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L'ACTION DES MANIFESTANTS
A L'ENCONTRE DES FORCES DE
L'ORDRE |
L'action des manifestants au cours
des journées d'émeute de mai et de juin a revêtu des formes quelque
peu différentes selon les lieux et les dates, mais les diverses
manifestations présentent un certain nombre de points communs dans
les formes d'action, qui font l'objet de l'étude suivante.
I - LES MANIFESTANTS
Pour l'opinion, les manifestations qui, dès le 3 mai, ont
abouti à de violents affrontements ont pour origine la révolte des
"étudiants".
Certes, les tout premiers jours de mai, ce sont bien les
étudiants qui manifestent, et seuls, semble t-il.
Cependant, dès le 6 mai, les
manifestations tournent à l'émeute. On remarque déjà la présence de
"non étudiants", en particulier celle de nord africains, employés
comme lanceurs de pavés.
Le 9 mai, on note la présence de
jeunes lycéens.
Dans la nuit du 10 au 11 mai, on
remarque, à la tête d'un groupe de 700 à 800 manifestants, une
dizaine d'individus dont la tenue présente l'apparence de celle des
élèves de l'Ecole Polytechnique (couleur kaki, galons jaunes, képi
noir).
Cette même nuit voit réunis
étudiants et non étudiants, français et étrangers. Parmi ces
derniers, des Polonais, des Allemands, des Nord—Africains, des
Espagnols, des Portugais etc. Des ouvriers de 17 à 40 ans sont
reconnaissables, mais aussi des "blousons noirs". Au reste, plus de
50 % de personnes appréhendées n'appartiennent pas au milieu
universitaire.
Le 13 mai, les responsables de
l'U.N.E.F. déclarent à des officiers des C.R.S. être "débordés par
des éléments non étudiants".
Le même phénomène est observé lors
des affrontements des 23 et 25 mai.
A SOCHAUX, les étrangers à l'usine
et à la région de MONTBELLIARD ne manquent pas. On note aussi la
présence d'individus en tenue camouflée. Les maires et les
responsables syndicaux avouent aussi être débordés.
II - LEUR ACTION
De tous les rapports de commandants
d'unité, il ressort que l'action des manifestants n'était pas
improvisée. Il apparaît en effet qu'ils obéissaient à des meneurs.
Ceux—ci avaient un plan d'action, tant en ce qui concerne la
tactique que l'utilisation des moyens. Ils ont su également adopter
les procédés psychologiques propres à la subversion.
1/ — l'encadrement
C'est d'abord l'U.N.E.F., dont les
responsables jouent, au moins sur le terrain, un certain rôle. Elle
met généralement en place un service d'ordre qui s'efforce de
maintenir l'action des manifestants dans les limites des mots
d'ordre donnés.
Il s'agit tantôt d'imposer une
certaine modération, tantôt, au contraire, de faciliter des
manœuvres offensives ou défensives. Néanmoins ce service d'ordre
est, en plusieurs circonstances, débordé (cf. exemple du 13 mai
précité), et, dès que commencent les affrontements, il perd toute
emprise sur ses troupes au bénéfice de meneurs aguerris. Ces
derniers, fréquemment munis de porte—voix, disposant de moyens de
liaison (postes radio, estafettes) dirigent les opérations. C’est le
cas des "aspirants" déjà cités lesquels, au premier rang, ordonnent
de lancer des projectiles ou qui conseillent de tenir les toits et
les terrasses. C'est aussi le cas des individus, vus par de
nombreuses unités, alors qu'ils font édifier des barricades.
2/ — Le_plan d'action
A/ — la tactique
L'idée directrice des manifestants
est l'utilisation intensive des barricades, à l'abri desquelles ils
harcèlent les forces de l'ordre et qui leur permettent d'éviter le
contact physique avec les policiers.
La mise en place de ces barricades
se fait selon un plan concerté Souvent, la barricade principale,
établie sur l'axe d'effort, est épaulée par d'autres barricades
installées sur les voies adjacentes. Chacune d'elles est défendue du
sol et des hauteurs. Que les forces de l'ordre viennent à investir
l'obstacle principal, elles sont lapidées depuis les obstacles
latéraux.
Dès qu'une barricade est prise, les
manifestants se replient sur la barricade suivante.
Dans les grandes villes de province,
la tactique employée est similaire.
