Comment les francs-maçons ont investi la police

 

 

Par Laurent Chabrun, François Koch, Jean-Marie Pontaut, Romain Rosso et, publié le 19/04/2004.
 

 

              C'est une affaire embarrassante. Depuis plusieurs mois, le tout-puissant Syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN) est confronté à un choix délicat: sa revue publiera-t-elle une tribune libre, signée de l'un de ses membres, réclamant que les francs-maçons de la police se dévoilent? Ce texte, en tout cas, ne figurera pas dans le prochain numéro. «Avec le changement de ministre, il y a eu d'autres priorités dans l'actualité», indique-t-on au syndicat. S'il devait être diffusé dans le suivant, nul doute que, parmi les 2 018 commissaires de police en activité, des voix s'élèveront pour condamner cette initiative. Tollé en perspective. 

              Ce thème polémique pourrait même ouvrir une crise dans les rangs de ce corps des commissaires, l'un des plus maçons de la fonction publique, tout comme d'ailleurs celui des officiers de police. Les estimations les plus extrêmes vont, dans ces corps, jusqu'à 1 policier sur 4, particulièrement à Paris. Enquête sur les plus secrets des Enfants de la Veuve. 

              C'est une liaison troublante. Les policiers sont attirés par les temples comme les papillons de nuit par la lumière. «Parce qu'ils voient dans la franc-maçonnerie une grande institution républicaine, et même, consciemment ou pas, un grand corps de l'Etat», explique Roger Dachez, président de l'Institut maçonnique de France. «Parce qu'ils se sentent mal aimés et mal compris, ils plébiscitent des structures discrètes où ils peuvent se retrouver pour parler», ajoute l'ancien conseil maçon d'un syndicat de police. Confrontés à un quotidien morose et violent, les policiers, plus que toute autre profession, auraient besoin de s'aérer l'esprit. 

              Et puis, il faut bien le dire, l'entrée en loge est aussi considérée comme un moyen de faire carrière. A défaut d'explications rationnelles, certaines promotions ou réussites sont liées, en partie, à ces réseaux discrets. Mais l'on connaît aussi au ministère certains grands flics qui, tout juste initiés, ont rendu leur tablier, déçus que l'ascenseur maçonnique ne soit finalement qu'un leurre. «Bien souvent, alors que je rencontrais un commissaire, il me faisait savoir qu'il était maçon en me serrant la main de manière particulière. Tous étaient convaincus que j'étais moi-même un frère, se souvient cet ancien patron du Syndicat des commissaires. Ils pensaient que se dévoiler pouvait être bon pour leur avancement.» Ancien secrétaire général du syndicat Alliance, Jean-Claude Gleize a, lui, quitté le Grand Orient (GO), «dégoûté par le carriérisme, le copinage et la recherche d'intérêts personnels» de ses frères policiers. 

              Alors, combien sont-ils, ces maçons dans la police? Les obédiences affirment être dans l'incapacité d'établir avec exactitude le poids des policiers de rang moyen et élevé, faute de fichier par profession. Seule certitude: comme dans beaucoup de corps professionnels, la proportion de maçons est forte chez les plus gradés et faible à la base. Il n'y aurait ainsi environ qu'une soixantaine de gardiens de la paix au GO. Pour la hiérarchie, l'affaire est complexe. 

               Un policier du nord de la France, vénérable au GO, affirme que son obédience compterait précisément 460 commissaires de police, actifs ou retraités. «Si l'on extrapole aux deux autres grandes obédiences, la Grande Loge nationale française (GLNF) et la Grande Loge de France (GLF), on pourrait compter jusqu'à 1 commissaire sur 4», ose ce gradé. Alain Bauer, ancien grand maître du GO, devenu président de l'Observatoire de la délinquance, lui, en voit moins: de 10 à 15% des commissaires en activité seraient frères. Une estimation réalisée en pointant l'annuaire du SCHFPN, auquel Bauer est lié - il a coécrit plusieurs livres avec un ancien secrétaire général, Emile Perez. 

              Pour Eric Vanlerberghe, président de la Mutuelle du ministère de l'Intérieur et initié lui-même au GO, ce taux est d'environ 20% sur les 14 939 officiers, c'est- à-dire près de 3 000 lieutenants, capitaines et commandants de police, majoritairement au GO. Ce qui est colossal au regard du nombre total de maçons au sein de la population française: 135 000. 

