L'ACTION DES MANIFESTANTS

A L'ENCONTRE DES FORCES DE L'ORDRE

L'action des manifestants au cours des journées d'émeute de mai et de juin a revêtu des formes quelque peu différentes selon les lieux et les dates, mais les diverses manifestations présentent un certain nombre de points communs dans les formes d'action, qui font l'objet de l'étude suivante.

 

I - LES MANIFESTANTS

          Pour l'opinion, les manifestations qui, dès le 3 mai, ont abouti à de violents affrontements ont pour origine la révolte des "étudiants".

          Certes, les tout premiers jours de mai, ce sont bien les étudiants qui manifestent, et seuls, semble t-il.

Cependant, dès le 6 mai, les manifestations tournent à l'émeute. On remarque déjà la présence de "non étudiants", en particulier celle de nord africains, employés comme lanceurs de pavés.

Le 9 mai, on note la présence de jeunes lycéens.

Dans la nuit du 10 au 11 mai, on remarque, à la tête d'un groupe de 700 à 800 manifestants, une dizaine d'individus dont la tenue présente l'apparence de celle des élèves de l'Ecole Polytechnique (couleur kaki, galons jaunes, képi noir).

Cette même nuit voit réunis étudiants et non étudiants, français et étrangers. Parmi ces derniers, des Polonais, des Allemands, des Nord—Africains, des Espagnols, des Portugais etc. Des ouvriers de 17 à 40 ans sont reconnaissables, mais aussi des "blousons noirs". Au reste, plus de 50 % de personnes appréhendées n'appartiennent pas au milieu universitaire.

Le 13 mai, les responsables de l'U.N.E.F. déclarent à des officiers des C.R.S. être "débordés par des éléments non étudiants".

Le même phénomène est observé lors des affrontements des 23 et 25 mai.

A SOCHAUX, les étrangers à l'usine et à la région de MONTBELLIARD ne manquent pas. On note aussi la présence d'individus en tenue camouflée. Les maires et les responsables syndicaux avouent aussi être débordés.

 

II - LEUR ACTION

 

De tous les rapports de commandants d'unité, il ressort que l'action des manifestants n'était pas improvisée. Il apparaît en effet qu'ils obéissaient à des meneurs. Ceux—ci avaient un plan d'action, tant en ce qui concerne la tactique que l'utilisation des moyens. Ils ont su également adopter les procédés psychologiques propres à la subversion.

 

         1/ — l'encadrement

 

C'est d'abord l'U.N.E.F., dont les responsables jouent, au moins sur le terrain, un certain rôle. Elle met généralement en place un service d'ordre qui s'efforce de maintenir l'action des manifestants dans les limites des mots d'ordre donnés.

Il s'agit tantôt d'imposer une certaine modération, tantôt, au contraire, de faciliter des manœuvres offensives ou défensives. Néanmoins ce service d'ordre est, en plusieurs circonstances, débordé (cf. exemple du 13 mai précité), et, dès que commencent les affrontements, il perd toute emprise sur ses troupes au bénéfice de meneurs aguerris. Ces derniers, fréquemment munis de porte—voix, disposant de moyens de liaison (postes radio, estafettes) dirigent les opérations. C’est le cas des "aspirants" déjà cités lesquels, au premier rang, ordonnent de lancer des projectiles ou qui conseillent de tenir les toits et les terrasses. C'est aussi le cas des individus, vus par de nombreuses unités, alors qu'ils font édifier des barricades.

 

        2/ — Le_plan d'action

 

             A/ — la tactique

L'idée directrice des manifestants est l'utilisation intensive des barricades, à l'abri desquelles ils harcèlent les forces de l'ordre et qui leur permettent d'éviter le contact physique avec les policiers.

La mise en place de ces barricades se fait selon un plan concerté Souvent, la barricade principale, établie sur l'axe d'effort, est épaulée par d'autres barricades installées sur les voies adjacentes. Chacune d'elles est défendue du sol et des hauteurs. Que les forces de l'ordre vien­nent à investir l'obstacle principal, elles sont lapidées depuis les obstacles latéraux.

Dès qu'une barricade est prise, les manifestants se replient sur la barricade suivante.

Dans les grandes villes de province, la tactique employée est similaire.