A SOCHAUX, les manifestants sont
également rompus à la technique des barricades et leur comportement
se caractérise par un acharnement semblable.
B/ — les moyens utilisés
a/
Pour le renseignement :
Les manifestants utilisent des
agents de liaison motorisés (mobylettes et même "ambulances" de
fortune), des postes radio et des guetteurs communiquant par
téléphone.
b/ Pour l'édification des
obstacles :
Les barricades sont faites à l'aide
d'outils divers, de matériaux trouvés sur place et judicieusement
utilisés : arbres sciés mécaniquement, bancs publics, panneaux de
signalisation, pavés, portes d'immeubles, matériaux de chantiers,
voitures, fats remplis de pierres, fils de fer, câbles d'acier,
cordages etc.
Elles sont fréquemment arrosées de
liquides inflammables et équipées d'engins explosifs et de produits
chimiques dangereux (bouteilles d'acide sulfurique et d'acide
chlorhydrique, soude caustique, bioxan, térébenthine, essence
minérale).
Afin d'entraver la progression des
forces de l'ordre, des véhicules sont parfois disposés le long des
immeubles, ce qui oblige les policiers à emprunter, à découvert, le
milieu de la chaussée.
c/
Pour le harcèlement :
Tout sert d'armes ou de munitions :
barres de fer, planches cloutées, manches de pioches, marteaux,
hachettes, pinces, pavés, boulons, billes d'acier, morceaux de fer,
tuiles, cheminées, ports de fleurs et surtout cocktails Molotov
confectionnés selon des procédés artisanaux mais largement diffusés
par tracts et affiches.
Le Commandant de la C.R.S. N° 7
rapporte que, rue St-Jacques, le 11 mai, vers 3 heures du matin, son
unité a été prise
dans un nuage de gaz suffocant et opaque dirigé sur elle à partir
d'une barricade. Le personnel, très incommodé, a du se replier.
3/ — Les procédés
Ils tendent à la mise en condition
des manifestants en vue de l'action violente.
Dès les premiers jours de mai, alors
même que les C.R.S. ne sont pas à PARIS, les meneurs imposent le
slogan "C.R.S.- -S.S.".
Le slogan est adopté instantanément,
car d'une grande percussion phonétique. La presse écrite et parlée
en multiplie aussi l'impact, se faisant, volontairement ou non,
l'alliée de la subversion.
Il faut, au reste, noter que des
sévices commis par des éléments de la Préfecture de Police après les
charges (cas de BEAUJON et des commissariats du 4ème et du 5ème
arrondissements notamment) ont contribué à créer un climat de haine
envers les C.R.S. A cet égard, un article de bonne foi écrit par le
Dr. LE GUEN dans le Monde est significatif.
Un témoignage, certifié par une
demi-douzaine de cinéastes en renom, publié dans COMBAT et FRANCE
OBSERVATEUR et reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires
sous forme de tracts par plusieurs organismes, accrédité dans le
public l'existence de tortures et même d'un viol commis par les
C.R.S.
De même le "livre noir des journées
de mai" prête aux C.R.S. la quasi totalité des violences imputées à
la police.
En cours de manifestation, des
slogans des chants révolutionnaires et des cris sont lancés pour
être repris en chœur. Des drapeaux rouges et noirs sont brandis, qui
stimulent l'allant.
En outre, la forme et le ton des
reportages des radios périphériques amplifiant le caractère
insurrectionnel des manifestations. Ces informations apportent aux
émeutiers des renseignements, quelquefois des directives, et
toujours un encouragement moral. Les excès d'une certaine partie de
la presse écrite produisent les mêmes effets.
III - LES AGRESSIONS DES
MANIFESTANTS
Les manifestations sont
caractérisées, dès leur début, par une extrême violence. En fait, il
n'y a pas d'escalade dans les procèdes utilisés.
Cette volonté d'affrontement est
marquée, dès le 6 mai, par l'emploi systématique de tous les moyens
déjà énumérés. Des groupes d'émeutiers sont équipés pour le combat :
tenue légère, casque, lunettes, masque à gaz. La préméditation est
donc bien établie.
Au reste, un journaliste rapportera
à un commandant d'unité la volonté exprimée par certains
révolutionnaires de "manger du poulet".
