L'AFFAIRE D'ENTREMONT |
( Extraits du chapitre XIII du livre d'Yves Mathieu "Policiers Perdus) |
"................ Sous la pression des autorités allemandes et devant
l’insuffisance des résultats des forces jusque là mis en œuvre, Darnand
organise la
montée
en puissance des moyens du maintien de l'ordre. |
En février/ mars 1944, le dispositif se répartit comme suit, selon
Michel Germain : |
- 19 pelotons de
la gendarmerie, soit 1125 hommes ; |
- 12 escadrons de
la Garde, soit 906 hommes, et une section « mitrailleuses » de 32
hommes ; |
- 03 Groupes
mobiles de réserve (Bretagne, Forez et Aquitaine), totalisant 790
policiers. |
L'ensemble est placé sous les ordres de l'intendant de police, Georges Lelong. |
A côté de ces unités, la Milice française est très présente, avec 1200
hommes dirigés par Jean de Vaugelas. |
Fin janvier, l'Intendant Lelong fait imprimer ce message pour les habitants de Haute Savoie : |
« Habitants de la Haute-Savoie !
"La recrudescence des attentats
terroristes dans votre département, l'insécurité de plus en plus grande
qui y règne, ont amené le Gouvernement à envisager son épuration et sa
pacification.
Des mesures sévères vont être prises.
Les premières de ces mesures ont fait l'objet de mon Arrêté du 28
janvier 1944. Elles ne doivent toutefois pas être un sujet de crainte
pour les citoyens loyaux désireux de revoir le Pays qu'ils
aiment à juste titre,
retrouver le calme et la
tranquillité qui leur sont indispensables pour travailler à son
relèvement.
Chargé de la direction des opérations
qui, je l'espère, ramèneront la paix plus que jamais nécessaire entre
Français, je vous assure que seules les Forces françaises du Maintien de
l'Ordre participeront tant à l'exécution des mesures nécessaires qu'aux
opérations proprement dites.
Je compte sur l'exacte compréhension de
tous.
Que ceux qui ne veulent pas voir
répandre inutilement du sang français, trop souvent déjà versé en
Haute-Savoie, écoutent la voix du cœur et de la raison. Pour ceux-là, il
n'est pas trop tard pour rentrer dans le droit chemin.
Je rappelle que tout individu pris les
armes à la main, ou détenteur d'armes ou d'explosifs, sera immédiatement
traduit devant la cour martiale : jugement sans appel et exécutoire dans
les 24 heures.
Lors de l'occupation ou des engagements
possibles dans les localités, les habitants sont informés qu'ils doivent
rester dans leurs maisons, portes et fenêtres closes, et se tenir prêts
à répondre à toute sommation ou réquisition. Toute attitude hostile, le
recel d'individu "hors-la-loi" seront réprimés sévèrement, tant dans les
personnes que dans les biens.