A SOCHAUX, les manifestants sont également rompus à la technique des barricades et leur comportement se caractérise par un acharnement semblable.

 

             B/ — les moyens utilisés

 a/ Pour  le renseignement :

Les manifestants utilisent des agents de liaison motorisés (mobylettes et même "ambulances" de fortune), des postes radio et des guetteurs communiquant par téléphone.

b/ Pour l'édification des obstacles :

Les barricades sont faites à l'aide d'outils divers, de matériaux trouvés sur place et judicieusement utilisés : arbres sciés mécaniquement, bancs publics, panneaux de signalisation, pavés, portes d'immeubles, matériaux de chantiers, voitures, fats remplis de pierres, fils de fer, câbles d'acier, cordages etc.

Elles sont fréquemment arrosées de liquides inflammables et équipées d'engins explosifs et de produits chimiques dangereux (bouteilles d'acide sulfurique et d'acide chlorhydrique, soude caustique, bioxan, térébenthine, essence minérale).

Afin d'entraver la progression des forces de l'ordre, des véhicules sont parfois disposés le long des immeubles, ce qui oblige les policiers à emprunter, à découvert, le milieu de la chaussée.

 c/  Pour le harcèlement :

Tout sert d'armes ou de munitions : barres de fer, planches cloutées, manches de pioches, marteaux, hachettes, pinces, pavés, boulons, billes d'acier, morceaux de fer, tuiles, cheminées, ports de fleurs et surtout cocktails Molotov confectionnés selon des procédés artisanaux mais largement diffusés par tracts et affiches.

Le Commandant de la C.R.S. N° 7 rapporte que, rue St-Jacques, le 11 mai, vers 3 heures du matin, son unité a été prise dans un nuage de gaz suffocant et opaque dirigé sur elle à partir d'une barricade. Le personnel, très incommodé, a du se replier.

 

          3/ — Les procédés

 

Ils tendent à la mise en condition des manifestants en vue de l'action violente.

Dès les premiers jours de mai, alors même que les C.R.S. ne sont pas à PARIS, les meneurs imposent le slogan "C.R.S.- -S.S.".

Le slogan est adopté instantanément, car d'une grande percussion phonétique. La presse écrite et parlée en multiplie aussi l'impact, se faisant, volontairement ou non, l'alliée de la subversion.

Il faut, au reste, noter que des sévices commis par des éléments de la Préfecture de Police après les charges (cas de BEAUJON et des commissariats du 4ème et du 5ème arrondissements notamment) ont contribué à créer un climat de haine envers les C.R.S. A cet égard, un article de bonne foi écrit par le Dr. LE GUEN dans le Monde est significatif.

Un témoignage, certifié par une demi-douzaine de cinéastes en renom, publié dans COMBAT et FRANCE OBSERVATEUR et reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires sous forme de tracts par plusieurs organismes, accrédité dans le public l'existence de tortures et même d'un viol commis par les C.R.S.

De même le "livre noir des journées de mai" prête aux C.R.S. la quasi totalité des violences imputées à la police.

En cours de manifestation, des slogans des chants révolutionnaires et des cris sont lancés pour être repris en chœur. Des drapeaux rouges et noirs sont brandis, qui stimulent l'allant.

En outre, la forme et le ton des reportages des radios périphériques amplifiant le caractère insurrectionnel des manifestations. Ces informations apportent aux émeutiers des renseignements, quelquefois des directives, et toujours un encouragement moral. Les excès d'une certaine partie de la presse écrite produisent les mêmes effets.

 

III - LES AGRESSIONS DES MANIFESTANTS

 

Les manifestations sont caractérisées, dès leur début, par une extrême violence. En fait, il n'y a pas d'escalade dans les procèdes utilisés.

Cette volonté d'affrontement est marquée, dès le 6 mai, par l'emploi systématique de tous les moyens déjà énumérés. Des groupes d'émeutiers sont équipés pour le combat : tenue légère, casque, lunettes, masque à gaz. La préméditation est donc bien établie.

Au reste, un journaliste rapportera à un commandant d'unité la volonté exprimée par certains révolutionnaires de "manger du poulet".

