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LA  GRANDE  AVENTURE

  DU  SECOURS

EN  MONTAGNE

 mars 1995

 

 

 

                Les moines furent les premiers sauveteurs de la montagne, quand les cimes et les cols enneigés, repères d'esprits maléfiques, se refermaient sur les pauvres voyageurs égarés.

             Du Moyen Age à l'ère moderne, La charité chrétienne, les ermitages d'attitude et les fameux chiens saint-bernard sauvèrent plus d'un inconscient perdu dans l'immensité montagnarde. Puis vint l'ère des scientifiques, prêts à braver les dangers d'un milieu hostile et méconnu pour quelques cailloux ou des observations géologiques.

 

 

 

 

Une enquête de Marc Mingat, photographies de Pierre Borasci, Félix Germain,

Le Reveil CRS des Alpes, Librairie des Alpes, Photopress.

 

Au milieu du XIXe siècle, les Anglais vont inaugurer l'ère des sportifs ces fous vaillants et éclairés qui, sans matériel, amés de leur  seule volonté, ouvriront la voie du tourisme montagnard puis de l'alpinisme. 1936 et les congés paye scelleront les noces de l'homme et de la montagne, dans une débauche de courage, d'abnégation, de drames, de sang et d'héroïsme, Grenoble, plus que Chamonix, sera au cœur de l'organisation des premiers secours en montagne. Une aventure bientôt centenaire, qui a vu les combattants des hauts périls  veiller au jour le jour sur conquérants de l'inutile.

Dès le début du siècle, l'urgence de la constitution d'un groupe de secours et d'intervention en montagne est d'une brûlante actualité. Incidents de toutes sortes se multiplient en altitude, avec  leur  cortège de blessures et parfois de drames, Dans "La Montagne", la revue mensuelle du Club alpin français, parait fin 1911 la première mention d'un désir d'organiser enfin correctement les secours. "Sur la convocation du Syndicat d'initiative de Grenoble et du Dauphiné, une réunion a eu lieu le 6 décembre en vue de la formation d'un comité de secours pour les touristes en montagne".  Assistaient à cette réunion les délégués de la section iséroise du CAF, l'Automobile-Club dauphinois, la Société de secours aux blessés ainsi que le Comité de patronage des étudiants étrangers. Le communiqué ajoute : " Le comité demande aux maires des centres de tourismes voisins de Grenoble d'aviser le Syndicat d'initiative par télégramme ou téléphone, des accidents dont les touristes pourraient être victimes dans leur région.

Originaire de Monestier-de-Clermont, Jules Charamathieu devient rapidement le personnage clef de ce comité. Dans sa petite boutique de la rue Chenoise, rendez-vous des alpinistes de la région, il fabrique sur mesure des chaussures de montagne. Devenu Société dauphinoise de secours en montagne (SDSM), le comité va bénéficier dès les années trente de l'arrivée d'un grand personnage, Félix Germain. Savoyard d'origine, montagnard et organisateur hors pair, ce professeur de lettres va former avec Jules Charamathieu la cheville ouvrière de la SDSM. En quelques années, les deux hommes constituent un groupe de bénévoles dévoués et désintéressés, prêts à intervenir au moindre appel. Des bénévoles qui doivent abandonner leur travail sans rémunération de substitution, s'acheter et entretenir leur matériel, et fournir même le plus souvent leur nourriture.

 

Les premiers sauvetages.

Dans les environs immédiats de Grenoble, en Chartreuse, Belledonne, au Moucherotte, les secouristes bénévoles sont la seule réponse fiable aux drames de la montagne. En 1929 déjà, le jour­naliste lyonnais Duboin et une jeune fille sont en perdition au Néron. L'hiver est glacial et la jeune femme va décéder au sommet, alors que son compagnon tente la descente de la dernière chance par le versant de La Monta. Coincé dans les barres rocheuses, ses cris alertent les occupants des habitations en contrebas. Deux équipes partiront récupérer l'alpiniste en difficulté et le corps de sa compagne. Dans l'une d'elles, le guide de La Bérarde, Maximin Rocher, et un tout jeune homme de 18 ans, Marius Soden, un montagnard déjà aguerri et une force de la nature, doté d'une exceptionnelle résistance physique. Mécanicien auto, rue Paul-Bourget à Grenoble, Marius va participer, aux côtés de Félix Germain, à toutes les grandes opérations de sauvetage de l'après guerre. Car si la période qui précède le second conflit mondial est relativement calme, parsemée de petites opérations sporadiques sans grands retentissements, la période suivante va connaitre d'horribles drames qui marques encore aujourd'hui les consciences.