Fait à Annecy, le 31 janvier 1944
L'Intendant de Police Directeur des
Opérations de Maintien de l'Ordre En Haute-Savoie G. Lelong. " |
Ces données chiffrées sont susceptibles de variations selon les sources
: une note confidentielle de Didier Chambonnet, du 20 avril 1944 sur les
opérations des forces de l'ordre contre les maquis de la Haute-Savoie,
indique qu'il y avait sur ce département : 1500 G.M.R., 1100 miliciens,
950 gardes, 700 gendarmes, soit 4850 hommes (Archives départementales
de la Haute-Garonne dossier 2546W27). Sans doute les effectifs du
maintien de l'ordre ont fluctué au cours de ces mois. Quoiqu'il en soit,
il est clair qu'à la mi-février, les forces de l'ordre vichyssoises sont
très fortement implantées au pied du plateau de Glières et qu'elles
l'encerclent ostensiblement. |
Le G.M.R. Aquitaine quitte sa résidence toulousaine pour la Haute Savoie
le 12 février 1944. Le trajet s'effectue par train jusqu'à Annecy, par
route jusqu'à La Clusaz. |
Les hommes s'installent en hôtels, partie à La Clusaz, où est fixé
l'état-major, partie à Saint-Jean-de-Sixt. L'unité est placée sous le
commandement provisoire du lieutenant Robert Couret : en effet, Grégoire
Lefèbvre, commandant titulaire, a dû différer son départ pour rester au
chevet de son fils adoptif gravement malade ; âgé de 16 ans, il décèdera
le 16 février 1944. |
Le commandant Lefèbvre reprendra le commandement effectif de ses troupes
à une date qui n'a pu être située avec certitude, mais que le
sous-brigadier Maurice Marlin, à l'époque secrétaire à l'état‑
major du commandant, affirme être le 7 mars 1944, soit, l'avant-veille
du drame. Nous verrons plus loin ce qu'il faut en penser. |
Des accords entre le commandement des G.M.R. et celui des maquis |
Commandant par intérim, le lieutenant Couret est rapidement amené à
prendre des dispositions importantes vis-à-vis des maquis. |
Reprenons sur ce point précis les termes du rapport qu'il destinait
après la Libération au commissaire du Gouvernement de la Cour de justice
de Toulouse : |
« Dès mon arrivée, j'installai mon P.C. à
La Clusaz, et la Résistance qui était admirablement bien renseignée sur
l'état d'esprit des officiers
appartenant aux
forces du maintien de l'ordre, avait déjà eu connaissance de mon
activité en faveur de l'organisation clandestine de la région de
Toulouse, et dès les premiers jours de mon implantation à la Clusaz, je
reçus la visite de deux officiers du plateau de Glières qui désiraient
me contacter afin d'avoir des renseignements sur notre dispositif de
sécurité. |
Plus loin, le lieutenant Couret ajoute : |
« Sachant que le
commandant Lefèbvre avait toujours manifesté des sentiments hostiles
envers les Allemands, je le mis, dès son arrivée, au courant des
conventions passées avec la Résistance, ....il confirma purement et
simplement les dites conventions. » |
Appuyant ces données, le sous-brigadier Maurice Marlin précise : |
«
Le lieutenant Couret établissait des consignes prévoyant entre autres
que les postes de contrôle seraient levés chaque nuit, de 21 heures à 5
heures. Il
avait pris des contacts avec les chefs des maquis, par l'intermédiaire
du curé du Petit-Bornand, à 3 Km d'Entremont, point de passage obligé
pour monter au plateau. Je tenais cette confidence du commandant de
compagnie par intérim, mais je n'en parlais à personne....Le
7
mars, le commandant Lefèbvre
arrivait à Toulouse…. Il approuvait les consignes du
lieutenant Couret.
(Entretiens avec l’auteur)» |
Au regard de ces éléments, la réalité des accords entre responsables des
policiers de l'ordre et des maquis ne saurait être mise en doute. On
s'autorisera par ailleurs à soutenir qu'ils laissent entrevoir que les
policiers du G.M.R. Aquitaine, par la voix de leur commandant et de son
adjoint n'étaient pas mal intentionnés envers les maquisards du plateau
de Glières ; Cette illustration confirme qu'en Haute-Savoie comme
ailleurs - ce que nous avons eu l'occassion de souligner à plusieurs
reprises , de part et d'autre, au sein des forces de l'ordre, comme
parmi les maquis, on ne souhaitait pas d'accrochage franco-français : «
...
