Document tiré de la revue de science sociale de l'IHESI (Institut
des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure) n°38 4ème trimestre
1999
UNE «CIVILISATION» DE LA MATRAQUE ?
NAISSANCE ET INSTITUTIONNALISATION DES CRS
Par Cédric MOREAU de BELLAING
Lors de leur création fin 1944, les Compagnies républicaines de
sécurité doivent pallier le manque de forces policières de la France
de la Libération. Conçues dans la précipitation, celles-ci sont
affectées à des tâches auxiliaires, et ne disposent pas de
territoire d'intervention spécifique. Après un long travail interne
de rationalisation et de normalisation, les CRS sont engagées dans
les troubles de 1947, véritable baptême du feu, qui leur vaut
l'acquisition administrative et statutaire d'une spécialité : le
maintien de l'ordre. Les épreuves de 1948 viennent valider
pratiquement cette appropriation et permettent de poursuivre le
processus d'institutionnalisation des CRS, leur garantissant une
installation durable au sein de l'espace policier et la sortie du
provisoire et du supplétif qui les caractérisait jusqu'alors.
Notes et études
«
Le corps des
CRS
représente la base indiscutable de la défense du régime »1. Une
telle affirmation, prononcée seulement onze années après la création
des compagnies républicaines de sécurité par le ministre de
l'Intérieur, symbolise l'enracinement profond en peu de temps de
cette force de police.
Il est vrai qu'aujourd'hui, les
CRS
font intégralement partie de notre environnement policier et plus
généralement de l'espace social. Réserves générales de la Police
nationale, le sens commun en fait l'instrument privilégié de la
gestion de l'ordre et tend souvent à mélanger
CRS
et autres forces de l'ordre tant leur impact symbolique est fort.
Cet accaparement du maintien de l'ordre dans les représentations
collectives nait notamment du colossal investissement des
CRS
pendant mai 1968. Il lui est aussi antérieur, ainsi que le slogan à
la postérité fertile
«CRS=SS»,
qui nait et fleurit déjà dans les caricatures les plus sévères à
l'égard du ministre de l'intérieur de l'époque, Jules Moch.
Mais si les
CRS
apparaissent comme étant « nécessairement » des forces de maintien
de l'ordre, il n'en a pas toujours été ainsi ; lors de leur
création, la garantie de l'ordre public n'occupe qu'une part infime
de leurs attributions. Face à ces présupposés, produits d'une
habitude et d'une routine qui font d'une construction empirique une
essence, à savoir des
CRS
des robots conçus pour le maintien de l'ordre, l'analyse détaillée
de ce processus d'incorporation démontre que, derrière une façade de
structure monolithique à
objectif déterminé, se cachent un mécanisme d'appropriation d'une
spécialité dans le maintien de l'ordre et une lutte incessante pour
l'insertion des
CRS
dans l'espace policier.
(1) Citation de François Mitterrand,
ministre de l'Intérieur, rapportée dans le compte rendu d'une
réunion de commandants de groupement des 6 et 7 janvier 1955, série
890466, article n° 6, liasse 3
Loin d'avoir toujours été la force de référence, les
CRS
sont dans un premier temps «la dernière roue du carrosse », reléguée
à un rôle d'auxiliaire sans d'autre légitimité que celle conférée
par les textes officiels. Nous nous proposons d'étudier ici
l'évolution des
CRS,
de leur naissance sous une forme provisoire à leur affirmation dans
l'espace policier, pour en faire une pièce incontournable de
l'espace policier de la IVe puis de la Ve République.
LES COMPAGNIES RÉPUBLICAINES DE SÉCURITÉ : DES FORCES PROVISOIRES
La création des
crs
intervient par un décret du 8 décembre 1944. Relativement court, il
se contente de présenter la structure hiérarchique du corps (qui se
décline sous la forme
compagnies-commandement-régional-sous-direction 2) et les effectifs
prévus (217 hommes par compagnie, 70 compagnies prévues sur le
territoire soit 15 190 hommes sur 63 500 fonctionnaires en tenue
dépendant de la
DGSN) 3.
Cette concision symbolise bien la situation d'urgence qui a présidé
à la constitution de cette nouvelle force de police.
UNE CRÉATION PRÉCIPITÉE DANS UN CONTEXTE DE DÉSORGANISATION
L'appareil policier a été largement éprouvé par les années
d'occupation et l'usage qui a été fait de ses acteurs pendant cette
période le compromet profondément à la Libération. Le gouvernement
provisoire ne peut donc faire l'économie d'une épuration au sein de
la police. Il est pourtant difficile de se priver de toute structure
policière : comment rétablir la légalité républicaine si l'on ne
dispose pas de forces pour la mettre en œuvre et la garantir par la
suite ? Or, la France au lendemain de la guerre a du mal à trouver
le moyen de restaurer l'ordre. Dans une présentation interne des
CRS,
un policier évoque cette «époque où les forces de l'ordre ne
pouvaient être fournies ni par la police traditionnelle en cours de
remaniement, ni par la gendarmerie trop absorbée par les besoins des
forces armées, ni par ces dernières encore engagées dans les
opérations. »
4.