               Leur nombre varie considérablement selon les villes et les régions. La préfecture de police de Paris, et particulièrement la police urbaine de proximité (PUP), constitue, de l'avis général, le plus grand fief maçon de la profession. L'un des puissants responsables de la sécurité publique à Paris et l'un de ses adjoints appartiennent ainsi à la même loge. L'ancien préfet de police de la capitale lui-même, Philippe Massoni, ancien commissaire des RG, qui occupa huit ans ce poste ultrasensible, est le maçon le plus célèbre de la police nationale. Un véritable totem. Après avoir fréquenté la loge de perfection 573 Le Parthénon ou le Sublime Aréopage 309 Lutétia, il obtint, en 1997, le titre de souverain grand inspecteur général du 33e degré. L'un des plus hauts grades de la GLF. Philippe Massoni, qui ne fréquenterait plus beaucoup le Temple aujourd'hui, est actuellement conseiller de Jacques Chirac pour les affaires de sécurité à l'Elysée. 

               Les services de police ne sont pas égaux devant la maçonnerie. La sécurité publique, les Renseignements généraux (RG) et les CRS seraient plus maçons que la police judiciaire (PJ). Et l'on pourrait compter jusqu'à 1 frère sur 2 policiers dans certaines directions du ministère de l'Intérieur, comme celle de la formation. En revanche, les anciens directeurs de la PJ ou des RG, à l'exception de Paul Roux, premier patron socialiste nommé en 1981, et de Philippe Massoni, n'étaient pas des frères. 

              Mais les maçons demeurent à des postes clefs. Actuellement, par exemple, l'un des sous-directeurs des RG porterait le tablier. De même, la plupart des syndicalistes les plus influents de la «grande maison» sont maçons. Les frères sont également très présents dans les associations internes à la police, comme l'orphelinat mutualiste ou l'Association nationale d'action sociale de la police nationale (Anas). De plus, leur pouvoir, réel ou exagéré, fait toujours peur. A ce jeune commissaire, affecté aux RG, un «vieux» directeur donna ce conseil: «Ne vous mettez jamais à dos les francs-maçons: ils peuvent briser votre carrière.» 

               Comment sont organisés les policiers maçons? Si certains se contentent, souvent en province, de la participation à un atelier, d'autres ont choisi de se regrouper au sein d'une fraternelle - tous les maçons qui exercent la même activité professionnelle - fort discrète et qui trouve ses racines très loin dans l'Histoire. 

En mars 1667, Gabriel Nicolas La Reynie est nommé par Colbert au poste de lieutenant de police. Il devient ainsi le premier «flic» de France, imposant son autorité à la maréchaussée et aux hommes du guet. La Reynie installe rapidement des commissaires dans tous les quartiers de Paris et met fin à l'existence de la dernière cour des Miracles. Il s'applique à faire de la capitale une ville propre et éclairée. 

                Aujourd'hui, le club La Reynie regroupe les maçons de toutes obédiences et de tout grade de la place Beauvau. Ses statuts sont déposés en préfecture, comme pour toutes les associations loi 1901. On peut y trouver des sous-directeurs de sections administratives ou des employés. Mais 4 habitués sur 5 du cercle La Reynie restent des policiers. Cette fraternelle de l'Intérieur étend ses ramifications dans de multiples régions de France, chaque section locale étant dotée d'un bureau et d'un président. 

L'homme, âgé de 60 ans, qui veille sur ces frères policiers se fait appeler «Rémi». Il a été embauché à l'Intérieur il y a quarante-quatre ans comme porteur de télégrammes, puis a brillamment gravi les échelons, à force de cours du soir et de concours réussis, pour devenir sous-directeur du contentieux et des affaires juridiques et, aujourd'hui, inspecteur général de l'administration. Depuis deux ans, «Rémi», membre du GO, préside la fraternelle La Reynie. Ses réunions sont fréquentées par plusieurs centaines de policiers. 

               Les milliers de frères du ministère de l'Intérieur ne sont pourtant pas tous regroupés au sein de cette fraternelle. Il en existe une autre, dissidente, logée sur les terres de la préfecture de police de Paris. «Il ne s'agit que d'une fraternelle de quartier!» clament, dédaigneux, ceux de La Reynie, qui suivent pourtant du coin de l'oeil les efforts de ce concurrent de la GLF, lequel regroupe quelques fonctionnaires de la préfecture... 

