|
LES CRS EN MONTAGNE EN 1950 |
Article du journal "Détective" n° 197 du 10 avril 1950 (Coll. R. Martin) |
Jour et nuit, des patrouilles de CRS parcourent à ski les Alpes de Savoie |
à la
recherche des clandestins de la montagne. |
VLADIMIR ANGELKOVITCH regarda le
lieutenant de CRS parut un instant chercher ses mots et dit : « Je
remercie la France de m'avoir sauvé la vie. » |
Dans la salle du café, enfumée et surchauffée il y avait, d'un côté,
celui qui avait parlé, un homme gras aux cheveux blancs et, assis près
de lui, trois hommes plus jeunes qui semblaient être sous ses ordres.
Leurs vêtements déchirés étaient trempés, De petites flaques d'eau
dessinaient une auréole sale sous leurs chaises. Deux d'entre eux
avaient les pieds blancs, comme, des pieds de cadavre. Le troisième
était blessé au bras : on, voyait la plaie à travers une déchirure de sa
manche de chemise, Des quatre, seul Vladimir Angelkovitch paraissait
valide. |
De l'autre, un groupe de CRS buvait à lentes gorgées des quarts de vin
chaud. De grands gaillards à la peau hâlée, chaussés de forts brodequins
de ski, l'anorak bleu foncé serré autour de leurs taille. |
Le contraste était brutal entre ces hommes en haillons, hâves, les
traits creusés, les gestes gourds et ces soldats en uniformes nets,
solidement plantes. |
Six heures avant, les C.RS, avaient sauvé Angelkovitch et ses compagnons
de la mort la plus effroyable de
toutes, par la faim et par le froid. |
La liberté est au bout du Chemin |
Comme chaque matin, une patrouille avait quitté le cantonnement, le long
de l'Arc, à la sortie de Modane, et avait gravi
la montagne. Les trois
hommes avaient d'abord grimpé, skis
sur l'épaule. A mi-chemin du
col du Clappier, ils avaient
« chaussé leurs bouts de bois »
et, lentement, avaient entamé
l'ascension. |
A 10 heures, dans le ravin de la Savine, celui qui marchait en tête
avertit ses compagnons. |
- Des traces fraîches. Elles n'ont pas deux heures. |
Les traces s'arrêtaient brusquement au seuil d'une cabane. |
De la cheminée, un filet de fumée s'échappait. Ils entrèrent. |
Quand les quatre hommes qui se chauffaient autour de l'âtre les virent, ils se mirent à genoux |
- Des Français ! Nous sommes sauvés ! ils se signèrent. Le plus vieux se
leva. |
- Je m'appelle Vladimir Angelkovitch. Je suis un ancien député serbe.
Nous marchons depuis deux mois : la Yougoslavie, l'Autriche, l'Italie
et, depuis cette nuit, la France. Dieu soit loué Nous sommes arrivés au
terme de notre voyage. Je savais bien que la liberté était au bout de
nos peines. |
Deux hommes de la patrouille restèrent là et commencèrent à leur donner
les premiers soins. Le troisième, à toute
vitesse,
dévala les pentes du col, fonça à travers les sapins pour aller avertir
son lieutenant, commandant le détachement |
Une seule loi : « SERVIR » |
C'est
le commandant Landry de
l'état-major des CRS, qui eut l’idée de créer cette Section spéciale de
surveillance des frontières avec, naturellement, son indispensable
corollaire, le secours en-haute montagne. |
Des équipes spécialement entraînées sont chargées, parallèlement à la
besogne ordinaire de police, de porter secours à
quiconque en a
besoin. |
Quand les habitants de Modane virent. les C
RS s'entraîner, le long
de l'Arc, à des exercices, d'escalade, ils commencèrent
à sourire, sinon à se moquer. Puis, lorsqu'ils les regardèrent
passer, skis sur l'épaule, ils rirent franchement. Mais, depuis certain
accident survenu à un
Dakota qui s'écrasa en pleine montagne les rires des derniers sceptiques
demeurent sans écho et leurs réflexions sans effets. |
Le 30 janvier 1948, un détachement, de CRS se trouvait au barrage de
Castillon quand le chef reçut un ordre du préfet des Basses-Alpes de se
rendre immédiatement à Château-Garnier.