(2)
La sous-direction est la plus haute
instance de la hiérarchie
CRS
et dépend de la Direction de la sécurité publique.
(3) Direction
générale de la sûreté nationale.
(4) Présentation
des
CRS
non datée, série 900062, article n° 1.
Parallèlement à la désorganisation des forces de police, le pouvoir
républicain doit faire face à la réintégration dans la vie pacifiée
de certains mouvements issus de la Résistance (FFI, etc.) et plus
particulièrement des Milices patriotiques (Mi'). Créées en août 1943
à l'initiative de Maurice Thorez, il s'agit de «groupes de patriotes
armés qui devaient se préparer à encadrer la population au moment du
soulèvement »5.
À la fin de la guerre, beaucoup de FFI ainsi que de nombreux
militants du
PCF
entrent dans cette force proche des comités départementaux de
Libération dans le but de former une police du peuple au service du
peuple. L'inquiétude grandissante du gouvernement devant une
possible dualité des pouvoirs6
amène Adrien Tixier à réclamer la dissolution de toute force
extérieure à l'Armée ou à la police d'État. C'est seulement grâce à
l'intervention de Maurice Thorez au congrès d'Ivry en janvier 1945
que les
MP
acceptent leur dissolution, certains intégrant d'autres formes
départementales de forces de l'ordre comme les
FRS 7
de Marseille.
(5)
L'Humanité du 1 er août 1943, in GARROT
(G.),
1984, Le maintien de l'ordre en France, Tome 2, Thèse de Droit
Public, Toulouse, p. 741-742.
(6) Entre
le gouvernement républicain et les comités locaux de Libération,
chapeautés par le Conseil national de la résistance. Pour en savoir
plus, cf MADIARIAN (G.), 1980, Conflits, pouvoirs et société à la
Libération, Paris, UGE,
10/18.
(7) Forces
républicaines de sécurité.
Il y a donc urgence à former une police républicaine afin de faire
respecter l'ordre et participer au rétablissement de la légalité sur
l'ensemble du territoire. Le Directeur général de la sûreté
nationale, André Pelabon et le lieutenant-colonel Gentien sont
chargés par le Général de Gaulle de cette tâche ardue. Rapidement,
ils se rendent compte que la mise sur pied d'une force de police en
si peu de temps implique plusieurs compromis. Il en est ainsi des
choix hétérogènes effectués pour le recrutement. Une note du 29
novembre 1944 en brosse les grands traits qui seront ensuite repris
bon gré mal gré par les circulaires d'application et les textes de
lois successifs : le recrutement doit pouvoir s'opérer aussi bien
parmi les GMR
8,
après épuration que dans les anciennes
MP
ou toute autre force supplétive mise au service des commissaires de
la République
9.
Les compagnies sont alors conçues à la fois comme des échappatoires
qui doivent intégrer les différents éléments participant à la crise
de l'autorité de l'État central en même temps que les restes d'une
police de Vichy et comme le moyen de remplacer provisoirement la
police traditionnelle dans ses tâches habituelles de maintien de
l'ordre : il s'agit avant tout d'une solution pragmatique. Pour
garantir l'efficacité de la nouvelle force de police, ces promoteurs
s'inspirent d'anciens modèles et en particulier de celui des
GMR
dont certains pans sont complètement transplantés. Le but semble
être alors de former une force neuve qui ne soit pas novice pour
autant : pour cela, ils recrutent d'anciens policiers, militaires et
surtout d'anciens
GMR
(au
1er
août 1945, 46,25 % du total des effectifs des
CRS
est issu des GMR
10
qui ont parfois été incriminés par les commissions d'épuration mais
qui n'ont subi qu'un éloignement forcé de régions où ils étaient
trop connus). Le besoin de
savoir-faire et d'expérience policier pour en faire profiter les
nouvelles compagnies républicaines de sécurité a donc primé,
alimenté par l'urgente nécessité de former de nouvelles forces de
l'ordre.
(8) Groupes
mobiles de réserve, forces de l'ordre créées par Vichy.
(9) Mémoire
sur la reconstitution de la police adressé à Adrien Tixier, 29
novembre 1944, carton F1a 3347, dossier XV-A-7.
(10) Chiffres
fournis par les dossiers de réponse des commandements régionaux à la
sous-direction : série 890466, article n°10, liasse 4.
DES ATTRIBUTIONS ET DES MISSIONS D'AUXILIAIRE
Mais la conséquence directe des principes qui sous-tendent la
création des
CRS
est que celles-ci ne sont perçues que sous une forme provisoire. La
circulaire d'application n° 210 du 13 janvier 1945 qui établit les
différentes attributions des
CRS
traduit très clairement cet état de fait. Sur quatre missions
énumérées, trois confèrent explicitement aux
CRS
un rôle d'auxiliaire. Il s'agit « d'apporter aide et assistance aux
corps urbains et compléter leur action, notamment pour
l'organisation de services d'ordre importants, [de] compléter le
service de contrôle et de surveillance de la circulation routière
[et de] porter aide et assistance aux populations urbaines et
rurales dans le cas de sinistres graves »11. Seule une mention
évoque la possibilité d'utiliser rapidement les
CRS
en maintien de l'ordre et sur n'importe quel point du territoire. Le
risque téléologique serait d'y voir les prémices d'une stratégie à
long terme, les
CRS
ayant aujourd'hui pour attribution première le maintien de l'ordre.