Ainsi, les forces de l'ordre subissent des agressions incessantes dont la forme est identique quels que soient les jours et les lieux :

- lancer de projectiles de toute nature,

- emploi d'explosifs et de gaz suffocants,

- jet d'acide

- incendie des obstacles au moment de l'investissement,

- lâcher de voitures folles dans les rues en déclivité,

- épandage d'essence dans les caniveaux et inflammation de celle-ci.

Lors des premiers affrontements, des habitants du quartier se font les complices des émeutiers en leur permettant l'accès de leurs fenêtres ou de leurs balcons, voire en leur prêtant main-forte.

Devant la gravité des évènements, un revirement se produit bientôt et les exemples ne sont pas rares de personnes qui désapprouvent les manifestants (riverains, journalistes, étudiants et enseignants).

L'importance des dégâts occasionnés au domaine public et aux biens privés ainsi que le nombre des policiers blessés (3 fois supérieur en moyenne à celui des manifestants) prouve, à l'évidence, cette agressivité.

Pour les seules Compagnies Républicaines de Sécurité, le nombre des blessés se monte à 656, dont 332 ont dû cesser le service, soit environ 17 % des effectifs engagés.


                                                                                                  *****

Tout ce qui vient d'être exposé ci-dessus prouve, sans équivoque, que les forces de l'ordre se sont trouvées placées dans un climat prérévolutionnaire qui risque de connaître de nouveaux développements dans les mois à venir. Le répit actuel doit donc être pis à profit pour voir avec objectivité si certaines choses ne doivent pas être modifiées et comment.

-- En ce qui concerne les C.R.S., il est évident que la faiblesse numérique des effectifs, diminués avec régularité à chaque budget depuis 1962, constitue le premier handicap qu'il faut régler par priorité, afin de revenir au minimum aux effectifs d'organisation du Corps (15.000) et d'avoir ainsi des unités opérationnelles valables.

-- Malgré cela et en supposant que le recrutement s'opère dans les conditions de rapidité les meilleures (ce qui est peu probable si l'on en juge par les abstentions nombreuses de candidats au concours du 20 juin), il conviendra de fixer avec clairvoyance le choix des missions. En effet, ne pouvant être fort partout, on doit faire la part du feu et ne pas se laisser prendre à la solution de paresse qui consiste à essaimer les compagnies de-ci de-là, ce qui a pour conséquence d'être faible en tous lieux à la fois.

Chaque opération un peu sérieuse doit se faire avec un groupement opérationnel disposant de cinq compagnies, ce qui, en l'état actuel des effectifs, ne représente pas plus de 600 hommes.

Mais le commandant du groupement opérationnel doit diriger réellement, C'est pratiquement le cas en province où depuis l'application de la circulaire n° 315 du 25 mai 1965, des états-majors combinés sont constitués à la faveur de chaque opération et où le rôle de chaque chef de service est bien déterminé.

-           On se saurait dire qu'il en ait été de même à PARIS au cours des deux mois écoulés. Les commandants de compagnie sont unanimes pour se plaindre de la mauvaise utilisation des personnels faite par la Préfecture de Police à l'occasion des récentes opérations. Ils ont constaté l'inexistence de leurs groupements opérationnels, privés d'attributions réelles de commandement, l'éclatement et le fractionnement excessifs des unités, l'absence de renseignements au cours des opérations, la marche en aveugle qui leur était imposée d'un arrondissement à l'autre, les changements fréquents au cours d'un même service des commissaires à la disposition desquels on les plaçait, l'insuffisance technique de ces mêmes commissaires en matière d'ordre public et, enfin, l'absence à peu près totale d'idée de manœuvre face à des manifestants hostiles, instruits, décidés et rapides dans leurs interventions.

          Ces mêmes officiers ont eu le sentiment désagréable de subir et d'être ballotés d'un point à un autre, sans jamais savoir ce qui les attendait dans les minutes suivantes.

Il est évident qu'un tel état de choses n'est pas sans avoir de sérieuses répercussions sur le moral. C'est pourquoi, la situation étant redevenue normale, il convient de mettre à profit ce répit, de courte durée peut-être, pour voir de quelle manière on pourrait porter remède à cela.