L'ordre parvint à l'heure du déjeune r. Les hommes partirent sans
manger. |
Sur place, on chercha des skis dans le village. Personne ne voulut en
prêter. On partit à pied dans la direction présumée de l'avion. Dix
heures d'une marche harassante dans la neige fraiche où lourdement
chargés de leurs équipements,
les hommes enfonçaient jusqu'aux épaules. Ils rentrèrent à la nuit pour
s'affaler dans des granges, à même le sol. |
Le lendemain matin, à l'aube, des sauveteurs venus d’Allos, emmènent
les, CRS avec eux. Ils sont spécialement chargés du ravitaillement de
toutes les colonnes de secours. A Allos ils ont enfin pu obtenir quatre
paires de skis ! Les plus entraînés d'entre eux se joignent à tous les
autres sauveteurs, dont les soldats d'un bataillon de chasseurs alpins
de Briançon. Pendant quarante-huit heures, ils ne quitteront pas leurs
skis. Enfin, à 6heures du matin, ils peuvent se trouver sur les lieux de
l’accident. |
Quand ils redescendirent de cette expédition, le raid héroïque était
déjà connu à Modane. C'est depuis ce jour que les montagnards les ont
adoptés. Pour ces hommes rudes avec eux-mêmes comme avec les autres, il
n'y avait pas d'autre exemple à leur apporter. |
Pendant les mois d'hiver, les patrouilles partent le matin et reviennent
le soir. En été, elles montent en montagne pour deux jours avec leur
ravitaillement. Elles emmènent avec elles une trousse de pharmacie de
premier secours : de la novocaïne, des attelles pour les cas de membres
cassés, et de larges bandes de drap pour confectionner, en urgence, des
traineaux à l'aide des skis. |
Ainsi, par n'importe quel temps et à n'importe quelle époque de l'année,
la frontière est sillonnée par les C. R. S. et quiconque s'y trouve en
perdition peut être assuré d'être rapidement secouru. |
D'autre part, il n'est pas rare qu'un membre de la Société de secours en
haute montagne ayant connaissance d'un sauvetage à effectuer fasse appel
aux CRS. L'accord entre les deux se réalise toujours dans la plus
parfaite compréhension. |
D'un côté comme ci l'autre, une seule chose compte sauver à tout prix
l'homme en détresse. |
C'est une loi humaine qui dépasse
les hommes eux-mêmes. |
Cinq étudiants et un marin |
Le désir de vivre libre est tel dans le cœur des hommes que ceux qui
choisissent ce chemin sont prêts à tout sacrifier pour le suivre.
Jusqu'à leur vie. Quels que soient les idéaux auxquels ils obéissent,
ces hommes-là ont droit au respect de tous. Qu'ils viennent de
l'Est ou de l'Ouest, du
Nord ou Sud, qu'ils soient blancs, jaunes ou noirs, ceux-là et ceux-là
seuls, méritent l'estime. |
C'est pour répondre à cet irrésistible appel que les six Bulgares
arrêtée le 20 mars dernier, à demi morts de faim dans la neige da la
Vallée-Etroite, alors qu'ils venaient de franchir la frontière
française, s'étaient enfuis de leur pays un an auparavant. |
Un ancien officier de
marine était à leur tête. Les cinq autres, de jeunes étudiants de Sofia,
avaient quitté leur université presque en même temps que l'officier
désertait son unité, en mer Noire. Ils s'étaient rencontrés en Turquie
où, tous, ils avaient réussi à débarquer clandestinement. Pendant six
mois, ils avaient uni leurs destinées, travaillant au hasard des
chantiers. |
Une nuit, ils parvinrent à traverser le Bosphore. Par la
Grèce, ils atteignirent les bords de l'Adriatique, vivant au
jour le jour, partageant leurs
maigres salaires, couchant à
la belle étoile, mais heureux
de vivre. |
Un pêcheur consentit à leur faire traverser le canal d'Otrante. Tassés au fond de la barque, ils entrevoyaient l'orée de la liberté définitive lorsque, après avoir remonté l’Italie, ils atteindraient la frontière française. Mais le débarquement eut lieu à Bari, où est dressé un des plus importants camps de la péninsule pour personnes déplacées (cette nouvelle race d'errants nés de la dernière guerre). |
Pendant trois mois, ils ourdirent leur évasion. Fin février, tout fut
prêt pour le grand départ. Ils mirent vingt jours à joindre
Bardonecchia, petite station de sports d'hiver, située à la sortie du
tunnel du mont Cenis. De l'autre côté, c'était la France. |
Le 18 mars au soir, ils empruntèrent la Vallée-Etroite sorte de
couloir rocheux qui unit, par un vaste arc de cercle, l'Italie à la
France et qui
aboutit au lieudit le Lavoir, un
barrage de
l’Electricité
de
France, gardé
par Venant Serain. |
A
bout de forces, épuisés par leurs chutes incessantes dans la neige, sans
rien
à
manger,
avec,
pour toute boisson, un litre d'eau
de neige qu'ils avaient fait fondre en tenant la bouteille
contre leurs
corps, ils s'écroulèrent, à
demi inconscients, à quelques mètres d'un chalet abandonné.