                Et puis il y a ceux, souvent membres du Grand Orient, qui considèrent que les fraternelles sont un dévoiement de l'idéal maçonnique. Quand Alain Bauer était grand maître du GO, de 2000 à 2003, et voulait «kärchériser» les dérives affairistes qui gangrenaient les obédiences, il se déclarait carrément partisan de l' «éradication des fraternelles». Une ligne extrémiste, sur laquelle il a été mis en minorité au GO. «Les fraternelles sont une source d'emmerdements et de dévoiements permanents, persiste aujourd'hui Bauer, qui s'exprime désormais à titre personnel. Lorsque des frères d'un même métier se réunissent, on passe très vite de la relation fraternelle au copinage et du copinage à l'affairisme.» La même prévention se retrouve à la fois dans le discours du grand maître de la GLF et dans celui de la GLNF. En revanche, pour Bauer, un groupement fraternel aussi large que La Reynie ne pose pas problème. D'ailleurs, les flics frangins ont toujours continué à organiser leurs «planches» - telles l' «hospitalisation sans consentement» ou l' «espace judiciaire européen» - et leurs agapes au septième étage du siège national du GO, rue Cadet, à Paris, en dépit des discours hostiles du grand maître. 

                 Si le travail en atelier est réel, beaucoup de policiers n'y entrent pas moins avec l'espoir, un jour, d'être pistonnés ou d'obtenir des passe-droits. «Je suis souvent approché par des collègues qui tiennent à me voir seul, dans mon bureau, confie ce syndicaliste policier. Là, ils me font comprendre qu'ils participent à des réunions philosophiques, le soir, bref qu'ils «en» sont. Puis ils me sollicitent pour favoriser une promotion, une mutation, une décoration ou une faveur quelconque, voire des interventions sur des affaires en cours.» «J'ai vu le fils d'un policier maçon repêché alors qu'il avait échoué au concours d'entrée de la police», narre Jean-Claude Gleize. 

                 Un autre fonctionnaire maçon à la retraite se souvient que, lorsqu'il siégeait à la commission qui décide de l'avancement des carrières, réunissant les représentants de l'administration et ceux des syndicats, «1 personne présente dans la salle sur 2 était un frère». Du coup, quand un policier est promu sans raisons apparentes, ses collègues soupçonnent immédiatement l'intervention de réseaux occultes... «A l'inverse, celui qui est mis sur la touche trouve souvent une explication commode, raconte un commissaire: ''C'est parce que je ne suis pas maçon.''» Les demandes viennent parfois de l'extérieur, souvent pour faire sauter des PV. Mais aussi pour des requêtes plus importantes. Ce commissaire de la PJ raconte ainsi qu'on s'inquiétait parfois auprès de lui de certaines gardes à vue de frères. «Un chirurgien orthopédique, qui savait que j'étais maçon, voulait que je le mette en relation avec le ministre, car il avait un projet pour les accidentés de la route», se souvient cet autre policier. 

                 Il est vrai que, chaque ministre ayant des frères dans son entourage, certains fonctionnaires peuvent espérer entrer dans ses bonnes grâces en devenant maçons eux-mêmes. Au cabinet de Pasqua, c'était le frère Daniel Léandri, ancien brigadier promu officier, qui centralisait les dossiers sensibles et les demandes d'avancement. Côté socialiste, Pierre Joxe, initié lui aussi, avait truffé son cabinet de frères. De même, quelques fonctionnaires de la préfecture de police de Paris ont dû penser qu'il serait peut-être bon pour leur carrière d'être cooptés à la GLF, où Philippe Massoni occupe les plus hautes fonctions. «On m'avait dit: ''Jamais tu ne pourras devenir contrôleur général de la police nationale si tu n'es pas franc-maçon.'' J'y suis arrivé quand même!» confie Jacques Genthial, ancien directeur central de la police judiciaire. 

                 De plus, certains maçons ayant quitté la police ont conservé des liens fraternels avec leur ancien milieu. Le cas le plus célèbre est celui de Michel Baroin. Cet ancien commissaire des RG, disparu dans un accident d'avion, devenu grand maître du GO et président de la puissante Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), employait certains de ses frères collègues à la retraite. De même, un autre ancien commissaire des RG, passé à la préfectorale, occupe actuellement un poste sensible à la mairie de Paris. 