Car il serait particulièrement fâcheux, après avoir souligné l'intelligence de la tactique et des procédés de l'adversaire, de laisser la police dans une situation d'infériorité, principalement due à un défaut d'organisation de son commandement.

Tout doit donc être mis en œuvre pour que dans les trois mois qui viennent un redressement et des changements profonds aient lieu dans ce domaine.

 

A — CREATION D'UNE COMMISSION D'ÉTUDES

       Pour cela, et en ce qui concerne PARIS, il paraît souhaitable de désigner une Commission d'Etudes composée d'officiers de l'armée de terre, de la gendarmerie et des C.R.S., ainsi que de commissaires de police, l'ensemble étant placé sous la présidence du Préfet de Police.

Cette commission siégeant en permanence au cours de l'été serait chargée de l'étude du maintien de l'ordre dans PARIS. Elle devrait prendre à bras le corps tous les problèmes dont l'énumération ci-après de quelques uns d'entre eux permettra de juger de l'ampleur.

       Organisation d'un véritable E.M. combiné, se substituant à celui de la Police Municipale, insuffisant techniquement, car il faut bien reconnaître en toute honnêteté que les commissaires de police n'ont jamais été préparés techniquement au commandement tactique d'unités de maintien de l'ordre, pas plus qu'aux combats de rue dans une crise prérévolutionnaire.

Dans un Etat-major de ce type, chaque chef de service, à quelque corps qu'il appartienne doit avoir un véritable rôle à jouer dans l'étude et l'élaboration des ordres au sujet des missions dont on reparlera plus loin.

il importe, du reste, que les membres désignés de la Commission d'Etudes, acquièrent, s'ils ne l'ont déjà une connaissance sérieuse de tout ce qui touche à la guerre révolutionnaire, car la Commission aura, entre autre, la charge d'étudier les diverses hypothèses de manœuvre, permettant de combattre d'adversaire avec des armes analogues, l'obligeant à se dévoiler, le pressant sans cesse, afin de lui retirer ce qu'il a eu jusqu'à ce jour, c'est à dire, l'initiative.

Cette commission devra donc avoir aussi un grand potentiel d'imagination.

       Après l'étude de l'organisation d'un véritable Etat-major combiné, elle devra étudier la composition des groupements tactiques opérationnels qui, se partageant divers secteurs d'une importance variable et à déterminer devront être obligatoirement commandés sur le terrain par des officiers supérieurs des corps intéressés, responsables réels, ainsi que cela se passe dans toute la France sauf à PARIS. Les commissaires "adaptés" à chaque secteur, devront par contre être prêt à faire les sommations en temps utiles, et à fournir tous renseignements complémentaires précieux sur certains aspects qu'ils connaissent particulièrement bien. Les commandants de groupement tactiques, disposant d'un nombre suffisant d'unités, connaissant parfaitement les instructions de l'Etat-major combiné, avec lequel ils seront, du reste, en liaison constante, pourront enfin, manœuvrer, ce qui ne s'est guère fait au cours des semaines passées.

       la commission de travail devrait, en outre, inclure dans son programme l'étude des moyens matériels définitifs que l'on est surpris de ne pas voir figurer depuis longtemps dans PARIS. Par exemple, on constate chaque fois que l'on veut interdire l'accès ou le franchissement d'un pont sur la Seine que l'ont est contraint de déployer une ou deux Compagnies alors que s'il existait des obstacles étudiés dans ce but, stockés à proximité de ces points de passage, on pourrait réaliser une économie sensible de personnel, souvent bien utile ailleurs au même instant. Il pourrait en être de même pour quelques points essentiels dans la capitale (Élysée, Assemblée Nationale, Ministères, O.R.T.F. etc...) ainsi que pour réaliser un quadrillage qui à tout moment, dans des périodes d'agitation extrême, peut s'avérer indispensable pour fixer les manifestants.

       la commission devrait aussi étudier de quelle façon il serait possible de diminuer la capacité d'agressivité de l'adversaire. Dans PARIS, par exemple, il faudra bien se résoudre à ce que dans les rues "chaudes" les pavés soient remplacés par le ciment ou même le goudron, que les grilles des arbres fassent place à des bordures cimentées, que les bans publics soient inarrachables, peut être même que des haies d'arbustes se substituant aux files d'arbres, malgré les inconvénients qui risquent d'en découler pour le charme de la capitale. Il faudra conduire l'étude de ce chapitre avec un état d'esprit de "manifestant", qui pense à ce qu'il pourrait bien utiliser pour construire des barricades. Il est évident que jusqu'à présent nos adversaires ont eu la tâche bien facilitée par la complète passivité dont on a fait preuve dans ce domaine.