C'était un modus vivendi qu'on ne se fasse pas de mal entre Français
(Propos rapportés par Alain Dalotel, Le Maquis des Glières). |
Les arrangements ainsi conclus ne pouvaient que tendre à rasséréner les
maquisards, en butte à une situation de plus en plus préoccupante sous
la pression des forces de gendarmerie, de la police et de la Milice : en
effet, l'intendant Lelong venait d'organiser l'encerclement progressif
du plateau par les unités du maintien de l'ordre. Pour sa part, le
G.M.R. Aquitaine avait reçu la charge des secteurs de La Clusaz, du
Grand-Bornand et de St-Jean-de-Sixt. |
Malheureusement, la bonne volonté réciproque d'éviter tout affrontement,
conclue au plus haut niveau des chaînes hiérarchiques respectives,
n'allait pas résister à l'épreuve du terrain. |
Des initiatives policières intempestives |
Le lieutenant ..T.., âgé de 25 ans, avait été désigné par le
lieutenant Couret pour prendre la responsabilité du détachement de
St-Jean-de-Sixt. Jouissant d'une grande autonomie d'action cet officier
ne tardait pas à faire montre d'un zèle intempestif. |
Le ler mars 1944, des policiers de la 2ème section qu'il commande
arrêtent le médecin auxiliaire Michel Fournier, alors qu'il prenait
livraison de produits pharmaceutiques destinés à l'infirmerie du
plateau. Son contact, qui n'était autre que sa future épouse, est
également
interpellée. Le lieutenant ..T.. conduit le prisonnier au siège de
la Milice française à Annecy, après en avoir reçu l'ordre, affirme-t-il,
de son collègue Couret, toujours en charge à cette date de l'intérim du
commandant Lefèbvre. |
En réaction, « Tom » décida dès le lendemain d'une expédition punitive
sur le cantonnement de St-Jean-de-Sixt, avec l'idée de négocier la
libération du médecin. La mission fut confiée au lieutenant Henri
Onimus, alias « Humbert ». Le 3 mars, à 3 heures, le village est
encerclé par soixante-dix maquisards environ. A partir de cet instant,
les versions divergent : Pierre Vial, dans « Le sang des Glières »,
écrit : « Saint-Jean-de-Sixt est encerclé,
les barrages dressés par les G.M.R. aux différents points d'accès sont
tous sous le feu des maquisards. Alors Humbert se lance, revolver au
poing. La sentinelle G.M.R. totalement éberluée, n'a pas le temps
d'esquisser le moindre geste et se retrouve désarmée, bras levés, avant
de comprendre ce qui lui arrive. Les uns après les autres, les postes
des G.M.R. sont investis. Pas un coup de feu n'a été tiré
(Pierre Vial le sang des glières)»
Récit quelque peu épique qui
s'accommode mal de la version du général Yves Barde. Après avoir décrit
l'approche du village par les troupes d'Humbert que les postes de garde
G.M.R. ont repérées, l'auteur indique : « Le
cheminement dans la neige profonde est exténuant, et de nouveau un
projecteur oblige le groupe à se jeter à plat-ventre dans la neige.
Humbert prend le parti de revenir sur la route où il place ses hommes en
deux colonnes qui progressent accroupis le long des murs de neige.
Parvenu à une cinquantaine de mètres des premières maisons, Humbert fait
mettre un FM en batterie et s'avance, accompagné de René Dechamboux,
vers les premières maisons. Un projecteur s'allume et, bien qu'aveuglé,
il distingue un barrage, consitué d'une charrette placée en travers de
la route. Une discussion s'engage avec les G.M.R et Humbert est conduit
à l'hôtel Beauséjour afin d'y rencontrer leur chef un aspirant.
