Quand et comment les CRS ont été dotées de boucliers de protection ?

( Source : François Andro, le 21 janvier 2015)

 

En fait c'est une conséquence des manifestations particulièrement dures qui se sont multipliées dans l'ouest de la France et plus particulièrement en Bretagne durant l'année 1967..

A cet égard les soubresauts de cette année 1967 annonçaient l'explosion de mai 1968. Néanmoins c'est la manifestation du lundi 20 octobre 1967 à Quimper qui a déclenché l'adoption des boucliers. Elle s'inscrivait dans le cadre d'une journée nationale d'action décidée par la FNSEA.

Les agriculteurs du Finistère, des Côtes-d'Armor et de l'essentiel du Morbihan se sont rassemblés à Quimper au nombre de 12 000. Dès la descente des cars on a pu constater que la plupart étaient armés de gourdins et barres de fer tandis que d'autres disposaient de frondes (voir les photographie publiées par Paris-Match relatant cette journée de manifestation).

Le Préfet nouvellement arrivé dans le département, mal conseillé et trompé par le président local de la FDSEA avait simplement demandé le renfort de 2 CRS et 2  EGM (l'un de ceux-ci placé en protection de la gare SNCF n'est pas intervenu).

Les deux compagnies, la CRS n°9 et la CRS n°13 avaient été placées dès 13 heures en attente à l'intérieur de la Préfecture. Après un meeting où les discours étaient très déterminés, clôturés par une déclaration sans équivoque "maintenant on va se rendre en ville et cela ne sera pas une procession", les manifestants se sont dirigés vers le centre-ville.

La tête de cortège a bousculé un rideau de policiers urbains et s'apprêtait à franchir les ponts sur l'Odet, vers la Préfecture. A ce moment les deux unités sont sorties pour essayer d'empêcher l'investissement de la Préfecture.

Rapidement elles ont dû subir les assauts des agriculteurs accompagnés d'une pluie de projectiles. Charges et contre-charges se sont succédé de 16 heures 30 à 19 heures 30.

Un escadron en réserve dans une caserne voisine a pu rejoindre la Préfecture mais il a été fortement agressé pendant son parcours, deux motards qui les guidaient, ont été projetés à terre et leur motos incendiées.

Au bout d'une 1/2 heure la CRS n° 13 dont tous les cadres étaient blessés a dû se replier à l'intérieur de la Préfecture, ainsi que l'escadron. Celui-ci a pris en compte les jardins et les grilles côté ouest, tandis que la CRS 13 contrôlait l'accès principal et empêchait l'occupation du quai le long de la Préfecture. La CRS n° 9 a maintenu jusqu'à la fin des affrontements 2 sections sur le pont de l'évêché et 2 sections rue Sainte Catherine, derrière la Préfecture.

Les manifestants ont incendié un pavillon à l'angle sud-ouest de la Préfecture qui servait de logement à un couple de concierges, ainsi qu'une voiture en stationnement.

Les unités épuiseront rapidement leurs stocks de grenades lacrymogènes. L'escadron et la CRS n° 9 utiliseront ensuite des grenades offensives. Les 60 OF 37 de la CRS n° 9 seront lancées uniquement par les officiers.

A noter que l'escadron avait approvisionné ses armes après épuisement de sa dotation en grenades lacrymogènes et offensives. C'est le seul cas que j'ai connu en maintien de l'ordre classique.

Deux unités, les CRS n°3 et n° 44, avaient décrochées à 17 heures de Redon où certains avaient trouvé intelligent de concentrer 9 compagnies pour une manifestation moins importante qu'à Quimper, et rassemblant des agriculteurs réputés moins agressifs que ceux de basse-Bretagne. Mais mal renseignées, ces deux unités mettront plus de 3 heures pour rejoindre Quimper (165 km).

Le bilan est très lourd : 176 blessés pour les forces de l'ordre pour 275 policiers et gendarmes engagés.

Encore faut-il souligner que tous ceux qui avaient participé au service sur la voie publique étaient marqués par de nombreux et gros hématomes. Lors des échauffourées la CRS n° 9 avait perdu  2 mousquetons pris sur des blessés. Les blessés n'avaient pas pu être évacués et étaient allongés le long des couloirs de la Préfecture. On déplorait, une fracture du crane, des fractures d'omoplates et de clavicules ainsi que des plaies, parfois profondes. Les blessés étaient soignés par un pool d'infirmiers de compagnie et d'infirmiers de section. Sur le tard, un médecin avait pu rejoindre la Préfecture.