Ainsi, les forces de l'ordre
subissent des agressions incessantes dont la forme est identique
quels que soient les jours et les lieux :
- lancer de projectiles de toute
nature,
- emploi d'explosifs et de gaz
suffocants,
- jet d'acide
- incendie des obstacles au moment
de l'investissement,
- lâcher de voitures folles dans les
rues en déclivité,
- épandage d'essence dans les
caniveaux et inflammation de celle-ci.
Lors des premiers affrontements, des
habitants du quartier se font les complices des émeutiers en leur
permettant l'accès de leurs fenêtres ou de leurs balcons, voire en
leur prêtant main-forte.
Devant la gravité des évènements, un
revirement se produit bientôt et les exemples ne sont pas rares de
personnes qui désapprouvent les manifestants (riverains,
journalistes, étudiants et enseignants).
L'importance des dégâts occasionnés
au domaine public et aux biens privés ainsi que le nombre des
policiers blessés (3 fois supérieur en moyenne à celui des
manifestants) prouve, à l'évidence, cette agressivité.
Pour les seules Compagnies
Républicaines de Sécurité, le nombre des blessés se monte à 656,
dont 332 ont dû cesser le service, soit environ 17 % des effectifs
engagés. *****
Tout ce
qui vient d'être exposé ci-dessus prouve, sans équivoque, que les
forces de l'ordre se sont trouvées placées dans un climat
prérévolutionnaire qui risque de connaître de nouveaux
développements dans les mois à venir. Le répit actuel doit donc être
pis à profit pour voir avec objectivité si certaines choses ne
doivent pas être modifiées et comment.
-- En ce
qui concerne les C.R.S., il est évident que la faiblesse numérique
des effectifs, diminués avec régularité à chaque budget depuis 1962,
constitue le premier handicap qu'il faut régler par priorité, afin
de revenir au minimum aux effectifs d'organisation du Corps (15.000)
et d'avoir ainsi des unités opérationnelles valables.
-- Malgré
cela et en supposant que le recrutement s'opère dans les conditions
de rapidité les meilleures (ce qui est peu probable si l'on en juge
par les abstentions nombreuses de candidats au concours du 20 juin),
il conviendra de fixer avec clairvoyance le choix des missions. En
effet, ne pouvant être fort partout, on doit faire la part du feu et
ne pas se laisser prendre à la solution de paresse qui consiste à
essaimer les compagnies de-ci de-là, ce qui a pour conséquence
d'être faible en tous lieux à la fois.
Chaque
opération un peu sérieuse doit se faire avec un groupement
opérationnel disposant de cinq compagnies, ce qui, en l'état actuel
des effectifs, ne représente pas plus de 600 hommes.
Mais le
commandant du groupement opérationnel doit diriger réellement, C'est
pratiquement le cas en province où depuis l'application de la
circulaire n° 315 du 25 mai 1965, des états-majors combinés sont
constitués à la faveur de chaque opération et où le rôle de chaque
chef de service est bien déterminé.
-
On se
saurait dire qu'il en ait été de même à PARIS au cours des deux mois
écoulés. Les commandants de compagnie sont unanimes pour se plaindre
de la mauvaise utilisation des personnels faite par la Préfecture de
Police à l'occasion des récentes opérations.
Ils ont constaté
l'inexistence de leurs groupements opérationnels, privés
d'attributions réelles de commandement, l'éclatement et le
fractionnement excessifs des unités, l'absence de renseignements au
cours des opérations, la marche en aveugle qui leur était imposée
d'un arrondissement à l'autre, les changements fréquents au cours
d'un même service des commissaires à la disposition desquels on les
plaçait, l'insuffisance technique de ces mêmes commissaires en
matière d'ordre public et, enfin, l'absence à peu près totale d'idée
de manœuvre face à des manifestants hostiles, instruits, décidés et
rapides dans leurs interventions.
Ces mêmes officiers ont eu le sentiment désagréable de subir et
d'être ballotés d'un point à un autre, sans jamais savoir ce qui les
attendait dans les minutes suivantes.
Il est
évident qu'un tel état de choses n'est pas sans avoir de sérieuses
répercussions sur le moral. C'est pourquoi, la situation étant
redevenue normale, il convient de mettre à profit ce répit, de
courte durée peut-être, pour voir de quelle manière on pourrait
porter remède à cela.
Car il
serait particulièrement fâcheux, après avoir souligné l'intelligence
de la tactique et des procédés de l'adversaire, de laisser la police
dans une situation d'infériorité, principalement due à un défaut
d'organisation de son commandement.