(Yves Barde, Glières 1944, histoire des combats de février et mars 1944)
» |
Au-delà des discordances relevées, on retiendra qu'à ce stade de
l'opération - conçue sur le modèle d'une opération militaire -, le
contact fut établi entre les résistants et l'officier du détachement des
G.M.R. sans qu'il y ait eu le moindre échange de tirs. |
Immédiatement informé de la situation par radio, le lieutenant Couret,
qui commandait toujours par intérim le G.M.R. Aquitaine et qui logeait à
l'hôtel de France à Entremont, accourut en hâte. Il entama des
pourparlers avec Humbert. Celui-ci exigea de traiter au niveau des
responsables politiques, c'est-à-dire avec l'intendant Lelong. Les deux
hommes furent mis en rapport téléphonique et Lelong accepta de relâcher
Michel Fournier... qui, de fait avait été libéré quelques heures plus
tôt, sous condition de se représenter le lendemain au siège annecien de
la Milice. L'affaire aurait pu en rester là, mais le lendemain le
docteur Fournier, respectueux de sa parole fut placé en état
d'arrestation et emprisonné sur les instances de Lelong. |
Premier accroc qui laisse pressentir que le ressentiment s'exprimera
inévitablement à un moment ou à un autre : la rancœur s'est désormais
installée chez les hommes du plateau de Glières, altérant et minant le
fragile climat de confiance qui avait été établi entre leurs chefs et le
commandement des policiers du G.M.R. Aquitaine. |
Effectivement, quelques jours plus tard, le 7 mars 1944, deuxième accroc
: alors qu'il se rend en side-car à Entremont, le même lieutenant
..T.. croise cinq jeunes gens. Il prend personnellement
l'initiative de les contrôler. Tous sont en situation régulière et ne
sont porteurs ni d'armes, ni de documents compromettants. Il les fait
néanmoins conduire jusqu'au cantonnement afin de les soumettre à un
examen plus approfondi. Là, convaincu que ces jeunes sont en route pour
les maquis, il décide de les remettre entre les mains de la Milice
d'Annecy. |
Ce deuxième incident grave survenu quelques jours seulement après le
premier exacerba les esprits sur le plateau. Le lieutenant Morel y vit
l'illustration de ce qu'il a pris pour de la mauvaise foi de la part des
officiers du G.M.R. Il dépêcha un de ses lieutenants - Barrat auprès du
commandant Lefèbvre. Or, celui-ci refusa de recevoir le messager. Voici
ce qu'en a écrit le lieutenant Couret, dans le rapport déjà cité : |
« Dès que ces
arrestations furent connues, le lieutenant Barrat descendit à
Entremont, et se mit en rapport avec moi, afin d'obtenir par mon
entremise, une entrevue avec le commandant Lefebvre. Ce dernier, qui
se trouvait très déprimé par son deuil récent, et qui d'autre part, ne
voulait pas que ses contacts avec la Résistance soient connus par son
entourage, refusa de recevoir le lieutenant Barrat. Mais, il me demanda
de confirmer à ce dernier qu'il n'était pour rien dans ces arrestations,
et que les conventions n'étaient nullement dénoncées par lui.
» |
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L'effacement du commandant Lefèbvre ne pouvait que créer un
insaisissable climat de suspicion. C'est dans ce contexte que le chef du
maquis s'est convaincu de la nécessité d'une attaque contre le siège du
commandement du G.M.R. Aquitaine, unité dont certains hommes avaient, à
deux reprises, pris des initiatives par trop dommageables envers les
maquis, sans que les officiers aient pu en contrecarrer les effets. |
Il décide en conséquence, non pas un de ces coups de main jusque-là si
habituels à la Résistance, et qui aurait pu consister à capturer
l'officier rebelle, mais une véritable attaque de vive force, empruntant
aux techniques des opérations militaires. Le but recherché, du moins tel
qu'il semble avoir été annoncé, est de faire des prisonniers qui
serviront de monnaie d'échange. |
Opération de représailles |
Le 10 mars, vers 1 heure 30, une centaine d'hommes descendus du plateau dans la neige, et conduits par Tom Morel en personne, parviennent aux abords d'Entremont. Leur mission : neutraliser les postes de garde installés sur chacun des trois accès au village, encercler celui-ci, investir les deux hôtels où sont logés les policiers. |