Or, ce n'est pas le cas. Il semble bien plus qu'il s'agisse ici
d'une précaution prise par les législateurs qui voyaient dans les
CRS
une force de police dont l'unique objectif était de permettre la
transition d'une période chaotique de rationnement et de marché noir
à une République ordonnée, comme en témoigne l'emploi des
CRS
entre 1945 et 1947.
(11) Circulaire n° 210 du ministère de
l'Intérieur aux commissaires régionaux de la République, 13 janvier
1945, article Fia 3347, dossier XV-A-7.
Sur le terrain, le rôle d'auxiliaire dévolu aux
CRS
est dominant et les missions hétérogènes qui leur sont confiées
s'avèrent insuffisantes pour garantir leur inscription dans une
spécialité propre. De 1945 à 1947, le fonctionnement des
CRS
est marqué par des épiphénomènes à forte portée symbolique
(participation à la réduction de forces ennemies dans la poche de
Royan, tenue d'avant-poste à la frontière de Strasbourg, etc.) leur
conférant par là-même un semblant de visibilité, mais qui les
obligent, malgré tout, à se cantonner dans le rôle d'une force
d'appoint. Elles sont aussi affectées à la surveillance de
transferts vitaux pour le redressement du pays (échange de billets
de banque, matériel d'hôpitaux, etc.) ou encore à l'organisation de
grands services d'ordre lors de commémorations ou de grandes
conférences internationales. Pendant cette période, les
CRS
ne s'inscrivent pas au sein d'un territoire d'intervention
particulier. Tout au plus la sous-direction défend-elle certaines
attributions comme la mobilité des compagnies en refusant
systématiquement les gardes statiques permanentes pour les
CRS.
En effet, si les autres forces de maintien de l'ordre (polices
urbaines,
gendarmerie mobile) sont persuadées qu'il s'agit là de forces
provisoires dont l'unique allocation particulière est leur
auxiliarité, les hommes qui animent le corps des
CRS
l'entendent autrement.
LA LENTE CONSTRUCTION DE L'INSTITUTION CRS
Malgré ce cantonnement dans un rôle d'auxiliaire, les dirigeants des
CRS
entreprennent, de 1945 à 1947, un travail de rationalisation et de
construction d'une structure cohérente, préalable essentiel à la
conquête d'un espace de spécialisation. Cela ne sous-entend en aucun
cas que celle-ci s'inscrive dans une stratégie de long terme; les
promoteurs des compagnies républicaines de sécurité ont cherché à
faire survivre leur force, en attendant une réglementation générale
des services de police plus équitable et un domaine d'intervention
propre. Et si ces années ne sont pas toutes favorables aux
CRS,
elles leur font affronter des obstacles dont le dépassement renforce
considérablement l'ancrage durable dans l'espace policier français.
Le but précis est de parvenir à légitimer leur existence et leur
emploi, ou - du moins - à préparer le terrain en vue de justifier
leur utilité. Même si la période 1945-1947 ne peut s'appréhender de
manière complètement homogène, il est possible de distinguer trois
mouvements, à la fois autonomes et interdépendants qui conditionnent
l'évolution du corps : en premier lieu, il s'agit de régler le
problème des moyens attribués et des procédures de réquisition ; en
second lieu, la hiérarchie opère un travail de normalisation et de
rationalisation du fonctionnement interne et enfin une gestion du
personnel calquée sur les impératifs et les nécessités de la
conjoncture.
LES PREMIÈRES ÉPREUVES DE L'ORGANISATION
Si les CRS sont des forces créées dans la précipitation, leur
fonctionnement hiérarchique et les mécanismes tutélaires de mise en
branle leur accordent une dimension d'efficacité immédiate. Alors
que la Direction de la sécurité publique (dont dépend la
sous-direction) favorise ouvertement les corps urbains pour diverses
raisons
12,
la DGSN et le ministère de l'Intérieur prennent l'habitude de
travailler directement avec la sous-direction. C'est pourquoi les
nominations et les mutations du personnel commandant et officier
passent par le ministère de l'Intérieur et que les procédures de
réquisition des compagnies imposent aux commissaires de la
République, puis aux préfets qui veulent recourir aux CRS de faire
transiter leur demande par la place Beauvau (sauf urgence) quand
bien même il s'agirait de
cas
stationnées sur leur département. S'il accroît l'impression d'une
force sans autonomie, et en tant que telle vouée à être auxiliaire,
le détour systématique par le ministère, et donc par la puissance
étatique, confère
aux CRS
une légitimité institutionnelle immédiate.
