précurseurs ? Les documents qu’il a laissés ne permettent pas de le supposer.

Les exigences allemandes depuis l’invasion de la Zone libre, auxquelles s’ajoutent les pressions et les projets de l’Organisation Todt sur les G.T.E. et particulièrement en mai 1943 concernant le 526e ; un incident notable avec un employeur dépité d’avoir perdu un Travailleur qu’il appréciait ; les lourdeurs de l’administration de Vichy ; la complexité des relations avec les représentants de diverses institutions, dont les ressorts répondent à de subtils et obscurs rapports de forces… tout finit par convaincre Marcel Brenot qu’il est temps de partir.

Il démissionne du 526e G.T.E. fin mai 1943, avec effet au 20 juin. Le 19, il passe officiellement son commandement à François Bodin-Hulin, son second qui contresigne des comptes tirés au cordeau. Le solde de caisse est créditeur de 185.575 frs. Le 526e compte 822 travailleurs : 21 au service du Groupe entre Izeste et Oloron, 773 placés chez les employeurs de la région, 17 malades, 7 absents, 2 permissionnaires et 4 disponibles.

Après deux ans et huit mois passés dans les Basses-Pyrénées, Marcel Brenot est nommé Commandant régional des Groupes Mobiles de Réserve (G.M.R.) à Orléans.

( En 1944 Marcel Brenot écrit : « Jai accepté le poste de Commandant Régional [des G.M.R.] à Orléans sur les instances du Commandant Robelin [Chef dEscadron, sous-directeur technique de la Garde, dirigée par le Général Perré, à Vichy], torturé avant la libération de Vichy par la Gestapo, et mort de ses tortures, pour avoir été membre de la Résistance.»).

Il prend ses fonctions en juin 1943 avec le grade de Colonel après deux stages organisés à l'Ecole de police d'Aincourt. « À cette époque, il s’agissait uniquement de la formation d’éléments de police militarisés devant camoufler, aux dires du Cdt Robelin, les embryons d’une future armée de la Libération. »

Pour ses années pyrénéennes, il reçoit un certificat de travail agrémenté de lappréciation suivante : « Monsieur Brenot a toujours fait preuve d’un grand esprit de discipline et de beaucoup de zèle et d’initiative dans l’exercice de ses fonctions qu’il a quittées, de son propre gré, pour occuper une situation plus avantageuse qui lui était offerte. »

         Plus avantageuse… « Qui passe par Izeste sans être critiqué, peut passer l'enfer sans être brûlé », assure un dicton béarnais, moqueur quant à la sévérité de jugement des autochtones. Si les critiques n’ont pas manqué à l’encontre de Marcel Brenot, durant son séjour pyrénéen, elles ne manqueront pas non plus jusqu’à la Libération. La suite de son parcours montrera qu’il peut faire aussi parfois très chaud hors de l'enfer.