|
Plan tiré du livre de Michel Germain |
Ce type d'opération, bien maîtrisé par Humbert, on l'a vu lors de la «
descente » sur St-Jean-de-Sixt, va ici dégénérer : l'effet de surprise,
élément important de réussite, ne fut pas au rendez-vous. Selon les uns,
ce fut à cause d'un chien qui aurait donné l'éveil par ses aboiements
intempestifs (Michel Germain, Glières, Mars 44).. D'autres, ont évoqué un
coup de feu échappé malencontreusement de l'arme d'un maquisard et qui
aurait été à l'origine de ces aboiements (Pierre Vial, le sang des
Glières). |
A ces raisons, le sous-brigadier Marlin en ajoute une autre : le commandant Lefèbvre savait que ce soir-là le maquis allait attaquer son unité, mais il ignorait le site sur lequel s'effectuerait l'attaque. |
Laissons le policier s'exprimer : « Le 10
mars, vers 0 heure 30, le commandant Lefébvre, qui s'était attardé au
comptoir du café de l'hôtel de France, et avait ingurgité pas mal de
petits verres, faisait irruption dans la chambre que j'occupais avec
Georges Mazars, et me demandait de le rejoindre dans la sienne. Là, il
me dictait le texte d'un télégramme que je devais chiffrer avant de le
transmettre au détachement de St-Jeande-Sixt. Ce télégramme spécifiait
très précisément : « Attention, maquis viendra cette nuit. Redoublez de
vigilance. Doublez les effectifs des postes de garde. Rendre compte de
tout incident. Signé : Cdt Lefebvre
» |
« Comme je le quittais
pour m'exécuter, il me demanda de faire venir à lui les deux officiers
chefs de section, David et Couret. » |
Georges Mazars, sous-brigadier de police fraîchement arrivé à Entremont
avec le commandant, confirme le récit de son collègue. Il se souvient
encore des inquiétudes que suscitait chez celui-ci l'annonce d'une
probable opération des maquis sur le G.M.R. |
Si l'on veut bien ajouter foi aux propos de ces deux anciens policiers
que les fonctions d'alors plaçaient en position d'observateurs
privilégiés, il ne fait guère de doute que le commandant Lefèbvre ait
bénéficié d'une indiscrétion de comptoir, lui dévoilant l'imminence
d'une opération du maquis. |
En est-il résulté des conséquences sur l'effet de surprise ? |
La réponse n'est pas certaine car, même si nous ajoutons foi à la teneur
du télégramme de référence, telle qu'elle a été fournie sur la base des
souvenirs du témoin Marlin, les instructions données par le commandant
Lefèbvre pour le cantonnement d'Entremont restent ignorées. La réunion
nocturne impromptue à laquelle les officiers furent convoqués dans la
chambre de leur supérieur, n'eût d'autres témoins qu'eux-mêmes, et ils
ne sont plus là pour en préciser le contenu. |
Lefèbvre s'est-il satisfait de renforcer les postes de garde ? Les
a-t-il multipliés ? A-t-il mis en place un dispositif de défense des
hôtels, voire des lieux stratégiques du village ? |
Toutes les suppositions sont possibles, la plus plausible étant qu'il
ait fait renforcer les barrages, pareillement aux consignes qu'il avait
données pour le détachement de Saint-Jean-de-Sixt. |
Quoiqu'il en soit, l'approche des maquisards a été vite détectée par les
postes de garde, et l'alerte donnée. Dès lors, le déroulement des
opérations s'en est trouvé affecté par des échanges de coups de feu le
long des cheminements d'accès à chacun des deux hôtels, notamment
lorsque Tom s'élança à l'assaut de l'hôtel de France, entraînant son
équipe derrière lui. Fusillades nourries selon certains récits des
résistants (Louis Jourdan-Joubert, Julien Helfgott, Pierre Gollier,
Glières Première bataille de la résistance). Fusillades volontairement
retenues selon le sous-brigadier Marlin ; celui-ci soutient que ses
collègues guetteurs avaient des consignes permanentes pour donner
l'alerte en faisant usage de leur sifflet de dotation et, le cas échéant
en tirant en l'air. Toujours selon le policier, les hommes du G.M.R.
