BIOGRAPHIE DE RENE  BRIEUDE
 
 
 

 Lors des obsèques de René, le 03 avril 2014, au cimetière du Montparnasse à Paris, son fils, Lionel, lui a rendu hommage et a retracé sa vie...

 

  C'est au 109 de la rue Vercingétorix que naquit le 2 juin 1923 le petit René, précédé,19 ans auparavant, par son frère André. Nos grands-parents habitaient un immeuble Haussmannien et les activités ludiques de notre père, sur des balcons terrasses recouverts de plomb, le rendirent de santé fragile. Un médecin atypique, dont il gardera le souvenir toute sa vie, conseilla un déménagement à la campagne. Ainsi fut fait et toute la petite famille se retrouva à Montfermeil, commune qui à cette époque était composée de bois, d'étangs et de petits cours d'eau. Vite requinqué, il prit l'ascendant sur une bande de gamins qui s'ébattait dans cette nature alors préservée.

 
              Intelligent, curieux de tout, il poursuivit une scolarité appliquée qui lui fera obtenir le Brevet supérieur. Employé aux services des indirects, il s'inscrit à la faculté de droit, mais la guerre le rattrape mettant un terme à une carrière juridique. Après l'exode, le chef de bande qui sommeillait en lui se réveille et dès 1941 il participe à l'impression et à la distribution de tracts.

 En 1943, avec le Commandant Vuille­main, il crée une préparation militaire clandestine au Raincy.

              Le 11 novembre 1943, il entre au  (Groupes mobiles de réserve) G.M.R."Parisis" à Champs sur Marne, avec la charge de rassembler tous les éléments aptes à former un groupe de résistance active.

ARRÊTÉ, INTERNÉ, TORTURÉ

               En janvier 1944, il dispose de 40 hommes en relation avec le FN de la Police et son agent de liaison le camarade Bourdonnet. En mai 1944, ils sont 80 dont il prend le commandement.

  En juin, il organise leur départ pour rejoindre les FFI de Bretagne lorsque le 6, il est arrêté à 18 heures avec l'officier de paix Pruvost et huit chefs de groupe par le service de sécurité de la Milice. Il est interné aux Tourelles. Le 8 juin 1944, il est transféré au quartier général de la Milice rue Pelletier et cruellement torturé durant plusieurs jours. Le 16 juin, il est transféré au Dépôt, en attendant de passer devant les tribunaux du maintien de l'ordre.

  Le 17 août 1944, il est libéré par la résistance. Le19, il prend le commandement de la 3e section de la première Compagnie Franche de FFI et combat jusqu'à la libération de Paris dans différents secteurs : Saint Michel, République, Bois-de-Boulogne, Concorde. Le 28 août la compagnie part pour Enghien et est engagée à Ermont Eaubonne, Saint-Prix et Saint-Leu.

 

C'est à cette période qu'apparaît Joséphine notre mère, l'amour de sa vie, avec laquelle il va partager les joies et les peines jusqu'à ce dimanche 30 mars 2014, jour de son départ pour l'Orient Eternel. Décoré de la médaille de la résistance pour sa conduite courageuse, il demandera à un copain de récupérer sa décoration à sa place. Et c'est seulement en 2002 qu'il sollicitera et obtiendra la carte d'ancien combattant.