                 Mais, attention! chaque médaille a son revers et le coup de pouce peut se révéler contre-productif. Cet ancien grand maître raconte qu'il recevait des appels téléphoniques de frères policiers souhaitant obtenir une intervention de sa part. «Il m'est arrivé d'intercéder, confie-t-il, après avoir précisé au demandeur que ma démarche pouvait lui nuire autant que lui apporter.» «Le racisme antimaçon existe encore chez certains chefs», ajoute Vanlerberghe. L'appartenance à une loge est d'ailleurs souvent utilisée dans des querelles de pouvoir. «C'est la dernière accusation qu'on balance quand on n'a plus d'arguments», s'indigne un policier responsable syndical. Ce membre du GO est actuellement la victime d'une campagne de dénonciation au sein de son organisation. Dans un tract, on parle de sa «philosophie», on le dit «logé», etc. Quelques mots suffisent pour comprendre que c'est un «franc-mac». Il réfléchit à déposer plainte devant la justice. 

                Ces batailles internes entraînent des querelles de chapelles compliquées. Ainsi, parmi les innombrables remous internes à la défunte Fédération autonome des syndicats de police (Fasp), c'est carrément une vraie liste de «frangins» qui avait circulé pour dénoncer une prise de pouvoir «maçonnique», en 1996, du jeune Jean-Louis Arajol à la tête du premier syndicat de police français. Patron de la principale organisation affiliée à la Fasp, le Syndicat général de la police (SGP), Arajol était membre de l'association Initiative républicaine, créée par un ancien conseiller de l'ordre du GO, Bernard Teper, chargé de la communication de la Fasp, et soupçonné par ses détracteurs de tenir Arajol sous influence. «Initiative républicaine n'a rien de maçonnique, c'est un club d'intellectuels laïques», réagit un proche de Teper. 

                  Le mystère et les fantasmes entourant la maçonnerie peuvent rapidement se transformer en soupçons et en accusations. Un important franc-maçon du ministère de l'Intérieur en a fait la pénible expérience. Jean Nadolski, un commandant de police, alors président de La Reynie, fréquentait la loge Spinoza de la GLF, la même qu'Eric Turcon, avocat d'Alfred Sirven, l'un des principaux protagonistes de l'affaire Elf et... maçon lui-même, au GO. Or, en fuite, ce dernier semblait se jouer des recherches des policiers français comme s'il bénéficiait de complicités dans les couloirs du ministère. Le frère Nadolski fut vite soupçonné car il était chargé des relations internationales, avec le secteur du monde englobant les Philippines... justement là où Sirven se cachait. Entendu, à sa demande, par le directeur général de la police, Jean Nadolski a été blanchi de toute accusation. 

                  Certains policiers maçons ont aussi été, par le passé, mêlés à de véritables affaires d'Etat. «La franc-maçonnerie est une réplique de la société française, plaide Vanlerberghe: il y a autant de déviances qu'ailleurs.» 

                 On se souvient du scandale de Carrefour du développement, qui mit aux prises Christian Nucci, ministre de la Coopération, et Yves Chalier, son chef de cabinet, tous les deux frères en maçonnerie dans la loge Victor-Schoelcher du GO. Les divers rebondissements de ce feuilleton ont conduit à la mise en examen d'un policier maçon, Jacques Delebois. Cet ex-n° 2 du Service de coopération technique internationale de la police et ancien commissaire à la DST a été accusé d'avoir fourni le vrai-faux passeport utilisé par Yves Chalier pour fuir la France. 

                 Non moins célèbre, l'affaire Schuller-Maréchal, en 1995, a commencé avec un chef d'entreprise, Francis Poullain, ancien brigadier de police maçon, qui avait conservé un véritable réseau d'influence. Lors de l'affaire du vol de scellés d'Elf, en 1997, quand des procès-verbaux disparurent mystérieusement de l'un des bureaux de la sous-direction des affaires économiques et financières de la rue du Château-des-Rentiers, un autre policier maçon, proche d'un directeur de la même obédience, fut suspecté. Cette hypothèse n'a pas été confirmée par l'enquête judiciaire, qui a abouti à un non-lieu. Elle a, en tout cas, beaucoup pesé sur les investigations. 

                Donnée comme un haut lieu de la franc-maçonnerie, et en particulier de la GLNF, la région niçoise est citée comme le meilleur exemple de cette confusion des genres. Le procureur Eric de Montgolfier, qui s'est lancé dans une croisade contre des filières maçonniques locales suspectées d'intervenir au sein même de la machine judiciaire, a mis en évidence la troublante attitude de certains policiers locaux. Alain Bartoli, gardien de la paix, affecté à la police de l'air et des frontières et par ailleurs frère de la GLNF, avait ainsi utilisé, en 1999, les fichiers de la police pour obtenir des informations sur des candidats aux loges de son obédience. Il aurait interrogé à plus de 600 reprises, en dix mois, les systèmes informatiques du ministère de l'Intérieur, étendant son insatiable curiosité à d'autres personnalités: Jacques Chirac, Jean-Pierre Chevènement, alors son ministre de tutelle, Alain Delon... 

