LA GRANDE
AVENTURE
DU
SECOURS
EN MONTAGNE
Les moines furent les premiers sauveteurs de la montagne, quand les cimes et les cols enneigés, repères d'esprits maléfiques, se refermaient sur les pauvres voyageurs égarés.
Du Moyen Age à l'ère moderne, La charité chrétienne, les ermitages
d'attitude et les fameux chiens saint-bernard sauvèrent plus d'un
inconscient perdu dans l'immensité montagnarde. Puis vint l'ère des
scientifiques, prêts à braver les dangers d'un milieu hostile et méconnu
pour quelques cailloux ou des observations
géologiques.
Une enquête de Marc
Mingat,
photographies de Pierre Borasci, Félix Germain,
Le Reveil CRS des Alpes, Librairie des Alpes,
Photopress.
Au
milieu du XIXe siècle,
les Anglais vont
inaugurer l'ère
des sportifs ces fous
vaillants et éclairés qui, sans matériel, amés
de leur
seule volonté, ouvriront la voie du
tourisme montagnard puis de l'alpinisme. 1936 et
les congés paye
scelleront les noces de l'homme et de la
montagne, dans une
débauche de
courage,
d'abnégation, de drames, de sang et
d'héroïsme,
où
Grenoble, plus que Chamonix, sera au cœur de
l'organisation des premiers secours en montagne. Une aventure bientôt
centenaire, qui a vu les combattants des hauts périls
veiller au jour le jour sur conquérants
de l'inutile.
Dès le début du siècle, l'urgence de la constitution d'un groupe de
secours et d'intervention en
montagne
est
d'une brûlante actualité. Incidents de toutes sortes
se multiplient en altitude, avec
leur
cortège de blessures et parfois de
drames, Dans "La Montagne", la revue mensuelle du Club alpin français,
parait fin 1911 la première mention d'un désir d'organiser enfin
correctement les secours. "Sur la convocation du Syndicat d'initiative
de Grenoble et du Dauphiné, une réunion a
eu
lieu le 6 décembre en vue de la formation d'un
comité
de secours pour les touristes en montagne".
Assistaient à cette réunion les
délégués de la section iséroise du CAF, l'Automobile-Club dauphinois, la
Société de secours aux blessés ainsi que le Comité de patronage des
étudiants étrangers. Le communiqué ajoute : " Le comité demande aux
maires des centres de tourismes voisins
de
Grenoble d'aviser le Syndicat d'initiative par télégramme ou téléphone,
des accidents dont les
touristes
pourraient être victimes dans leur région.
Originaire de Monestier-de-Clermont, Jules Charamathieu devient
rapidement le personnage clef de ce comité. Dans sa petite boutique de
la rue Chenoise, rendez-vous des alpinistes de la région, il fabrique
sur mesure des chaussures de montagne. Devenu Société dauphinoise
de
secours
en montagne (SDSM), le comité va bénéficier dès les années trente de
l'arrivée
d'un
grand
personnage,
Félix Germain. Savoyard d'origine, montagnard et organisateur hors pair,
ce
professeur
de lettres va former avec Jules Charamathieu la cheville ouvrière de la
SDSM.
En quelques
années, les deux hommes constituent
un groupe
de bénévoles dévoués
et désintéressés, prêts à intervenir
au moindre appel.
Des bénévoles
qui
doivent
abandonner leur travail
sans rémunération
de substitution,
s'acheter et entretenir
leur matériel, et fournir
même
le plus souvent leur nourriture.
Les premiers sauvetages.
Dans
les environs
immédiats de Grenoble,
en Chartreuse,
Belledonne, au Moucherotte, les
secouristes
bénévoles sont la seule réponse fiable aux drames de la montagne. En
1929
déjà, le
journaliste lyonnais Duboin et une jeune fille sont en perdition au
Néron. L'hiver
est
glacial et la jeune
femme
va décéder au
sommet, alors que son compagnon
tente la descente de la dernière chance par le versant de La Monta.
Coincé dans les barres
rocheuses, ses cris
alertent les
occupants des
habitations en contrebas. Deux équipes partiront récupérer l'alpiniste
en difficulté et le corps de sa
compagne. Dans
l'une d'elles, le guide de
La
Bérarde, Maximin Rocher, et un tout jeune homme de
18 ans,
Marius Soden, un montagnard déjà aguerri et une force de la nature, doté
d'une exceptionnelle résistance physique.