 
 REFUS DES HONNEURS
            Refus des honneurs et humilité habitaient notre père avec une réelle constance. Mais, écoutons plutôt ce qu'il disait de la libération devant de jeunes délégués syndicaux en 1999.
  "Après l'occupation, la libération. Celle-ci ne fut pas parfaite, les mêmes atrocités ont été commises même s'il y eut des gestes de générosité extraordinaires. A la libération, pour la première fois depuis longtemps, des êtres humains s'exprimaient en toute liberté. C'est rare. Actuellement, nous ne nous exprimons pas en toute liberté car il y a une loi, des juges, des impôts, des contrôleurs, des règlements."
 NAISSANCE DU SNIP…
              Cette philosophie, il l’appliquera dès la fin 1944 en participant à cet élan unitaire que fut la création de la Fédération de la Police affiliée à la CGT et regroupant la quasi-totalité des personnels de la Police nationale. Porteur des idéaux et des projets des cahiers de la résistance, il multiplie les réunions pour faire adhérer les salariés à ces projets, telle la mise en place de la sécurité sociale. Ce n’était pas aussi évident à l’époque. La participation à ce système de protection entraînait en effet, une fois la cotisation retenue, une baisse des salaires. Mais cette euphorie égalitaire et fraternelle ne dura pas. Suite aux grandes grèves de 1947, la CGT éclate. Secrétaire à l’information, il gardera un douloureux souvenir de l’éclatement de cette grande Fédération Unitaire. Afin de sauver le droit syndical dans la police, car le droit de grève avait déjà été supprimé en décembre 1947, 22 hommes, dont notre père, se réunissent le 19 février 1948 à Paris et créent le SNIP, Syndicat National Indépendant et Professionnel des CRS. Le premier journal du SNIP, l’Écho du policier, sort le 1er janvier 1949. Il en est le rédacteur en chef.
 … ET DE L’ANAS
               Dans ce document historique, dont l’article “Chers camarades” est resté gravé dans le cœur des militants car il jette les bases de l’ANAS, il précise, après avoir rappelé l’indispensable unité du personnel: . Il faut créer une caisse d’entraide pour secourir tous les cas qui ne sont pas prévus par la Sécurité Sociale, . il faut créer un organisme capable de reclasser nos camarades accidentés, il faut créer un centre de colonies de vacances pour les enfants, . il faut créer un centre de vacances pour les familles, . il faut créer un Sanatorium. Dans les années qui suivirent tous ces projets furent réalisés. Unanimement reconnu par ces pairs comme le créateur de l’ANAS, notre père n’a jamais tiré aucune gloriole de ce fait, même si–parfois- il était agacé par le comportement de pseudos fondateurs. Ce qui lui semblait le plus important, ce n’était pas les structures, les systèmes, mais l’esprit qui les animait, ce qui l’avait amené à inventer le qualificatif d’anasien 
 SOUSCRIPTION NATIONALE
              Que disait-il de l’anasien? “L’Anasien est un animal de progrès, et même s’il est vieux ou relativement plus très jeune, il se caractérise par ses vues d’avenir. Il pense et agit en fonction de ce qui est l’intérêt de tous et non forcément du sien. Il croit que la société actuelle est en pleine mutation, mais que l’amour de son semblable doit permettre, à tous les échelons de la société, une discussion constructive dans l’intérêt de tous. Il pense que l’avenir est source de progrès”.Dès 1950, il lance le projet de créer une maison de repos à partir d’une souscription nationale. Les policiers participent massivement et généreusement à celle-ci. Après moult péripéties et un échange de propriété, l’ANAS achète le Château du Courbat, dont le piteux état ne freina pas la détermination de notre père. Sachant que l’Administration ne voyait pas d’un bon œil le développement de l’association dans la maison CRS, et malgré ses responsabilités syndicales, il voulut se charger lui-même de cette mission. Cet engagement mit fin aux périples estivaux que nos parents avaient l’habitude de pratiquer en camping sauvage. Un Paris-Marseille en Solex leur a d’ailleurs laissé un souvenir inaltérable.
 EN FAMILLE AU COURBAT
                Ainsi, le 4 juillet 1953, nous débarquions au Courbat pour une aventure unique, à l’identique de ces groupes primaires de l’après-guerre qui, conformément aux idéaux des cahiers de la résistance, créèrent des structures d’aide et de soutien. Au mois d’août, malgré des conditions de vie spartiates, ils accueillaient les premiers pensionnaires. Le travail acharné, une disponibilité totale, l’esprit pionnier permirent la réussite d’un établissement atypique fonctionnant à la fois comme établissement de soins, quelle que soit la pathologie, et comme centre de vacances. Même des compagnies de CRS en déplacement faisaient une halte casse-croûte dans ce qui était leur maison. Ils savaient tous qu’ils pourraient, en cas de coup dur, trouver refuge au Courbat et que l’ANAS ne les laisserait jamais tomber. Acteur central du bureau national du SNIP, notre père se partageait entre Paris, des réunions dans la France entière et le Courbat. Le soutien indéfectible, l’engagement total de notre mère dans cette aventure, et ses capacités d’adaptation, ne furent pas étrangers à cette réussite. L’Établissement du Courbat est aujourd’hui indiscutablement reconnu. Je crois même savoir que notre nouveau Premier Ministre y aurait fait un récent passage.
 COFONDATEUR DE LA FASP
               En parallèle de son action syndicale qui le fit, entre autres, cofondateur de la FASP (Fédération Autonome des Syndicats de Police), vint la création des centres de vacances, des colonies de vacances, de l’école de voile. Une bonne douzaine au total. Jusqu’en 1979, date de son départ en retraite, notre père fut un missionnaire infatigable. Prévoyant, il eut cette grande et trop rare intelligence de préparer sa succession et de passer les flambeaux deux ans avant l’échéance. Je crois qu’il est parti en retraite avec un certain soulagement, non pas que ses idéaux fussent altérés, car il restera fidèle à ceux-ci. Mais la société avait évolué. Toujours plus de règlements, de contraintes, d’obligations, de restrictions, bref tout ce que notre père exécrait. Lui, l’homme libre et de bonnes mœurs, qui avait construit sa philosophie au fond des cachots de la milice et avait poli sa pierre auprès de ses FF de la Loge Vérité, “ni dieu ni maître”, n’acceptait pas que l’humain puisse laisser de plus en plus de place à la technocratie.
 LA VIE EN LIGNE DROITE
               C’est donc sans aucun étonnement que nous le vîmes, comme le candide de Voltaire, aller cultiver son jardin. L’esprit dans ses caves troglodytes et ses muscles dans son jardin verger, aux bords de la Cisse, où la pratique du canoë, la baignade et le jardinage occupaient ses journées. Malgré tout, il restait toujours disponible: soit pour faire reprendre force et vigueur à une association départementale de retraités, soit en allant transmettre ses valeurs aux jeunes délégués, dans les séminaires de formation ou lors des congrès du SNIP et de l’ANAS où sa parole était rare mais écoutée. Comme notre père était très pudique sur nos relations familiales, je me limiterai à nos relations père-fils. À bien y réfléchir, elles ressemblent à ce chemin qui menait à son petit paradis de la Cisse. Très peu de virages, une longue ligne droite, des herbes folles parsemées de fleurs odorantes, quelques ornières jonchées de pierres pointues, une solidité à toutes épreuves, un accès à gauche, et l’eau apparaît, source de toute vie. Au revoir Papa.
 
 Cimetière du Montparnasse, le 3 avril 2014
(Source : Journal "L'Echo du policier " N° 35 de 2014.)