       Les études concernant le logement des forces d'appoint nécessaires dans la capitale, l'interpénétration des moyens de transmissions et bien d'autres choses, trouveront aussi leur place dans tous ces travaux. Cependant, il demeure encore quelques points essentiels que l'on ne saurait passer sous silence et sur lesquels même l'attention de la Commission d'étude devrait être tout particulièrement attirée.

-           Préparation et exécution d'exercices de cadres trimestriels à partir d'hypothèses concrètes afin d'habituer civils et militaires à travailler ensemble, et, par conséquent, à mieux se connaitre et s'estimer mutuellement.

       Etudes de cas concrets permettant de déterminer, pour chaque hypothèse de manœuvre, les moyens humains et matériels nécessaires afin de ne plus connaître d'emplois abusifs. C'est ainsi que certaines compagnies sont restées en service pendant 20 heures consécutives, il est évident que cela ne doit plus se reproduire.

       Etablissement des dossiers de secteurs, très documentés, fréquemment tenus à jour et destinés à être remis à chaque commandant de groupement opérationnel dès son arrivée dans la capitale, afin que les unités ayant    intervenir ne soient pas
aveugles, mais bien au fait des difficultés de la mission qui leur sera confiée.

Pour en terminer avec cette commission à l'échelon de la capitale on peut simplement dire que la liste des travaux énumérés ci-dessus est loin d'être limitative et que le seul fait de la création d'un tel organisme permettrait d'en découvrir d'autres.

Enfin, il serait également souhaitable que de telles commissions, un peu comparables, du reste, à celles prévues au titre de la Défense Civile, soient mises sur pied de la même façon et pour des travaux identiques, dans chaque chef lieu de zone de défense.

 

B - DEROULEMENT DES OPERATIONS

Il semble évident de dire que les opérations doivent être montées avec le plus grand soin. Cela est d'autant plus utile que les forces de l'ordre sont et seront toujours faibles numériquement.

       Un chef doit toujours être désigné, au sein d'un Etat-major combiné ou chaque responsable d'un service doit contribuer à l'élaboration des décisions. En outre, avant toute opération d'envergure, l'ensemble des commandants d'unité doit être "briffé" afin qu'ils connaissent parfaitement les buts, les difficultés, les idées de manœuvre et, au besoin, l'aide qui pourra leur être consentie.

- Il conviendra aussi, dans l'avenir, de contrôler par tous les moyens de renseignements possibles l'exactitude des assertions avancées par certains chefs d'entreprises. C'est ainsi que les responsables des usines Renault et Peugeot avaient affirmé à leur Préfet respectif que l'évacuation une fois faite à Flins et à Sochaux tout serait réglé, car ils étaient surs du retour au calme.

On sait, malheureusement, qu'ils se trompaient totalement et que, à Sochaux, en particulier, leur inconséquence a mis les forces de l'ordre dans une situation très difficile au cours d'une opération mal préparée et conduite avec des effectifs insuffisants.

 

Il s'agit là de fautes lourdes, aux conséquences très sérieuses, sévèrement jugées par les cadres des C.R.S. et que l'on n'a pas le droit de renouveler.

- Enfin, au moment de l'action, il ne faut surtout pas que plusieurs autorités interfèrent. En province, c'est rarement le cas, le Préfet étant seul responsable. A PARIS, il n'en est pas de même et l'on assiste trop souvent à un circuit parallèle d'ordres et de contre-ordres émanant aussi bien du cabinet du ministre et du secrétariat général, que du cabinet du Directeur Général de la Sûreté Nationale ou de celui du Préfet de Police, ce qui n'aboutit, en définitive, qu'à la création d'un climat de confusion au détriment de l'efficacité.

Si, en cours d'opérations, de nouvelles directives ministérielles s'avèrent nécessaires, elles doivent être transmises au responsable de l'opération (Préfet de Police) par un seul haut fonctionnaire désigné à l'avance à cet effet.