Tout doit
donc être mis en œuvre pour que dans les trois mois qui viennent un
redressement et des changements profonds aient lieu dans ce domaine.
A —
CREATION
D'UNE COMMISSION D'ÉTUDES
—
Pour
cela, et en ce qui concerne PARIS, il paraît souhaitable de désigner
une Commission d'Etudes composée d'officiers de l'armée de terre, de
la gendarmerie et des C.R.S., ainsi que de commissaires de police,
l'ensemble étant placé sous la présidence du Préfet de Police.
Cette
commission siégeant en permanence au cours de l'été serait chargée
de l'étude du maintien de l'ordre dans PARIS. Elle devrait prendre à
bras le corps tous les problèmes dont l'énumération ci-après de
quelques uns d'entre eux permettra de juger de l'ampleur.
—
Organisation
d'un
véritable E.M. combiné, se substituant à celui de la Police
Municipale, insuffisant techniquement, car il faut bien reconnaître
en toute honnêteté que les commissaires de police n'ont jamais été
préparés techniquement au commandement tactique d'unités de
maintien
de
l'ordre, pas plus qu'aux combats de rue dans une crise
prérévolutionnaire.
Dans un
Etat-major de ce type, chaque chef de service, à quelque corps qu'il
appartienne doit avoir un véritable rôle à jouer dans l'étude et
l'élaboration des ordres au sujet des missions dont on reparlera
plus loin.
il
importe,
du reste,
que
les
membres désignés de
la
Commission d'Etudes, acquièrent, s'ils
ne l'ont
déjà une connaissance sérieuse de tout ce qui touche à la guerre
révolutionnaire, car la Commission aura, entre autre, la charge
d'étudier les diverses hypothèses de manœuvre, permettant de
combattre d'adversaire avec des armes analogues, l'obligeant à se
dévoiler, le pressant sans cesse, afin de lui retirer ce qu'il a eu
jusqu'à ce jour, c'est à dire, l'initiative.
Cette
commission devra donc avoir aussi un grand potentiel d'imagination.
—
Après l'étude
de l'organisation d'un véritable Etat-major combiné, elle devra étudier
la composition des groupements tactiques opérationnels qui, se
partageant divers secteurs d'une importance variable et à déterminer
devront être obligatoirement commandés sur le terrain par des officiers
supérieurs des corps intéressés, responsables réels, ainsi que cela se
passe dans toute la France sauf à PARIS. Les commissaires "adaptés" à
chaque secteur, devront par contre être prêt à faire les sommations en
temps utiles, et à fournir tous renseignements complémentaires précieux
sur certains aspects qu'ils connaissent particulièrement bien. Les
commandants de groupement tactiques, disposant d'un nombre suffisant
d'unités, connaissant parfaitement les instructions de l'Etat-major
combiné, avec lequel ils seront, du reste, en liaison constante,
pourront enfin, manœuvrer, ce qui ne s'est guère fait au cours des
semaines passées.
—
la commission
de travail devrait, en outre, inclure dans son programme l'étude des
moyens matériels définitifs que l'on est surpris de ne pas voir figurer
depuis longtemps dans PARIS. Par exemple, on constate chaque fois que
l'on veut interdire l'accès ou le franchissement d'un pont sur la Seine
que l'ont est contraint de déployer une ou deux Compagnies alors que
s'il existait des obstacles étudiés dans ce but, stockés à proximité de
ces points de passage, on pourrait réaliser une économie sensible de
personnel, souvent bien utile ailleurs au même instant. Il pourrait en
être de même pour quelques points essentiels dans la capitale (Élysée,
Assemblée Nationale, Ministères, O.R.T.F. etc...) ainsi que pour
réaliser un quadrillage qui à tout moment, dans des périodes d'agitation
extrême, peut s'avérer indispensable pour fixer les manifestants.
—
la commission
devrait aussi étudier de quelle façon il serait possible de diminuer la
capacité d'agressivité de l'adversaire. Dans PARIS, par exemple, il
faudra bien se résoudre à ce que dans les rues "chaudes" les pavés
soient remplacés par le ciment ou même le goudron, que les grilles des
arbres fassent place à des bordures cimentées, que les bans publics
soient inarrachables, peut être même que des haies d'arbustes
se
substituant
aux files d'arbres, malgré les inconvénients qui risquent d'en découler
pour le charme de la capitale.