Les manifestants comptaient aussi de très nombreux blessés et particulièrement une facture du crâne très grave (coma 15 jours)

 

Les conséquences :

Les très nombreux blessés dénombrés à Quimper, Redon, Le Mans et Caen, obligeaient à réagir. Il est apparu rapidement qu'il fallait améliorer la protection des personnels et la capacité d'action des unités.

En vue d'un maintien de l'ordre très important devant avoir lieu au Mans le 26 octobre, les unités du 3ème groupement ont reçu l'ordre le 23 octobre d'aller percevoir des boucliers dans les commissariats du secteur, particulièrement à Nantes. Prévu au départ en prêt temporaire, ils ont été conservés par les unités à raison d'une dotation de 32 boucliers par compagnie.

La mesure a été élargie plus tard par le Service Central des CRS à toutes les unités mais j'ignore à quelle date. Les boucliers avaient été fabriqués après les graves événements de 1955 (ou 1957 ?) à Nantes et Saint-Nazaire.

D'après les anciens, Monsieur Mir, Directeur des CRS, avait refusé de les mettre en service dans les unités, estimant qu'ils portaient atteinte à l'aspect martial des CRS. De ce fait ils seront mis en dépôt dans les commissariats, en priorité dans les villes les plus agitées.

La décision est prise aussi au sein du 3ème groupement de Rennes de porter de 4 à 10 le nombre de FLG en dotation.

Le peu d'efficacité des grenades lacrymogènes constaté à Quimper (il est vrai qu'un vent d'ouest assez sensible balayait rapidement les nuages lacrymogènes) entraînera une réflexion amplifiée par Mai 1968 qui aboutira à l'adoption en 1970 de grenades lacrymogènes dosées à 7% au lieu de 1,5 %.

Le lancer de 60 OF 37 aura aussi des conséquences. Elles ont été utilisées sur le pont de l'évêché pour briser les assauts des manifestants. Evidemment beaucoup de ceux-ci ont été blessés par les éclats provenant de l'enveloppe aluminium des grenades et surtout par les cuillers qui restaient associées aux grenades jusqu'à l'explosion.

Le chirurgien de l'hôpital de Quimper avait montré à l'O.P. Kervella, venu visiter les blessés (12 étaient hospitalisés) quelques jours après l'événement, un tas de cuillers qu'il avait retiré des chevilles et des genoux des manifestants.

De plus Madame Marie Madeleine Deniesch, députée des Côtes-d’Armor et ancienne Ministre, avait interpellé le Ministre de l'Intérieur à l'Assemblée Nationale au sujet des blessures provoquées par les grenades offensives. Elle avait cité le cas d'un conseiller général sérieusement blessé à Quimper et contesté (déjà !) l'usage de grenades offensives par les forces de l'ordre.

Cette mise en cause conduira plus tard à la mise au point de la GLI.

Les gendarmes mobiles ne disposaient pas à cette époque de fusil lance-grenades et utilisaient uniquement des grenades à main.

Devant la multiplication des manifestations violentes et les nombreux blessés qui en résultaient la gendarmerie a constitué en novembre 1967 une commission à Rennes. Celle-ci est venue au cantonnement de la CRS n° 9 pour étudier nos lanceurs : fusil Mauser K 98 et surtout fusil MAS 36/51.

La commission a adopté, après essais, le fusil MAS 36/51, ce qui fait qu'en Mai 1968, les gendarmes mobiles disposeront de ces FLG. Sur les photographies montant les interventions des gendarmes mobiles à Paris, on peut remarquer les lance-grenades qu'ils viennent de percevoir, les manchons en aluminium n'ont pas encore été peints.

  J'ai tenu à porter ces précisions puisque j'ai souvent entendu, quelquefois d'ailleurs de la part de responsables des CRS, que les boucliers avaient été mis en dotation à l'occasion des événements de 1968.

Paris-Match : Quimper 

 

 

La première photo montre le genre de manifestants auxquels nous avions à faire.

La seconde confirme l'approvisionnement des armes par les gendarmes mobiles.