               Le frère Bartoli, trésorier de la loge Lympia, désigné comme député grand porte-glaive à la Grande Loge provinciale Alpes-Méditerranée de la GLNF, une sorte de procureur, n'avait, semble-t-il, repris que de vieilles traditions. Son supérieur au même poste en maçonnerie, Alain Taddeï, ex-enquêteur de la brigade financière de la ville et désormais à la retraite, avait été interdit de présence par le procureur Eric de Montgolfier dans les locaux du commissariat où il conservait, jusqu'alors, ses habitudes. Au siège de la GLNF, on souligne que ces faux frères flics ont été exclus. 

               L'implication de policiers maçons dans divers réseaux aux objectifs sinon troubles, du moins mystérieux a pu également se vérifier à l'occasion des tentatives maçonniques pour trouver une solution au problème corse. Des négociations qui conduisirent à la démission du grand maître du GO: Simon Giovannaï. 

Le 22 janvier 2000, une réunion discrète se tient au siège du Grand Orient. Des indépendantistes corses, maçons pour la plupart, et au moins un représentant du Parti socialiste - le Premier ministre Lionel Jospin a toujours nié être au courant de ces tractations - tentent d'amorcer le dialogue. Il est surprenant que le contact entre le GO et les nationalistes soit alors un officier des RG. Présent à toutes les étapes de cette affaire, ce dernier a finalement rendu compte à sa direction. Etonnante confusion des rôles, où l'on voit un maçon policier dénoncer d'un côté ce qu'il aide à mettre en ?uvre de l'autre. 

                Mais la maçonnerie a également des vertus: elle insuffle les valeurs démocratiques à l'institution policière. «Ils retrouvent en maçonnerie ce qu'ils ont appris dans les écoles de police: l'idéal républicain», explique un frère. «C'est très facile de reconnaître un policier maçon: il n'y a qu'à l'écouter parler.» A les entendre, en effet, certains ne sont pas loin du mysticisme républicain. Mais l'apport de la maçonnerie ne se limite pas aux mots, il passe aussi par des actes. 

                A cause des dérives du passé, les flics frangins, en fait, surveillent les autres policiers comme le lait sur le feu, en veillant à éviter tout dérapage. Ne pas transformer les CRS en milices a ainsi été une préoccupation des responsables syndicaux, fortement entourés par les maçons, en Mai 1968. «Si on n'a eu aucun mort, c'est un peu grâce à la maçonnerie, explique un syndicaliste membre du GO. Parmi les officiers qui encadraient les CRS, les maçons faisaient sans cesse le tour des compagnies pour leur rappeler les limites à ne pas dépasser. Les commandants d'unité étaient sur la même longueur d'onde et les CRS s'en sont tenus au maintien de l'ordre républicain.» 

                Autre exemple : «Quand un fonctionnaire passe devant la commission paritaire de discipline pour un tabassage ou un dérapage raciste, témoigne l'un de ses membres, les frères s'efforcent aussi de voir le chef de service, de le sensibiliser au respect du Code de déontologie de la police nationale.» Ce code moral est le bréviaire des maçons. Il a été instauré par le frère Pierre Joxe - mais mis en application par Charles Pasqua, en 1986 - avec le concours de la Fasp. Tout fonctionnaire de police doit en avoir sur lui des extraits et le texte est affiché dans tous les commissariats. 

                 La maçonnerie se pratique aussi au quotidien, sur le terrain. «J'avais 120 personnes sous mes ordres, raconte cet officier, maçon depuis onze ans. A chaque réunion du matin, je leur rappelais que je ne tolérerais aucune bavure ni qu'un gardé à vue soit tabassé.» «La plupart des frères policiers ont une façon moins musclée de procéder à une interpellation ou à un interrogatoire, renchérit Eric Vanlerberghe. Ils ont spontanément à l'esprit des principes. Même si, parfois, une bonne paire de baffes pourrait être plus efficace!» 

                 Roger Dachez a, lui, d'autres raisons de se réjouir: «La franc-maçonnerie est doublement heureuse de nourrir en son sein autant de policiers. D'abord, cela la place au-dessus de tout soupçon de complot anti-étatique, accusation qui l'a poursuivie jusqu'au régime de Vichy. Ensuite, nous ne redoutons plus d'être infiltrés par la police : elle est chez nous!»