Il
faudra
conduire l'étude de ce chapitre avec un état d'esprit de "manifestant",
qui pense à ce qu'il pourrait bien utiliser pour construire des
barricades. Il est évident que jusqu'à présent nos adversaires ont eu la
tâche bien facilitée par la complète passivité dont on a fait preuve
dans ce domaine.
—
Les études
concernant le logement des forces d'appoint nécessaires dans la
capitale, l'interpénétration des moyens de transmissions et bien
d'autres choses, trouveront aussi leur place dans tous ces travaux.
Cependant, il demeure encore quelques points essentiels que l'on ne
saurait passer sous silence et sur lesquels même l'attention de la
Commission d'étude devrait être tout particulièrement attirée.
-
Préparation
et exécution d'exercices de cadres trimestriels à partir d'hypothèses
concrètes afin d'habituer civils et militaires à travailler ensemble,
et, par conséquent, à mieux se connaitre et s'estimer mutuellement.
—
Etudes de cas
concrets permettant de déterminer, pour chaque hypothèse de manœuvre,
les moyens humains et matériels nécessaires afin de ne plus connaître
d'emplois abusifs. C'est ainsi que certaines compagnies sont restées en
service pendant 20 heures consécutives, il est évident que cela ne doit
plus se reproduire.
—
Etablissement
des dossiers de secteurs, très documentés, fréquemment tenus à jour et
destinés à être remis à chaque commandant de groupement opérationnel dès
son arrivée dans la capitale, afin que les unités ayant
intervenir ne soient pas
Pour en
terminer avec cette commission à l'échelon de la capitale on peut
simplement dire que la liste des travaux énumérés ci-dessus est loin
d'être limitative et que le seul fait de la création d'un tel organisme
permettrait d'en découvrir d'autres.
Enfin, il
serait également souhaitable que de telles commissions, un peu
comparables, du reste, à celles prévues au titre de la Défense Civile,
soient mises sur pied de la même façon et pour des travaux identiques,
dans chaque chef lieu de zone de défense.
B -
DEROULEMENT DES OPERATIONS
Il semble
évident de dire que les opérations doivent être montées avec le plus
grand soin. Cela est d'autant plus utile que les forces de l'ordre sont
et seront toujours faibles numériquement.
—
Un chef doit
toujours être désigné, au sein d'un Etat-major combiné ou chaque
responsable d'un service doit contribuer à l'élaboration des décisions.
En outre, avant toute opération d'envergure, l'ensemble des commandants
d'unité doit être "briffé" afin qu'ils connaissent parfaitement les
buts, les difficultés, les idées de manœuvre et, au besoin, l'aide qui
pourra leur être consentie.
- Il
conviendra aussi, dans l'avenir, de contrôler par tous les moyens de
renseignements possibles l'exactitude des assertions avancées par
certains chefs d'entreprises. C'est ainsi que les responsables des
usines Renault et Peugeot avaient affirmé à leur Préfet respectif que
l'évacuation une fois faite à Flins et à Sochaux tout serait réglé, car
ils étaient surs du retour au calme.
On sait,
malheureusement, qu'ils se trompaient totalement et que, à Sochaux, en
particulier, leur inconséquence a mis les forces de l'ordre dans une
situation très difficile au cours d'une opération mal préparée et
conduite avec des effectifs insuffisants.
Il s'agit là
de fautes lourdes, aux conséquences très sérieuses, sévèrement jugées
par les cadres des C.R.S. et que l'on n'a pas le droit de renouveler.
- Enfin, au
moment de l'action, il ne faut surtout pas que plusieurs autorités
interfèrent. En province, c'est rarement le cas, le Préfet étant seul
responsable. A PARIS, il n'en est pas de même et l'on assiste trop
souvent à un circuit parallèle d'ordres et de contre-ordres émanant
aussi bien du cabinet du ministre et du secrétariat général, que du
cabinet du Directeur Général de la Sûreté Nationale ou de celui du
Préfet de Police, ce qui n'aboutit, en définitive, qu'à la création d'un
climat de confusion au détriment de l'efficacité.
Si, en cours
d'opérations, de nouvelles directives ministérielles s'avèrent
nécessaires, elles doivent être transmises au responsable de l'opération
(Préfet de Police) par un seul haut fonctionnaire désigné à l'avance à
cet effet.