avaient reçu pour instructions verbales de ne faire usage de leur arme
qu'en cas de danger très réel et inévitable. |
Au-delà de ces positions antagonistes, si on ne peut douter qu'il y ait
eu effectivement confrontation armée sans toutefois être en mesure d'en
apprécier l'intensité, on observera que celle-ci n'a produit de part et
d'autre aucune victime à ce stade de l'opération : «
Malgré la violence des tirs d'armes automatiques,
malgré la clarté de cette belle nuit d'hiver, aucune balle ne les toucha
(les résistants) (Ibid, première bataille de la résistance p108).
» |
Il est vrai qu'en plusieurs endroits, les policiers G.M.R. n'ont ni
tiré, ni résisté. Il en a été ainsi, au moins à un poste de garde —
celui de l'église -, au central téléphonique et à l'hôtel du Borne ; ce
dernier fut investi sans difficulté, les policiers étant restés à
l'intérieur des lieux, sans opposer de résistance lors de
l'investissement des bâtiments. Ces attitudes nous semblent révélatrices
du peu d'empressement des policiers du G.M.R. Aquitaine pour
l'affrontement. Leur combativité apparaît en la circonstance, bien
émoussée. |
En tout état de cause, il est de fait que l'opération a été bien
élaborée, dans le respect des préceptes de l'art militaire. Un
spécialiste en la matière, le général Yves Barde, qui l'a
remarquablement décortiquée sur le plan technique dans son ouvrage
signalé
Glières 1944, affirme : «
Sur le plan militaire, cette opération était
parfaitement montée.
» A l'évidence l'investissement des lieux
fut une réussite : les
hommes du G.M.R. avaient été maîtrisés sans dommage. |
Malheureusement la tragédie était au rendez-vous dès l'engagement de la
phase suivante, celle consistant pour les résistants, à neutraliser les
policiers installés à l'hôtel de France, et à leur signifier qu'ils
étaient désormais leurs prisonniers. |
Le pire survient |
Le sous-brigadier Maurice Marlin poursuit le récit des souvenirs qu'il a
conservé de ces instants : «
Vers 1 heure 30,
nous étions brusquement réveillés par des coups de feu, et tirés du lit
par le commandant qui tapait aux portes et criait : « Tout le monde en
bas ». |
« En moins d'une
minute, nous avions enfilé pantalons, vestes et capotes kaki. Nous
venions de toucher ces nouvelles tenues, en remplacement de celles en
drap, bleu marine que nous portions depuis l'origine. |
Lorsque j'arrivais en bas de l'hôtel, seule la petite lampe se trouvant
devant l'établissement était allumée et éclairait légèrement la rue.
D'un
coup d'œil rapide à l'extérieur, je distinguais beaucoup de monde et
percevais une grande effervescence. A peine ai-je franchi le seuil, que
j'étais assailli sans ménagement par des maquisards, qui m'arrachaient
des mains mon mousqueton. Tous mes collègues subirent le même traitement
au fur et à mesure qu'ils descendaient de leurs chambres. |
Devant l'hôtel, il y avait des dizaines et des dizaines de maquisards.
C'était le branle-bas. Des ordres et des cris fusaient de partout. Il y
avait une tension ambiante extrême. |
On apercevait également beaucoup d'agitation devant l'hôtel du Borne,
distant d'une centaine de mètres. |
Les chambres de notre hôtel étaient immédiatement fouillées, et les
collègues qui s'y trouvaient encore étaient désarmés, et rassemblés en
bas, avec nous. |
Pour ce qui me concerne, j'étais à deux ou trois mètres du commandant
Lefebvre, sur la rue principale, devant l'hôtel, avec les lieutenants
Couret et David. |
J'ai alors vu arriver le lieutenant Tom Morel. Il s'est positionné face
au commandant, et l'a invectivé en ces termes : « Vous avez manqué à
votre parole, vous êtes un traître ». Dans le même temps, deux
maquisards le saisissaient par derrière, et immobilisaient ses bras,
pendant
qu'un troisième lui enlevait son pistolet placé en étui, à la ceinture.