(12) Et notamment parce que ce sont
des forces qu'elle connaît depuis plus longtemps. De plus, les
membres de la DSP considèrent les CRS comme des forces
paramilitaires qui sont donc en tant que telles rejetées.
Mais celle-ci n'est pas suffisante pour garantir la pérennité du
corps. À des principes réglementaires et législatifs clairs et
précis doit correspondre une pratique quotidienne efficiente. Or, de
nombreux obstacles empêchent les CRS de s'installer définitivement
dans l'espace policier en tant lue force à part entière.
En effet, puisque la naissance des CRS intervient dans l'urgence,
elle se fait avec un maximum d'inorganisation : les stocks de
matériels se constituent par-bis de manière totalement indépendance
de la sous-direction et obligent à de grands inventaires débouchant
sur des envois ou des échanges d'effets entre les différentes
compagnies. Par ailleurs, le matériel alloué par l'État n'arrive que
progressivement:
camionnettes, matériel d'éducation physique (dont la livrai-;on est
parfois reportée), équipement électrique et armement.13
Les premiers nages aussi se mettent en place : moniteurs d'éducation
physique
14,
stages l'instruction des brigadiers
15.
Au bout le six mois, de gros efforts ont été fournis et la
DGSN
estime que les compagnies sont « presque complètement organisées »16.
Jusqu'en 1946, la sous-direction et les commandants œuvrent et
l'établissement matériel des compagnies par l'envoi de maints
questionnaires et états des stocks : le processus est enclenché sans
pour autant résoudre tous les problèmes.
Ainsi, la question du transport des compagnies se pose avec acuité.
Forces mobiles avant tout et généralement dénuées de moyens
automobiles
17,
le
ministère de l'Intérieur doit négocier pour elles avec la
SNCF
les délais de réquisition et les mises à disposition de trains. En
1948, le problème subsiste encore partiellement, même si les trains
de voyageurs ont remplacé les wagons à bestiaux18
que les gardiens ont parfois connus.
Autre problème fondamental : celui du logement. Corollaires de la
lenteur de l'organisation, du temps de réponse de la sous-direction
et du manque de crédits affectés, les difficultés liées à
l'installation ajoutent à la précarité des conditions de vie des
CRS. Début 1946, une seule compagnie loge dans un casernement
appartenant au ministère de l'Intérieur, les autres étant installées
dans des bâtiments appartenant à des particuliers ou à divers
départements ministériels. La plupart des lieux d'implantation sont
vétustes : des «usines de teinturerie, des anciens couvents ou une
ancienne école professionnelle »
19,
des casernes, les box du champ de courses de Carrières sous Poissy,
le casino d'Enghien ou encore au Mans, cet hospice départemental des
vieillards qui, malgré son exiguïté, n'en a pas moins continué de
fonctionner.
(13) Cf. l'ensemble
des circulaires du lieutenant-colonel Gentien aux commandants
régionaux et aux commandants de compagnies, série 890672, article
n° 45.
(14)
Circulaire du lieutenant-colonel Gentien aux commandants régionaux
et aux commandants de compagnies
n°
2150, 24 mars 1945, série 890672, article n° 45.
(15) Circulaire
de Gentien aux commandants régionaux
n°
3336, 2 mai 1945, série 890672, article
n°
45.
(16) Circulaire
de la DSP aux commissaires de la République et aux préfets de
Seine-et-Marne, de Seine-et-Oise et de Moselle n°
5023/10 du 25 juin 1945, série 890672, article
n°
45.
(17) Les
CRS ne disposent d'un parc automobile autosuffisant qu'à partir des
années soixante.
(18) LE
TEXIER (R.), 1981, Les compagnies républicaines de sécurité, Paris,
Charles-Lavauzelle, p. 19-20.
(19)
Rapports
de contrôleurs généraux, in BRUNETEAUX (P.), 1996, Maintenir
l'ordre, Paris, Presses de Sciences PO, p. 160.
Les rapports d'inspections de contrôleurs généraux effectués au
début des années cinquante sont à cet égard sans ambiguïté : les
locaux sont insuffisants, voire inhabitables, les lits sont parfois
dans les couloirs, certains murs servent d'urinoirs, des
infiltrations d'eau se produisent, les douches sont défectueuses,
quand il y en a 20. Même lors des déplacements, les logements sont
délabrés. En bref, les conditions de vie sont déplorables et les
médecins affectés aux compagnies sont en nombre insuffisant 21.
(20)
Ces informations sont extraites
des différents rapports de contrôleurs généraux après l'inspection
de plusieurs CRS, série 890672, article n° 2, liasse 3.
(21)
Note de la sous-direction des CRS, Synthèse des rapports annuels, 2e
année, n°1, janvier 1946, article Fia 3347, dossier XV-A-7.