  

C - ORIENTATION DES C.RS,

- Au cours de ces semaines révolutionnaires, les C.R.S. ont bien fait leur travail, malgré les inconvénients d'un emploi souvent peu orthodoxe et une très grande agressivité de la part des manifestants.

Le personnel a besoin de repos physique et moral car il n'est durement ressenti de cette période, Les cadres comme les hommes ont constaté la fragilité relative du corps auquel ils appartiennent et les inconvénients dus aussi bien à la faiblesse des effectifs budgétaires qu'à l'absence corrélative de toute réserve lorsqu'il y a de nombreux blessés au cours des opérations.

D'autre part, les formules d'emploi périmées, ainsi que les horaires d'utilisation abusifs dans PARIS (certaines compagnies ont fait parfois 20 heures de service consécutives) les ont fâcheusement impressionnés.

Enfin, les officiers de tous grades estiment, et on ne saurait leur donner tort, qu'il n'est guère possible de continuer à laisser les C.R.S. dans la position qu'elles occupent au sein de la Police Nationale.

A ce sujet, il est bien certain que le choix auquel on a procédé le ler janvier 1968 et qui a consisté à réunir les polices urbaines et les C.R.S. dans une direction commune de la sécurité publique avait pour but de transformer peu à peu ces formations en simples unités de gardiens de la paix sans grand relief et sans personnalité, destinées surtout à renforcer l'action des corps urbains et à contribuer au redressement de ces derniers. La part faite au maintien de l'ordre dans cette hypothèse était mince, car la plupart de ceux qui ont élaboré la réforme de la Police étaient loin de penser que le maintien de l'ordre serait quelques mois plus tard la dominante des préoccupations gouvernementales. N'allait-on pas jusqu'à dire même dans certains milieux que la suppression de cinquante pour cent des C.R.S. serait une bonne chose !

Mais le réveil a été brutal et immédiatement on a demandé, comme d'habitude, aux C.R.S. d'être à la pointe du combat et de redevenir du jour au lendemain des troupes de choc aguerries et militarisées.

Cette, alternance d'orientation est très mauvaise et si elle a réussi cette fois encore, pour la dernière fois probablement si aucune décision n'intervient, c'est parce que les différents rouages de commandement des C.R.S., à l'échelon supérieur, n'avaient pas encore été intégrés complètement dans le mixage prévu de la Direction de la Sécurité Publique.

Il faut donc bien réfléchir à cette affaire et savoir ce que l'on veut exactement faire des C.R.S.

-                Si le gouvernement estime que ces formations doivent être de plus en plus fondues avec les corps urbains, le choix de janvier 1968 (Direction de la Sécurité Publique) demeure valable et on doit poursuivre sa mise en application. Il faut seulement admettre que cela aura pour conséquence de faire peu à peu disparaître les C.R.S. du noyau des forces vives du maintien de l'ordre et qu'il conviendra de renforcer rapidement les effectifs de la Gendarmerie Mobile. Car il est impossible, en effet, d'orienter des unités pendant de longues périodes vers des tâches paisibles de police urbaine et de les transformer en compagnies puissantes pour le maintien de l'ordre du jour au lendemain.

De telles unités seraient un leurre et n'auraient ni technique, ni cohésion, ni efficacité.

-                Si, au contraire, le gouvernement, en raison des circonstances, pense que les C.R.S. doivent continuer à être ce corps mobile, structuré et spécifique que, dès 1958, par le décret n° 48-605 du 26 mars 1948, on avait désiré qu'il soit, il faut alors :

1° - donner aux C.R.S. un statut différent de celui des Corps Urbains,

2° - accorder à son commandement central toutes les facilités de direction et de fonctionnement qui ne peuvent être pleinement réalisées que dans une indépendance recouvrée, en dehors de la Direction de la Sécurité Publique.

           Ce choix est très important pour les mois à venir, car s'il n'a pas lieu rapidement, il ne faut pas s'attendre, dans l'hypothèse d'une nouvelle période révolutionnaire éclatant dans quelques mois, à ce que les C.R.S. aient le même comportement que celui qui a été le leur cette fois-ci.