Ils avaient usé leurs
dernières forces à atteindre un rocher qu'ils balayèrent avec leurs
mains. |
C'est alors que survint une patrouille de
CRS. Les six hommes,
grelottants, furent conduits au chalet de Serain où des boissons chaudes
leur furent servies. |
Mais, quelques heures après, en présence du commissaire spécial de la
gare de Modane, ils furent aussitôt reconnus. |
La veille, ils avaient été, appréhendés alors qu'ils arrivaient en ville.
C'était
la deuxième fois, en deux jours, qu'ils
tentaient de passer clandestinement en France. |
Refoulés sur l’Italie, ils seront remis dans un camp de personnes
déplacées et, à première occasion, tenteront de
nouveau
l'impossible aventure. |
Ils l'ont dit aux autorités avant de monter dans, le train. Sans
forfanterie, parce qu’ils savent qu’ils ne seront jamais des hommes
libres derrière la palissade d’un camp. |
Partout ou un
homme en détresse |
Février 1950. Quatorze hommes, quatorze mineurs employés dans la mine
d'Erpie, la plus haute d'Europe, reposent dans leurs lits. Soudain, un
bruit effroyable. Un homme pousse un cri. Le toit s'écrase. L'avalanche,
lancée à trois cents kilomètres à l'heure, broie la maison. Les braseros
renversés communiquent le feu aux poutres. Douze morts, deux rescapés :
Louis Erlot et René Béchier. |
C'est de ces deux
miraculés qu’on
apprendra le dévouement des équipes de secours
accourues de tous les points des Alpes : Le moniteurs alpins les
Gendarmes et les CRS. |
Un Dakota s'écrase avec
ses
quatorze passagers.
Il n’y
a pas un rescapé, mais il faut redescendre les corps dans la vallée. Les
CRS sont aussitôt requis. Ils chaussent leurs skis et, après cinq heures
d'une ascension rendue pénible par le froid,
ils arrivent devant
l'épave. Sans prendre une minute de repos, ils commencent aussitôt leur
macabre besogne. |
Il y a d'abord l'identification des
morts. Quand on songe
aux scandales soulevés après la chute de l'avion transatlantique
transportant, entre autres, Ginette Neveu et Marcel Cerdan, on se rend
compte qu'un tel travail ne doit pas être traité à la légère ! |
Puis, il y a la préservation des documents et du matériel, la
récupération des bijoux et des valeurs. Enfin, c'est la mise en bière et
la longue descente des cercueils
sur les traîneaux ou su
les skis. |
Après la série d'avalanches de février 1950, le village de Bessans, un
des plus hauts de France, se trouve entièrement bloqué par les neiges.
Un ordre du préfet, et les CRS se transforment en ravitailleurs. Ils
débloqueront, aidés de
quelques
membres du Secours en haute montagne de Modane, avec, à leur tête,
l'ancien champion de France militaire de ski Lissner, tous les
Bessanais. |
A Tignes, avec l'aide du dynamique abbé Pélicier, une patrouille de CRS
réussit à débloquer le chauffeur Louis Morel, enfermé dans la cabine de
son camion. |
Ainsi, en montagne comme en mer, la solidarité des hommes n'est jamais
prise en défaut. Sans distinction de race ni d'opinion, tous unis dans
la même foi et le même dévouement, les sauveteurs « servent ». |
C'est leur devise. Et je n'ai pas oublié cette réflexion d'un jeune
Modanais, lui même titulaire de la médaille du courage et du dévouement,
après un sauvetage qu’il entreprit en liaison avec les CRS : |
- Maintenant, quand on me demande ce que signifient les trois lettres C. R. S., je réponds :
«
Compagnie Républicaine
de Sauvetage ». |
Signé > MARCEL
CARRIERE |
(Reportage photo - J.G.Séruzier - Détective) |