De même les CRS ont beaucoup de mal à trouver des logements en
dehors de la caserne. Des lettres de plaintes viennent régulièrement
exposer le problème de tel gardien de la paix qui habite avec ses
trois enfants dans un deux pièces ou qui n'a trouvé d'appartement
qu'à une heure de trajet de la caserne 22. Il arrive que certains
gardiens ou gradés refusent un avancement afin de demeurer dans la
ville où ils «ont eu la chance d'obtenir un logement »23. En juin
1946, Gentien fait établir des statistiques sur les familles
de CRS encore sans logement : plus de 2500 familles sont sans
logement 24. Cette précarité n'est pas sans impact sur le moral des
troupes et joue souvent un rôle inhibiteur sur le recrutement
d'éventuels candidats, rendant difficile la stabilisation du corps.
À cela s'ajoutent parfois des obstacles conjoncturels. Ainsi, en
mars 1946, la suppression des régions administratives et des
commissariats de la République entraîne, par la même occasion, la
dissolution des commandements régionaux, ce qui déstabilise
profondément l'organisation CRS. Grâce à la mobilisation de la
sous-direction, un échelon intermédiaire est finalement conservé et
les commandements de groupements sont constitués en septembre. Le
ministre de l'Intérieur profite de ce revirement pour affirmer les
spécificités CRS par une lettre aux préfets en avril, rappelant les
règles de base des compagnies ainsi que leurs particularités de
fonctionnement (force civile, hiérarchie propre, etc.). Mais le
franchissement de cet obstacle en découvre un autre : les
compressions budgétaires prévues en 1947. Beaucoup craignent une
dissolution des CRS mais les compagnies sont relativement épargnées
: suppression de cinq compagnies et licenciement des gardiens
auxiliaires 25. Ces deux étapes passées sans - trop - d'encombres
témoignent malgré tout du début de l'enracinement des compagnies.
D'autant plus que cette mutation de la machine
CRS
s'accompagne d'une forte rationalisation de son fonctionnement.
(22) Cf.
ensemble de lettres réparties dans la série 890672, articles n° 44,
45 et 46.
(23) Note
de la sous-direction des CRS, Synthèse des rapports annuels, 2e
année, ni, janvier 1946, article Fia 3347, dossier XV-A-7.
(24) Note
de Gentien aux commandants régionaux et aux commandants de compagnie
n° 5175 du 26 juin 1946, série 890672, article n° 45. 25) Lettre de
la DSP aux secrétaires administratifs pour la police du 22 avril
1946, série 890672, article n° 45.
(25) Lettre de la DSP aux secrétaires
administratifs pour la police du 22 avril 1946, série 890672,
article n°45.
RATIONALISATION DU FONCTIONNEMENT ET GESTION DU PERSONNEL
La sous-direction va jouer sur un ensemble de facteurs internes afin
de consolider les
CRS.
En premier lieu, l'effort est porté sur une importante
rationalisation de la structure. Celle-ci répond à plusieurs
exigences : une optimisation des mécanismes internes (gain de temps,
harmonisation des rapports, meilleur contrôle établi, etc.), une
nécessité de construire le squelette organisationnel des
CRS.
Cette rationalisation de l'organisation permet de confondre chaque
fonctionnaire à l'institution en lui imposant, pour le bien du
corps, un ensemble de règles strictes au nom d'un impératif
d'efficacité. Dès janvier 1945, des fiches individuelles sur chaque
fonctionnaire sont établies et la réglementation des relations
hiérarchiques se cristallise peu à peu autour de l'élaboration de
fiches et de rapports26 dont les préoccupations principales
s'articulent selon trois axes : le personnel (effectif, recrutement,
état d'esprit, etc.), l'installation matérielle et les déplacements.
La sous-direction établit ainsi un lien de dépendance dont la
fonction latente est d'encadrer le fonctionnement de compagnies
inégalement organisées : elle souhaite, par une codification stricte
des rapports établis et envoyés, s'assurer un maximum de suivi des
compagnies qui n'ont pas encore le sentiment d'appartenir à un corps
à part entière. À défaut de pouvoir immédiatement trouver une
identité professionnelle dans la spécialisation d'une tâche, la
sous-direction veut souder les nouvelles forces de police dont la
cohésion constitue l'unique moyen d'espérer une pérennisation du
corps. Pour cela l'établissement de rapports hiérarchiques lisibles
et formels n'est pas suffisant. La codification s'effectue donc à un
autre niveau, celui du corps du
CRS.
La maîtrise de la présentation cherche à intégrer le fonctionnaire
dans ce qu'Erving Goffman appelle une équipe, terme qui «
désignera tout ensemble de personnes coopérant à la mise en scène
d'une routine particulière»
27.
(26) Circulaire du lieutenant colonel
Gentien aux commandants régionaux n°799/8 du 7 février 1945, série
890672, article n° 45.
(27) GOFFMAN (E), 1973, La mise en scène
de la vie quotidienne, Tome 1. La présentation de soi, Paris ,
Minuit, p. 81.
Comme la codification de la présentation de soi structure en retour
la représentation du groupe, l'établissement d'uniformes, de signes
communs doit permettre une visibilité extérieure d'un corps
constitué et unifié et le sentiment pour les exécutants de vivre
charnellement leur appartenance aux
CRS.
L'établissement d'uniformes, l'armement visible, les déploiements
spectaculaires sur le terrain participent au renforcement de la
fonctionnalisation de l'institution, tendant ainsi à privilégier
une représentation dominante de ses usages légitimes.