C -
ORIENTATION DES C.RS,
- Au cours de
ces semaines révolutionnaires, les C.R.S. ont bien fait leur travail,
malgré les inconvénients d'un emploi souvent peu orthodoxe et une très
grande agressivité de la part des manifestants.
Le personnel
a besoin de repos physique et moral car il n'est durement ressenti de
cette période, Les cadres comme les hommes ont constaté la fragilité
relative du corps auquel ils appartiennent et les inconvénients dus
aussi bien à la faiblesse des effectifs budgétaires qu'à l'absence
corrélative de toute réserve lorsqu'il y a de nombreux blessés au cours
des opérations.
D'autre part,
les formules d'emploi périmées, ainsi que les horaires d'utilisation
abusifs dans PARIS (certaines compagnies ont fait parfois 20 heures de
service consécutives) les ont fâcheusement impressionnés.
Enfin, les
officiers de tous grades estiment, et on ne saurait leur donner tort,
qu'il n'est guère possible de continuer à laisser les C.R.S. dans la
position qu'elles occupent au sein de la Police Nationale.
A ce sujet,
il est bien certain que le choix auquel on a procédé le ler janvier 1968
et qui a consisté à réunir les polices urbaines et les C.R.S. dans une
direction commune de la sécurité publique avait pour but de transformer
peu à peu ces formations en simples unités de gardiens de la paix sans
grand relief et sans personnalité, destinées surtout à renforcer
l'action des corps urbains et à contribuer au redressement de ces
derniers. La part faite au maintien de l'ordre dans cette hypothèse
était mince, car la plupart de ceux qui ont élaboré la réforme de la
Police étaient loin de penser que le maintien de l'ordre serait quelques
mois plus
tard la dominante des préoccupations gouvernementales. N'allait-on pas
jusqu'à dire même dans certains milieux que la suppression de cinquante
pour cent des C.R.S. serait une bonne chose !
Mais le
réveil a été brutal et immédiatement on a demandé, comme d'habitude, aux
C.R.S. d'être à la pointe du combat et de redevenir du jour au lendemain
des troupes de choc aguerries et militarisées.
Cette,
alternance d'orientation est très mauvaise et si elle a réussi cette
fois encore, pour la dernière fois probablement si aucune décision
n'intervient, c'est parce que les différents rouages de commandement des
C.R.S., à l'échelon supérieur, n'avaient pas encore été intégrés
complètement dans le mixage prévu de la Direction de la Sécurité
Publique.
Il faut donc
bien réfléchir à cette affaire et savoir ce que l'on veut exactement
faire des C.R.S.
-
Si le
gouvernement estime que ces formations doivent être de plus en plus
fondues avec les corps urbains, le choix de janvier 1968 (Direction de
la Sécurité Publique) demeure valable et on doit poursuivre sa mise en
application. Il faut seulement admettre que cela aura pour conséquence
de faire peu à peu disparaître les C.R.S. du noyau des forces vives du
maintien de l'ordre et qu'il conviendra de renforcer rapidement les
effectifs de la Gendarmerie Mobile. Car il est impossible, en effet,
d'orienter des unités pendant de longues périodes vers des tâches
paisibles de police urbaine et de les transformer en compagnies
puissantes pour le maintien de l'ordre du jour au lendemain.
De telles
unités seraient un leurre et n'auraient ni technique, ni cohésion, ni
efficacité.
-
Si, au
contraire, le gouvernement, en raison des circonstances, pense que les
C.R.S. doivent continuer à être ce corps mobile, structuré et spécifique
que, dès 1958, par le décret n° 48-605 du 26 mars 1948, on avait désiré
qu'il soit, il faut alors :
1° - donner
aux C.R.S. un statut différent de celui des Corps Urbains,
2° - accorder
à son commandement central toutes les facilités de direction et de
fonctionnement qui ne peuvent être pleinement réalisées que dans une
indépendance recouvrée, en dehors de la Direction de la Sécurité
Publique. Ce choix est très important pour les mois à venir, car s'il n'a pas lieu rapidement, il ne faut pas s'attendre, dans l'hypothèse d'une nouvelle période révolutionnaire éclatant dans quelques mois, à ce que les C.R.S. aient le même comportement que celui qui a été le leur cette fois-ci. |