Le commandant Lefebvre se débattait sans succès, et Tom Morel ajouta : «
Désormais, vous êtes mon prisonnier ». |
Le commandant Lefebvre était rouge de colère et se mit à hurler : «
Moi, commandant Lefebvre, capitaine de l'armée française, prisonnier
?... Jamais. » |
C'est alors qu'il parvint à libérer son bras droit, et à se saisir d'un
petit pistolet de calibre 6,35 m/m camouflé dans ses leggings droites. |
La figure écarlate, il tirait à bout portant sur le lieutenant Tom Morel
qui n'était guère à plus d'un mètre de lui. |
Touché à mort, Tom s'effondrait. Tout s'est alors précipité. |
Une fusillade totalement incontrôlée éclata. J'ai vu un maquisard qui
servait un fusil-mitrailleur anglais depuis le parapet d'un pont à cinq
ou six mètres de là, ouvrir le feu sur le commandant Lefebvre ;
immédiatement fauché par les balles, il s'écroulait instantanément. Plus
tard, on dénombrera 32 impacts sur son corps. |
Ce maquisard tirait partout, et un projectile brisa la seule lampe qui
éclairait la rue. D'autres de ses amis, armés de mitraillettes « Sten »,
se mettaient aussi à tirer n'importe comment. |
La fusillade a duré deux minutes tout au plus, jusqu'à ce qu'un anonyme
lance un « Halte au feu », suivi d'effet. |
A la lumière d'un gros projecteur qui s'allumait alors, on pu découvrir
qu'il y avait à terre plusieurs blessés. Ils furent installés sans
distinction d'origine, dans une salle du café de l'hôtel de France. Les
maquisards nous y entassèrent aussi, mains en l'air, ainsi que les
collègues de l'hôtel du Borne. |
Comme personne ne s'occupait des victimes qui gisaient à nos côtés,
révolté, je me rebellais, de même qu'un collègue, et bousculant un homme
de la Résistance, nous prîmes l'initiative de les installer dans une
salle contiguë, où le médecin de l'Unité, Piequet, pu diligenter les
premiers actes d'urgence. |
Le bilan apparaissait, bien lourd : de notre côté, il y avait quatre ou
cinq blessés, dont le lieutenant David, très gravement atteint à la
cuisse,
et
le sous-brigadier Masson, plus légèrement touché. Chez les résistants,
deux blessés dans un état désespéré, qui allaient mourir rapidement. |
Georges Decour, policier d’Annecy qui avait rejoint le maquis. Il avait
reçu une dizaine de balles, et succomba dans mes bras, avant qu'on ait
pu faire quelque chose. Un autre maquisard, la mâchoire arrachée,
honorait d'un ultime salut Tom Morel gisant à ses côtés. Il devait
décéder dans les heures suivantes. Il s'agissait du champion de ski
Frizon. |
J'ai souvenance d'un troisième maquisard, très choqué, et que la mort
avait épargné grâce au chargeur qu'il portait à la ceinture, et contre
lequel, était venu se ficher une balle ! |
Alors qu'avec deux collègues nous faisions ce que nous pouvions pour
soulager les blessés, le patron de l'hôtel entra dans la pièce et
s'étonna que nous soyons encore là, alors que tous les autres étaient
partis vers le plateau, sous escorte. |
Effectivement, je m'aperçus que la salle où nous avions tous été
entassés était vide. Avant de partir, les résistants avaient pris soin
de s'approprier notre armement et nos paquetages. Ils avaient aussi
coupé la ligne téléphonique, nous privant ainsi de toute demande rapide
de secours. |
Environ une demi-heure plus tard, un groupe de maquisards est revenu
pour récupérer la dépouille de Tom Morel, qu'ils ont chargée sur un
traîneau, de même que celle de Decour, qu'ils ne croyaient d'ailleurs
pas être des leurs, car il était revêtu de son uniforme de policier ; il
a fallu les convaincre du contraire pour qu'ils acceptent de prendre le
malheureux. |
Dans le même temps, mes deux collègues du secrétariat, François Hennick
et Georges Mazars réapparaissaient à l'hôtel, à notre grande surprise.