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Sur l'arête sud-est de l'Otan, la cordée emmenée par Alexandre Léger progressa avec difficulté. M. Soden porte Wottram inconscient sur son dos. Claude Forget, Chavant et Barnaud porteront également tour à tour le blessé jusqu'au refuge.

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Pour franchir l'arête sommitale de l'Olan passer le ressaut qui barre la descente, Marius Soden porte Emile Woltram inconscient sur surs dos. Après une marche forcée nocturne dans la tempête, la caravane de secours atteindra le refuge à 1 h30 du matin.

 

La montagne mortelle.

 

 Dès la fin des hostilités, les premiers accidents aériens vont endeuiller la montagne des environs de Grenoble. En 48 un avion de ligne s'écrase aux deux-sœurs, sur l'arête orientale du Vercors. Les sauveteurs récupèrent une vingtaine de corps dans un linceul de neige fraiche. La même année, un Dakota de l'armée américaine s'abîme au dessus de l'Obiou. L'équipage périt carbonisé dans la carlingue éventrée, dont l'aluminium chauffé à blanc par l'incendie a fondu sur les rochers environnants. Les corps des malheureux pilotes sont redescendus de nuit dans la vallée, roulés dans des sacs et morceaux de toiles suspendus à des perches de bois portées sur les épaules. Dans les célèbres éboulis du pied de l'Obiou, Abel Barnaud chute lourdement et se casse le bras. Quelques années plus tard, ce grand montagnard inventera la perche Barnaud, le premier brancard métallique articulé. En octobre 48, quelques semaines après le drame du Malabar Princess, un avion de ligne indien qui percute le mont Blanc, les alpinistes Georges Lambert et Jacques Piegay restent bloqués dans la face sud du Pavé, dans le massif du Pelvoux. Plusieurs cordées, sous la conduite de Ravanat et de Soden, tentent de rejoindre les deux naufragés des cimes. Alors que l'équipe Soden, les pieds à moitié gelés, bat en retraite dans une neige profonde et drue qui n'arrête pas de tomber, la cordée Ravanat se lance dans une manoeuvre hardie. Avec l'accord de Charamathieu, désormais commissaire général de la SDSM, et de Félix Germain, commissaire exécutif, Martial Ravanat essaye de passer par l'arrête sommitale pour redescendre ensuite au niveau des deux hommes. Les conditions météorologiques apocalyptiques et l'épaisse couche de glace déposée sur La paroi font échouer la tentative. Une cordée de l'Ecole militaire de haute montagne de Chamonix réussira finalement à rejoindre les deux hommes. Un an plus tard, en septembre 49, au cœur du mas­sif du Pelvoux, une cordée composée d'EmileWoltram et du couple Harold est accidentée da la face nord-est de l'Olan. Woltram, durement touché et semi-comateux, est laissé sur place, solide­ment arrimé au rocher, alors que le couple rentre au refuge de Fond Turbat. Aussitôt avertie, la SDSM envoie une équipe de ses meilleurs éléments. Composée de Barnaud, Chavand, Claude Forges (futur grand reporter au Dauphiné-Libéré), Glénat, Léger, Mollaret, Peyrard et Ravanat, la caravane de secours s'ébranle sous la direction de Marius Solen Rejoints par Lambert et Albert Tobey, deux guide de premier plan, Les sauveteurs atteignent Woltram après des efforts inouïs. Ils ne sont pas au bout de leur peine. Pour franchir l'arête sommitale et passer le ressaut qui barre la descente, Soden porte le blessé sur son dos grâce à un cacolet. Il faudra encore bivouaquer  de nuit sur une vire exigüe, suspendus par des pitons avant de pouvoir installer Woltram sur un brancard Autrichien plus confortable.  La nuit suivante après soixante-seize heures de lutte, la caravane atteint enfin le refuge à 1h30 du matin. Soden devant l'état critique du blessé et une météo de plus en plus exécrable a décidé de poursuivre la nuit malgré les dangers. Le mécanicien  de Grenoble, véritable force de la nature, par  son courage et sa volonté, venait d'arracher à la montagne un homme promit à une mort certaine.

 

1950, année  terrible.