Mécanicien
auto, rue Paul-Bourget à Grenoble, Marius va participer, aux côtés de
Félix Germain, à toutes
les grandes opérations de sauvetage de l'après guerre. Car si la période
qui précède le second conflit mondial est relativement calme, parsemée
de petites opérations sporadiques sans grands retentissements, la
période suivante va connaitre d'horribles drames qui marques encore
aujourd'hui les consciences.
La montagne mortelle.
Dès
la fin des hostilités, les premiers accidents aériens vont endeuiller la
montagne des environs de Grenoble. En 48 un avion de ligne s'écrase aux
deux-sœurs, sur
l'arête orientale du Vercors. Les sauveteurs récupèrent une vingtaine de
corps dans un linceul de neige fraiche. La même année, un Dakota de
l'armée américaine s'abîme au dessus de l'Obiou. L'équipage périt
carbonisé dans la carlingue éventrée, dont l'aluminium chauffé à blanc
par l'incendie a fondu sur les rochers environnants. Les corps des
malheureux pilotes sont redescendus de
nuit dans la vallée, roulés dans des sacs et morceaux de toiles
suspendus à des perches de bois portées sur les épaules. Dans les
célèbres éboulis du pied de l'Obiou, Abel Barnaud chute lourdement et se
casse le bras. Quelques années plus tard, ce grand montagnard inventera
la perche Barnaud, le premier brancard métallique articulé. En octobre
48, quelques semaines après le drame du Malabar Princess, un avion de
ligne indien qui percute le mont Blanc, les alpinistes Georges Lambert
et Jacques Piegay restent bloqués dans la face sud du Pavé, dans le
massif du Pelvoux. Plusieurs cordées, sous la conduite de Ravanat et de
Soden, tentent de rejoindre les deux naufragés des cimes. Alors que
l'équipe Soden, les pieds à moitié gelés, bat en retraite dans une neige
profonde et drue qui n'arrête pas de tomber, la cordée Ravanat se lance
dans une manoeuvre hardie. Avec l'accord de Charamathieu, désormais
commissaire général de la SDSM, et de Félix Germain, commissaire
exécutif, Martial Ravanat essaye de passer par l'arrête sommitale pour
redescendre ensuite au niveau des deux hommes. Les conditions
météorologiques apocalyptiques et l'épaisse couche de glace déposée sur
La paroi font échouer la tentative. Une cordée de l'Ecole militaire de
haute montagne de Chamonix réussira finalement à rejoindre les deux
hommes. Un an plus tard, en septembre 49, au cœur du massif du Pelvoux,
une cordée composée d'EmileWoltram et du couple Harold est accidentée da
la face nord-est de l'Olan. Woltram, durement touché et semi-comateux,
est laissé sur place, solidement arrimé au rocher, alors que le couple
rentre au refuge de Fond Turbat. Aussitôt avertie, la SDSM envoie une
équipe de ses meilleurs éléments. Composée de Barnaud, Chavand, Claude
Forges (futur grand reporter au Dauphiné-Libéré), Glénat, Léger,
Mollaret, Peyrard et Ravanat, la caravane de secours s'ébranle sous la
direction de Marius Solen Rejoints par Lambert et Albert Tobey, deux
guide de premier plan, Les sauveteurs atteignent Woltram après des
efforts inouïs. Ils ne
sont
pas au bout de leur peine. Pour franchir l'arête sommitale et passer le
ressaut
qui barre la descente, Soden porte le blessé sur son dos grâce à un
cacolet. Il faudra encore bivouaquer
de nuit sur une vire exigüe, suspendus
par des pitons avant de pouvoir installer Woltram sur un brancard
Autrichien plus confortable.
La nuit suivante après soixante-seize
heures de lutte, la caravane atteint enfin le refuge à 1h30 du matin.
Soden devant l'état critique du blessé et une météo de plus en plus
exécrable a décidé de poursuivre la nuit malgré les dangers. Le
mécanicien
de Grenoble, véritable force de la
nature, par
son courage et sa volonté, venait
d'arracher à la montagne
un homme
promit à une mort certaine.
1950, année
terrible.
Cette année là,
deux drames atroces vont endeuiller la montagne. En février une terrible
avalanche provoque un incendie dans les mines de l'Herpic au dessus
de l'Alpe d'Huez, à 2 300 m d'altitude. Douze mineurs périssent carbonisés,
et les sauveteurs de la SDSM, montés à skis, lutteront des heures dans
la neige sale et puante pour dégager les morts et les blessés. Mais le
drame le plus horrible va se produire le 13 novembre 1950. Un avion
canadien, avec 58 personnes à bord, s'écrase en pleine nuit sur l'Obiou.