Le port d'insignes autres que ceux des CRS est interdit et le port
de l'uniforme est réglé au centimètre près : « Chaque effet doit
être marqué à l'encre indélébile noire ou blanche selon la couleur
du fond et aux emplacements ci-après : manteaux et imperméables :
sur la doublure du devant gauche à 0,15 m au-dessous de la couture ;
vareuses et blousons : sur la doublure du devant gauche à 0,12 m
au-dessus de la couture ; pantalons et culottes : à gauche sur la
doublure de la ceinture à environ 0,05 m des boutonnières »
28.
(28) Circulaire du lieutenant-colonel
Gentien aux commandants régionaux et aux commandants de compagnie n°
2715/9 du 15 avril 1945, série 890672, article n° 45.
Il en va de même pour les effets de coiffure, de travail, les
chaussures, le matériel sportif, le linge de corps, les accessoires
d'équipement...
Ce travail d'encadrement symbolique est accompagné d'une politique
de recrutement pour le moins hétérogène et dont le but avoué est de
fournir de manière urgente les cadres nécessaires au bon
fonctionnement des
CRS.
L'instabilité apparente de la politique de recrutement (selon le
budget, les disponibilités, les nécessités, etc.) nous semble
révéler une véritable stratégie de normalisation du corps, en lui
fournissant un encadrement efficace rapidement, quitte à en modifier
la structure à partir de 1946 (remplacement des officiers
intérimaires, limogeage de nombreux anciens GMR). Cette volonté de
stabilisation s'exprime notamment à travers la restriction des
mutations, des démissions et des permutations entre les compagnies
ou avec d'autres corps de police pendant cette période29 qui
concourent à ériger une structure qui, si elle n'est pas
inébranlable, prétend avoir de solides fondations. L'interdiction de
ces mouvements d'effectifs en 1947 30 répond au même impératif de
stabilité afin d'éviter toute hémorragie dans une période creuse
pour les fonctionnaires. À ce relatif cloisonnement, la
sous-direction adjoint une réorientation de la stratégie de
reconstruction du corps : à partir de fin 1946/début 1947, la
hiérarchie CRS ne mise plus sur l'installation matérielle qui - bien
qu'elle soit précaire - est acquise mais cible avant tout les
services des compagnies et le personnel. Cela se traduit par une
modification sensible de la liste et de la périodicité des états
réclamés par la sous-direction qui rapproche les échéances des états
traitant des missions tout en laissant une plus grande liberté aux
compagnies sur le matériel. Mi 1947, l'organisation administrative
CRS est alors solide, un indicateur caractéristique de la bonne
marche du processus d'institutionnalisation
31
des
CRS
étant la décision de la sous-direction de détacher des
fonctionnaires
CRS
auprès de leur syndicat (CGT et CFTC).
Fortes d'une structure qui, à défaut d'être parfaite, assure un bon
fonctionnement de la nouvelle force de police, les
CRS
sont massivement investies dans les conflits sociaux de la fin 1947.
C'est avec ces affrontements puis avec ceux de 1948 qu'elles
parviennent à s'inscrire dans un périmètre précis d'intervention,
qu'elles acquièrent une spécialité propre : le maintien de l'ordre.
(29)
Et non pas comme le suggère P. BRUNETEAUX, op. cit, p. 146, avec
pour objectif de cloisonner les communistes au sein des CRS dans une
perspective éloignée de dissolution, ce qui n'a jamais été
sérieusement envisagé.
P. Bruneteaux suggère dans son ouvrage (p. 146) que ces mutations et
démissions ont pour objectif de cloisonner les communistes dans
certaines compagnies de CRS dans une perspective éloignée de
dissolution. Nous n'en avons pour notre part, jamais trouvé
vérification dans les archives ni dans d'autres études historiques.
Seul Jules Moch semble ainsi envisager une fusion des CRS, dont il
se méfiait, avec la garde mobile mais il est rapidement revenu sur
cette décision et il s'est par la suite, au contraire, fortement
appuyé sur les compagnies : cf. MECHOULAN (E.), 1996, jules Moch et
le socialisme, thèse d'histoire, Paris IV, p. 306.
(30)
Circulaire de la DSP aux commandants de groupement et aux
commandants de compagnies du 22 mai 1947, série 890672, article
n°
45.
(31)
Comme le décrit dans son article CHEVALLIER (1.), 1981, «L'analyse
institutionnelle», in CURAP, L'institution, Paris, PUF.
L'ACQUISITION DU MAINTIEN DE L'ORDRE
Comme nous l'avons dit précédemment, les CRS ont été tenues à
l'écart de la tâche du maintien de l'ordre jusqu'en 1947. Alors que
la période 1944-1946 connaît une certaine accalmie sociale, dans la
logique de l'effort de reconstruction nationale, les grèves de
novembre-décembre 1947 puis de septembre-novembre 1948, qualifiées
d'insurrectionnelles par le gouvernement, rompent avec les habitudes
de la rue depuis la Libération, et les CRS, forces de réserve
générale de la police sont rapidement engagées dans la lutte pour le
rétablissement de l'ordre républicain. À cette occasion, les
compagnies républicaines de sécurité forgent leur spécialisation
dans a gestion et le rétablissement de l'ordre.