Cette année là, deux drames atroces vont endeuiller la montagne. En février une terrible avalanche provoque un incendie dans les mines de l'Herpic au dessus de l'Alpe d'Huez, à 2 300 m d'altitude. Douze mineurs périssent carbonisés, et les sauveteurs de la SDSM, montés à skis, lutteront des heures dans la neige sale et puante pour dégager les morts et les blessés. Mais le drame le plus horrible va se produire le 13 novembre 1950. Un avion canadien, avec 58 personnes à bord, s'écrase en pleine nuit sur l'Obiou. Cet accident va marquer un tournant pour le secours en montagne dans la région de Grenoble. Pour la première fois, les éclaireurs-skieurs de la CRS 147 font équipe avec les bénévoles de la SDSM. Une collaboration solide et efficace, kirs de laquelle vont s'illustrer le commandant Arsimoles et le chef Jouve, un CRS doté d'un grand courage et d'une volonté de fer. Depuis le poste de commandement, installé dans le hameau de La Croix de La Pigne, Dodero, président du comité régional de la Fédération française de la montagne, Charamathieu, commissaire général des secours, et Félix Germain, coordinateur et maître d'œuvre de l'organisation, superviseront la redescente des 58 corps affreusement mutilés. Pendant six jours, dans des conditions effroyables (le thermomètre affichait moins 36 degrés), les quatre équipes de sauveteurs sous la direction de Soden, Vincent, Ravanat et Morel vont ratisser la montagne et descendre les corps martyrisés dans des sacs de toile portés en partie à dos d'homme. Pour la première fois encore, Félix Germain dans son rapport va prendre la véritable mesure d'une telle catastrophe et préconiser une plus grande implication des pouvoirs publics. Après avoir affirmé l'insuffisance des liaisons radio et celle des moyens matériels (deux traîneaux, une barquette et quatre brancards pour 58 personnes), insuffisance qui aurait conduit « à une impuissance totale s'il avait fallu évacuer des blessés et non pas des morts..." le responsable national du secours en montagne ajoute : "Il faut cesser de compter sur l'improvisation du moment. Il est inadmissible, humainement, que le seul obstacle du financement mette les sauveteurs dans l'impossibilité de remplir leur mission charitable. Le problème du matériel est en tout état de cause le problème majeur, et c'est à sa solution rapide que les sauveteurs demandent à l'autorité centrale de s'attacher sans plus tarder. Déjà, à l'aube des années cinquante, Félix Germain sent confusément que le sauvetage en montagagne ne pourra longtemps  rester l'apanage de bénévoles aussi dévoués et désintéressé soient-ils. Il sait que dans les sous-sols du Syndicat d'initiative à Grenoble, le matériel autrichien est rare, cher, parfois obsolète, et qu'il faudra bien un jour que le secours en montagne passe dans le giron du service public. Une professionnalisation des secours que F. Germain sait inéluctable.

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CRS et gendarmes.

Pendant huit longues années encore, les merveilleux bénévoles de la SDSM vont assurer leur rôle de gardiens de la sécurité en montagne. En 1951, le Suisse Hans Hohl est secouru au sommet de la barre des Ecrins. Après douze heures d'efforts en pleine nuit Soden et son équipe le redescendent par la face sud. René Gallat aura moins de chance et laissera sa vie au bout d'une corde, dans la face nord de la pointe du Vallon-des-Etages. En mars 53, Le Pavé s'illustre à nouveau et ravit leur dernier souffle à Jacques Merle et Jacques Dancet, une cordée hors pair surnommée « les frères Jacques ». Quelques mois plus tard, deux alpinistes dévissent et se tuent dans un couloir des Bans, au-dessus de La Bérarde Fort heureusement, les pionniers de la SDSM arrivent souvent à temps pour éviter le pire En avril 54, sur le dôme de Chassoret en Vanoise, les sauveteurs récupèrent sept skieurs égarés depuis la veille dans la tourmente, sains et saufs grâce à l'igloo qu'ils avaient eu la bonne idée de confectionner. Mais le choc le plus profond, celui qui va laisser à jamais des traces indélébiles, va surgir l'hiver 56/57 avec le drame Vincendon et Henry. Pour la première fois dans l'histoire du secours en montagne, on va abandonner à leur sort deux alpinistes encore vivants sur les hauts plateaux du mont Blanc. Ecœuré, le grand alpiniste grenoblois Lionel Terray va démissionner de la Compagnie des guides de Chamonix, et le choc créé par ce drame va bouleverser peu après l'organisation des secours en montagne, qu'une circulaire ministérielle du 21 août 58 confie désormais aux préfets. CRS et gendarmes prennent le relais des bénévoles. L'ère des pionniers s'achève.

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Un grand service public.