Cet accident va marquer un tournant pour le secours en montagne dans la
région de Grenoble. Pour la première fois, les éclaireurs-skieurs de la
CRS 147 font équipe avec les bénévoles de la SDSM. Une collaboration
solide et efficace, kirs de laquelle vont s'illustrer le commandant
Arsimoles et le chef Jouve, un CRS doté d'un grand courage et d'une
volonté de fer. Depuis le poste de commandement, installé dans le hameau
de La Croix de La Pigne, Dodero, président du comité régional de la
Fédération française de la montagne, Charamathieu, commissaire général
des secours, et Félix Germain, coordinateur et maître d'œuvre de
l'organisation, superviseront la redescente des 58 corps affreusement
mutilés. Pendant six jours, dans des conditions effroyables (le
thermomètre affichait moins 36 degrés), les quatre équipes de sauveteurs
sous la direction de Soden, Vincent, Ravanat et Morel vont ratisser la
montagne et descendre les corps martyrisés dans des sacs de toile portés
en partie à dos d'homme. Pour la
première
fois encore, Félix Germain dans son rapport va prendre la véritable
mesure d'une telle catastrophe et préconiser une plus grande implication
des pouvoirs publics. Après avoir affirmé l'insuffisance des liaisons
radio et celle des moyens matériels (deux traîneaux, une barquette et
quatre brancards pour 58 personnes), insuffisance qui aurait conduit « à
une impuissance totale s'il avait fallu évacuer des blessés et non pas
des morts..." le responsable national du secours en montagne ajoute :
"Il faut cesser de compter sur l'improvisation du moment. Il est
inadmissible,
humainement, que le seul obstacle du financement
mette les sauveteurs dans l'impossibilité de remplir leur mission
charitable. Le problème du matériel est en tout état de cause le
problème majeur, et c'est à
sa solution rapide
que les sauveteurs demandent à l'autorité centrale de s'attacher sans
plus tarder. Déjà, à l'aube des années cinquante, Félix Germain sent
confusément que le sauvetage en montagagne ne pourra
longtemps
rester
l'apanage de bénévoles aussi dévoués et
désintéressé soient-ils.
Il sait que dans les sous-sols du Syndicat d'initiative à Grenoble, le
matériel autrichien est rare, cher, parfois obsolète, et qu'il faudra
bien un jour que le secours en montagne passe dans le giron du service
public. Une professionnalisation des secours que F. Germain sait
inéluctable.
CRS et gendarmes.
Pendant huit longues années encore, les merveilleux bénévoles de la SDSM
vont assurer leur rôle de gardiens de la sécurité en montagne. En 1951,
le Suisse Hans Hohl est secouru au sommet de la barre des Ecrins. Après
douze heures d'efforts en pleine nuit Soden et son équipe le
redescendent par la face sud. René Gallat aura moins de chance et
laissera sa vie au bout d'une corde, dans la face nord de la pointe du
Vallon-des-Etages. En mars 53, Le Pavé s'illustre à nouveau et ravit
leur dernier souffle à Jacques Merle et Jacques Dancet, une cordée hors
pair surnommée « les frères Jacques ». Quelques mois plus tard, deux
alpinistes dévissent et se tuent dans un couloir des Bans, au-dessus de
La Bérarde Fort heureusement, les pionniers de la SDSM arrivent souvent
à temps pour éviter le pire En avril 54, sur le dôme de Chassoret en
Vanoise, les sauveteurs récupèrent sept skieurs égarés depuis la veille
dans la tourmente, sains et saufs grâce à l'igloo qu'ils avaient eu la
bonne idée de confectionner. Mais le choc le plus profond, celui qui va
laisser à jamais des traces indélébiles, va surgir l'hiver 56/57 avec le
drame Vincendon et Henry. Pour la première fois dans l'histoire du
secours en montagne, on va abandonner à leur sort deux alpinistes encore
vivants sur les hauts plateaux du mont Blanc. Ecœuré, le grand alpiniste
grenoblois Lionel Terray va démissionner de la Compagnie des guides de
Chamonix, et le choc créé par ce drame va bouleverser peu après
l'organisation des secours en montagne, qu'une circulaire ministérielle
du 21 août 58 confie désormais aux préfets. CRS et gendarmes prennent le
relais des bénévoles. L'ère des pionniers s'achève.
Un grand service public.