LE BAPTÊME DU FEU
Alors que les
CRS
étaient jusqu'alors reléguées dans un rôle d'auxiliaire des polices
urbaines et juste aptes à gérer de grands services d'ordre et autres
commémorations, elles sont en peu de temps envoyées « au front».
C'est en réalité une conjonction de multiples circonstances et
décisions qui favorise l'intervention massive des
CRS.
L'ampleur des troubles sociaux de l'année 1947 réclame la
mobilisation d'un maximum de forces « légalistes » susceptibles de
gérer le maintien de l'ordre. Cette ardente nécessité est, par
ailleurs, renforcée par la méfiance que Jules Moch, ministre de
l'Intérieur, à partir de novembre 1947, porte à la troupe, qu'il
n'estime pas assez loyaliste pour ramener l'ordre républicain
32.
L'immersion des
CRS
dans le maintien de l'ordre résulte alors d'un double mouvement : la
stratégie de concentration et de présence massive des forces de
l'ordre voulue par Moch, et le déchaînement des passions sociales
qui recherchent la démonstration de force.
Ainsi, les violences contre la police deviennent parfois une fin en
soi, de même qu'à l'égard de nombreux symboles institutionnels. Or,
un corps
de police récent, majoritairement constitué de jeunes recrues (et
donc considérées comme plus fortes et plus résistantes) dont les
preuves sont à faire pour conquérir une légitimité encore
quasi-inexistante, répond précisément aux exigences du maintien de
l'ordre limite. Et une fois sur le terrain, les cris doivent faire
face à de multiples assauts, parfois sanglants. Ainsi, sans entrer
dans les détails des affrontements de 1947, les gardiens se sont
trouvés à plusieurs reprises face à des manifestants armés et
déterminés à défendre leurs lieux de travail, voire à les reprendre
aux forces de l'ordre. Or, cet engagement vaut aux
CRS
une nouvelle légitimité et un début de délimitation d'un territoire
spécifique d'intervention. D'autant plus que leur aptitude supposée
au maintien de l'ordre républicain est renforcée par « l'affaire des
CRS
marseillais, magistralement rapportée par Maurice Agulhon et Fernand
Barrat33
qui garantit à la population le loyalisme républicain des
compagnies, désormais débarrassées de la plupart de ses éléments
communistes.
(32)
On pourra y trouver ici la continuité
tout au long du siècle de cette tradition d'hommes politiques
républicains qui ont voulu éloigner l'armée du maintien de l'ordre.
Patrick Bruneteaux a retracé de manière intéressante cette «
civilisation » du maintien de l'ordre dans les mentalités dans
l'ouvrage extrait de sa thèse, op. cit. Cf. aussi l'excellent
article de BERUÈRE (LM.), .Du maintien de l'ordre républicain au
maintien républicain de l'ordre?" réflexion sur la violence,
Genèses, n° 12, p. 6-29.
(33) AGULHON (M.), BARRÂT (F.), 1971,
CRS à Marseille. La police au service du peuple 1944-1947, Paris,
Armand Colin, 228 p.
LA CONSECRATION
Si l'engagement des CRS pendant les roubles de 1947 ouvre une brèche
vers une spécialisation du corps et sa pérennisation, 1948 leur fait
une large place tans l'espace policier. En effet, si tout n'est pas
joué à la fin de l'année (le processus d'institutionnalisation se
poursuit par la suite), l'appropriation administrative et statutaire
du maintien de l'ordre est acquise et se trouve validée en pratique.
Le 1er
mars 1948, une longue note sur le service intérieur signée de la
main de Jules Moch refond l'organisation générale des
CRS.
La consignation de l'ensemble des règles régissant l'institution
leur garantit un véritable statut administratif faisant office de
socle sur lequel les compagnies peuvent se reposer. Cette note
renverse aussi la hiérarchisation des missions effectuées par la
circulaire du 13 janvier 1945 et place le maintien de l'ordre en
première attribution des CRS. Le 28 mars, un décret portant
réorganisation des compagnies républicaines de sécurité confirme à
l'Assemblée les dispositions de la note sur le service intérieur et
redéfinit la priorité des missions CRS. D'une part, la coopération
entre les
CRS
et les polices urbaines change de nature, l'emploi des compagnies
devenant concurrentiel et non plus supplétif. D'autre part, le
décret réaffirme le caractère mobile et donc national de ces forces
de l'ordre qui étaient jusqu'alors bornées dans la pratique à des
interventions régionales, si ce n'est locales. Enfin, ces deux
réorganisations ont à la fois pour effet et pour consécration
l'attribution du maintien de l'ordre comme mission spécifique (mais
non exclusive) des CRS.