 

Dès leur création en 1944, les CRS intègrent dans leur mission la notion de secours au sens Large, y compris face aux calamités naturelles. Chargés entre autres de la surveillance des intervalles inter-frontaliers, les policiers des compagnies commencent à acquérir le pied montagnard. Une collaboration s'instaure avec les bénévoles du secours en montagne, collaboration qui donne toute sa mesure lors du drame de l'Obiou en 50. Au moment où en 58, le secours en montagne passe au service public, les sections de montagne apparaissent au sein des compagnies. Aux pionniers comme Henri Jouve et Jean Robert, se joignent des hommes tout aussi déterminés. Sauveur Piguillern, le 4e CRS à obtenir en 58 son diplôme de guide de haute montagne, va mettre au point un brancard qui porte son nom. De son côté, la gendarmerie nationale crée les premiers pelotons de gendarmerie de haute montagne (PGHM). Après Chamonix (58), celui de Grenoble voit le jour en 61, sous la direction du chef Charles Augerot. Gendarmes et CRS ont mis au point un système d'alternance hebdomadaire qui permet, une semaine sur deux à l'équipe au repos,  de pratiquer un entrainement très poussé. A l'arrivée en 62 des moyens aériens, puis quelques années  plus tard de la technique de l'hélitreuillage, le secours en montagne a connu une nouvelle révolution. Henri Giraud, le pilote des glaciers, malgré tout son talent, a du s'incliner devant la supériorité technique de l'hélicoptère en montagne.

Aujourd'hui, où il fallait  auparavant cinquante sauveteurs et 24 heures d'intervention, une demi-heure suffit à l'hélicoptère pour intervenir et hélitreuiller une victime. Avec l'apparition en 70 de la médicalisation des secours en montagne, sous l'impulsion du Dr Paul Stieglitz, les interventions vont encore gagner en efficacité. Le Dr Menthonnex, directeur du SAMU et pionnier de la médecine d'urgence, va faire adopter l'intégration complète d'un médecin du SAMU dans les équipes d'intervention. Jean-Pierre Rocca, chef de base de la sécurité civile au Versoud depuis 87, résume cette extraordinaire évolution d'une phrase « L'hospitalisation commence dans l'hélico. » Avec la création en 86, sous l'impulsion du capitaine Grand, de la CRS des Alpes, c'est la naissance d'une unité pluri-départementale, constituée uniquement d'agents spécialisés montagne, basés à Grenoble, Briançon et Albertville. Le commandant Raymond Mollaret dirige 105 fonctionnaires hautement spécialisés (moniteurs de ski et guides de haute montagne avec formation secourisme, cynophilie, spéléologie, nivo météorologie,...). Comme les CRS, les gendarmes du PGHM de Grenoble, sous les ordres du capitaine Portet, ont payé un lourd tribut au sauvetage en montagne. En moins de cinq ans, les chefs Albert et Nicollet, le gendarme Chatain ont payé de leur vie leur engagement au service du secours. « Il faut s'adapter, ne jamais baisser les bras, on ne peut pas laisser les gens comme ça, blessés et souffrant en pleine montagne » résume Georges Claudel, un des piliers du PGHM de Grenoble de 1966 à 1993. « Les CRS sont présents pour le sauvetage en montagne parce que les anciens, bénévoles civils de la Société dauphinoise de secours en montagne, ont mis au point avant nous un outil très performant afin de porter secours à ceux qui en ont besoin » renchérit le commandant Mollaret. Militaires et fonctionnaires du service public, l'état d'esprit reste le même que celui des précurseurs prendre la montagne avec humilité, et toujours garder comme idéal le cœur et l'esprit.

 

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Hélitreuillage dans le Vercors avec les hommes et les chiens de la CRS des Alpes.

 

 

 

 

Une des équipes de la CRS des Alpes à l'entrainement. Au centre le commandant Raymond Mollaret.

 

Secours en montagne : le livre

Christophe Raylat, journaliste à "Montagne magazine", et Philippe Poulet, photographe à l'agence Mission, retracent les grandes étapes de l'histoire nationale du secours en montagne. Anecdotes et récits présentent aussi bien les drames de l'histoire montagnarde (une remarquable analyse de la tragédie Vincendon et Henry au mont Blanc en 56) que l'action au quotidien des secours modernes, effectués par les CRS et la gendarmerie nationale.

Une seconde partie, non plus historique mais pratique, rappelle les éléments essentiels de sécurité à prendre en compte et à respecter.

Un ouvrage de qualité, illustré de superbes photographies à couper le souffle.

 

Secours en montagne, éditions Didier-Richard, format 25 x 28,

128 pages, 108 photos couleur, 195 F.