Dès leur
création en 1944, les CRS intègrent dans leur mission la notion de
secours au sens Large, y compris face aux
calamités naturelles. Chargés entre autres de la surveillance des
intervalles inter-frontaliers, les policiers des compagnies commencent à
acquérir le pied montagnard. Une collaboration s'instaure avec les
bénévoles du secours en montagne,
collaboration
qui donne toute sa mesure lors du drame de l'Obiou en 50. Au moment où
en 58, le secours en montagne
passe
au service public, les sections de montagne apparaissent au sein des
compagnies. Aux pionniers comme Henri Jouve et Jean Robert, se joignent
des hommes tout aussi
déterminés. Sauveur Piguillern, le 4e CRS à obtenir en 58 son diplôme de
guide de haute montagne, va mettre au point un brancard qui porte son
nom. De son côté, la gendarmerie
nationale crée les premiers pelotons
de gendarmerie de haute montagne (PGHM). Après Chamonix (58), celui de
Grenoble voit le jour en 61, sous la direction du chef Charles Augerot.
Gendarmes et CRS ont mis au point un système d'alternance
hebdomadaire qui
permet, une semaine sur deux à l'équipe au
repos,
de pratiquer un entrainement très
poussé. A l'arrivée en 62 des moyens aériens, puis quelques années
plus tard de la technique de
l'hélitreuillage, le secours en montagne a connu une nouvelle
révolution. Henri Giraud, le pilote des glaciers, malgré tout son
talent, a du s'incliner devant la supériorité technique de l'hélicoptère
en montagne.
Aujourd'hui, où il fallait
auparavant cinquante sauveteurs et 24
heures d'intervention, une demi-heure suffit à l'hélicoptère pour
intervenir et hélitreuiller une victime. Avec l'apparition en 70 de
la médicalisation des secours en montagne, sous l'impulsion du Dr Paul
Stieglitz, les interventions vont encore gagner en efficacité. Le Dr
Menthonnex, directeur du SAMU et pionnier de la médecine d'urgence, va
faire adopter l'intégration complète d'un médecin du SAMU dans les
équipes d'intervention. Jean-Pierre Rocca, chef de base de la sécurité
civile au Versoud depuis 87, résume cette extraordinaire évolution d'une
phrase «
L'hospitalisation commence dans l'hélico. »
Avec la création en 86, sous l'impulsion du capitaine Grand, de la CRS
des Alpes, c'est la naissance d'une unité pluri-départementale,
constituée uniquement d'agents spécialisés montagne, basés à Grenoble,
Briançon et Albertville. Le commandant Raymond Mollaret dirige 105
fonctionnaires hautement spécialisés (moniteurs de ski et guides de
haute montagne avec formation secourisme, cynophilie, spéléologie, nivo
météorologie,...). Comme les CRS, les gendarmes du PGHM de Grenoble,
sous les ordres du capitaine Portet, ont payé un lourd tribut au
sauvetage en
montagne. En moins de cinq ans, les chefs Albert et Nicollet, le
gendarme Chatain ont payé de leur vie leur engagement au service du
secours. « Il faut
s'adapter, ne jamais baisser les bras, on ne peut pas laisser les gens
comme ça, blessés et souffrant en pleine montagne »
résume Georges Claudel, un des piliers du PGHM de Grenoble de 1966 à
1993.
« Les CRS sont
présents pour
le sauvetage en montagne
parce
que les anciens, bénévoles civils de la Société dauphinoise de secours
en montagne, ont
mis au
point avant nous un
outil
très performant
afin de
porter
secours à ceux qui en ont besoin »
renchérit le commandant Mollaret. Militaires et fonctionnaires du
service public, l'état d'esprit reste le même que celui des précurseurs
prendre la montagne avec humilité, et toujours garder comme idéal le
cœur et l'esprit.
Secours en montagne : le livre
Christophe Raylat, journaliste à "Montagne magazine", et Philippe
Poulet, photographe à l'agence Mission, retracent les grandes étapes de
l'histoire nationale du secours en montagne. Anecdotes et récits
présentent aussi bien les drames de l'histoire montagnarde (une
remarquable analyse de la tragédie Vincendon et Henry au mont Blanc en
56) que l'action au quotidien des secours modernes, effectués par les
CRS et la gendarmerie nationale.
Une seconde partie, non plus historique mais pratique, rappelle les
éléments essentiels de sécurité à prendre en compte et à respecter.
Un ouvrage de qualité, illustré de superbes photographies à couper le
souffle. Secours en montagne, éditions Didier-Richard, format 25 x 28,
128 pages,
108 photos couleur, 195 F.
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