Ils avaient été relâchés par un officier du maquis. Ils m'ont raconté
par la suite qu'un troisième avait refusé cette libération, car il
craignait qu'elle ne fût le prétexte à une exécution sommaire. |
Entre temps, le lieutenant Couret qui, reconnu par les officiers de la
Résistance comme étant des leurs, n'avait pas été fait prisonnier, nous
avisa qu'un autocar allait arriver et transporter les blessés à
l'hôpital
de
Bonneville. |
A 5 heures, après avoir procédé au récapitulatif de l'effectif, j'étais
en mesure de lui annoncer que les résistants détenaient soixante-et-un
des nôtres.
A 9 heures, l'intendant Lelong accompagné du colonel, commandant
régional opérationnel Brenot se présentait à l'hôtel de France. Après
avoir effectué une brève visite des lieux, et écouté le compte rendu du
lieutenant Couret, l'un et l'autre nous insultèrent avec outrance, nous
traitant de tous les noms, nous accusant de ne pas nous être défendus.
Notamment, ils trouvaient inadmissible et accablant pour nous, l'absence
de douilles à l'intérieur de l'hôtel. Nos dénégations ne les
convainquirent pas. |
En fin de journée, nous quittions Entremont après avoir récupéré le peu
d'affaires qui nous restait. Nous étions repliés sur le cantonnement de
St-Jean-de-Sixt, où nous sommes demeurés quelques jours, sous
surveillance d'une dizaine de miliciens nous considérant comme très
suspects. Vers le 15 mars, nous avons tous été déplacés sur
Saint-Jeoireen-Faucigny (Haute-Savoie) d'où nous avons réintégré notre
résidence toulousaine. C'était le 20 ou 21 mars 1944.
......................» |
![]() ![]() (Source : Gallica JO du 22/07/1944) |
**** |
Côté résistance, René Clémence raconte : |
…« Les
gars se précipitent vers l'hôtel. Tom, Humbert et leurs hommes arrivent
au pied du perron. Humbert entre seul. A peine a-t-il ouvert la porte
qu’il se trouve face au commandant GMR, révolver au poing qui lui fait
faire brusquement volte-face en le prenant par le bras et lui appuie le
canon de son révolver dans le dos en disant : « Avance, tu vas tomber
sous les balles de tes copains. » |
Mais, sitôt étaient-ils sortis de l'hôtel que Tom s'élance et arrache
le revolver des mains du G.M.R. et le bouscule, le plaquant contre le
mur en criant :"C'est ainsi que tu respectes tes engagements ? Tu n’as
pas
honte ? Tu n'es pas digne d'être un officier - Tu n'as pas tenu parole.
Tu es un traître et un lâche. Tu es mon prisonnier ! " » |
« Sans proférer une parole. le G.M.R.
sort un petit revolver de
sa poche et à bout portant, il abat notre lieutenant d'une balle en
plein cœur. Il dirige son arme contre Humbert, mais une mitraillette
crépite. L'assassin a expié... »" |
Jean
Bedet, le plus proche au moment du drame, a lâché une rafale de
mitraillette sur le commandant
Lefèvre. »… |
(Le sang de la Barbarie : Chronique de la Haute Savoie de Michel Germain) |
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J'engage tous ceux qui s'intéressent aux G.M.R. ou aux événements du plateau des Glières à lire le livre d'Yves Mathieu (voir ci dessous) |
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Extraits du livre de Claude Barbier « Le maquis de Glières » |