Permise par leur attitude pendant les troubles de 1947, la
qualification des
CRS
comme forces de maintien de
l'ordre ne tarde pas à subir une deuxième vérification
pratique en juin 1948 avec les incidents de Clermont Ferrand (pour
lesquels, neuf compagnies sont acheminées en avion !) puis pendant
les grèves de septembre-novembre. Au cours de celles-ci, les
CRS
sont confrontées aux heurts parmi les plus violents de leur histoire
: un
CRS
est tué le 22 octobre et le corps compte une multitude de blessés
lors des assauts dans les mines 34. L'affrontement avec d'anciens
résistants habitués au combat clandestin et au sabotage porte à son
paroxysme la rencontre des CRS avec le maintien de l'ordre. La
ténacité dont font preuve les compagnies pendant ces troubles scelle
définitivement leur installation dans une spécialité propre. Dès
lors, la gestion de l'ordre public réclame plus que des compétences
personnelles de gardiens soucieux de témoigner de leur utilité
sociale et de leur capacité à maintenir l'ordre : la confrontation
aux troubles majeurs de ces années aboutit à l'imprégnation profonde
du maintien de l'ordre au sein de l'institution.
C'est aussi au lendemain de ces jours de grèves que se construit un
ensemble de représentations au sein de la population qui associe
désormais systématiquement CRS et maintien de l'ordre bien que
celui-ci soit aussi de la compétence des gendarmes mobiles ou des
polices urbaines. Ainsi codifiées dans les mentalités, les
CRS
inscrivent leurs pratiques dans un schéma de plus en plus clairement
défini de modalités d'action et d'intervention, et en formalisent un
ensemble de croyances et de représentations chez « l'usager » de
l'institution
CRS
qu'est le manifestant. Dès lors que cette typification est effectuée
par la population et que le succès d'un bon maintien de l'ordre ne
se résume plus aux qualités physiques des gardiens mais à
l'adéquation entre l'institution et les exigences du maintien de
l'ordre, le processus d'institutionnalisation engagé dès l'année
1945 se confirme en parvenant à autonomiser le fonctionnement de
l'institution par rapport aux seuls individus. Ainsi,
l'institutionnalisation, qui aboutit à une nouvelle forme
organisationnelle « établit un registre de compétences et de
pouvoirs attachés à des rôles, à des croyances, à une mémoire
collective et des mécanismes de transmissions des savoirs »
35.
(34) Voir à titre d'exemple les
événements de la • Grande Combe • rapportés par PINAUD (R.), op.
cit.
(35) VENNESSON (RI), 1997, Les
chevaliers de l'air, Paris, Presses de la FNSP, p. 35.
Une fois leur territoire d'interventions propres spécifiées et le
processus d'institutionnalisation fortement entamé, les CRS
utilisent l'appropriation du maintien de l'ordre pour modifier la
place qu'ils occupaient dans l'espace policier. La légitimité aux
yeux du gouvernement et la notoriété négative pour les ouvriers que
les
CRS
retirent de leurs interventions, garantissent la spécification d'un
territoire que nul ne leur contestera plus ouvertement comme cela
était le cas pendant les premières années. Après 1948, les
CRS
sont consacrées comme les forces de maintien de
l'ordre à part entière et les années
suivantes voient leur organisation encore gagner en rationalisation
et en structuration. Les compagnies vont bientôt devoir affronter
les mouvements sociaux de 1953, 1955, puis l'Algérie, qui achève de
les installer dans l'espace policier français.
En retour, cette spécialisation confirme la production d'un sens
pratique spécifiquement
CRS,
amorcée par l'instruction dispensée dans les compagnies et validée
empiriquement par les événements des années 1947-1948. La
démonstration de l'existence d'un véritable sens pratique
CRS
réclamerait davantage, et donc beaucoup trop de pages, mais celui-ci
devient bien le ciment de l'institution qui lui assure une
efficacité redoutable dans le maintien de l'ordre. Le meilleur
témoignage en est que les conclusions d'une étude menée quarante ans
après la création des
CRS
viennent prouver que l'apprentissage du gardien
CRS
ne comporte qu'une part infime d'assimilation individuelle et que la
technique professionnelle des
CRS
provient de leur fonctionnement collectif et de leur incorporation
d'une théorie sans cesse réactualisée et renégociée dans la pratique
36. Il faut attendre les années quatre-vingt-dix pour que l'on
envisage de fidéliser les
CRS
à d'autres missions que le maintien de l'ordre, tout en rappelant
que si les
CRS
peuvent être réquisitionnées pour des interventions de nature
diverse, elles restent toujours soumises à l'impératif prioritaire
du maintien de l'ordre. Une telle longévité, réaffirmée par
l'association des
CRS
au maintien de l'ordre dans les représentations, témoigne de
l'efficience de ce sens pratique, dont les années 1947-1948 ont été
les moments essentiels d'imprégnation.
(36) MONJARDET (D.), CHAUVENET (A.),
ORLIC (F.), 1986, Le maintien de l'ordre. Éléments de sociologie du
travail policier, II : les cas, rapport de recherche, Université
Paris VII, Paris.
Cédric
MOREAU
de
BELLAING
IEP Paris |
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