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TRANCHE DE VIE |
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Jean-Louis Dierstein |
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Sa vie au GMR "Lauraguais" (Extraits
tirés de son livre "Nous les indispensables mal aimés") |
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" …Après avoir servi dans le 2e Hussard à Tarbes « noblesse oblige,
Chambauran autant » en qualité d'engagé volontaire pour la durée de la
guerre, et m'être soustrait au service du nazisme en ma qualité
d'Alsacien classe 1922, (né le 29/08/1922 à Mulhouse Haut Rhin). |
Je suis entré comme la majeure partie des Sous-officiers de l'armée
d'armistice et inscrit sous le matricule 070 au G.M.R. du Lauraguais, le
16 décembre 1942, grâce à la
recommandation du commissaire Schmidt, un alsacien comme moi qui m’a
fait inverser mes prénoms de Louis-Jean, en Jean-Louis pour entrer dans
la police. |
Pour être incorporé dans une unité de police à cheval (ce qui était mon
souhait venant du 2e Hussards), il fallait être Sous-officier et mesurer
1,70-71 m au minimum, car cette police était prévue pour faire des
défilés et des patrouilles montées la nuit dans cette ville de Toulouse
avec un couvre-feu permanent. J'étais juste mais tout juste dans cette
fourchette de taille mais ça me suffisait.
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Notre quotidien : pansage, garde d'écurie, entretien et entraînement des
chevaux, à part le traitement mensuel qui à l'armée était 1 120 francs,
j'ai quand même gagné comme simple gardien 2 120 francs non logé, mais
nourri à douze francs le repas. Je logeais rue des Lois à l'Ombre de
Saint-Sernin, donc pas loin de la Caserne Compans-Caffarelli qui nous
servait de cantonnement et qui donnait sur le Boulevard d'Acole, où
s'installaient le samedi et dimanche les commerces ambulants jusqu'à la
place Esquirol. Ma chambre a souvent servi de relais pour les insoumis
au S.T.O. et pour les passants en Espagne.
Il y a bien une dizaine de
personnes que j'ai hébergé et nourri à mes frais pendant les années
42-43 et début 44 jusqu'au moment où nous n'avions plus droit à des
chambres individuelles en ville. |
Quand il y avait des rafles les militaires et la gestapo ne s'occupaient
pas des chambres sur lesquelles était imprimée la carte de Police
Nationale. Même en mon absence, il était interdit d'ouvrir à qui que ce
soit. C'était ma manière à moi de faire de la résistance à l'occupant. |
Donc comme vous pouvez le constater nous étions bien situés.
Malheureusement pour entraîner nos chevaux il fallait se rendre dans la
carrière pour chevaux située tout à côté et reliée par un
portique, mais occupé par un régiment de l'Infanterie Allemande. Le
manège couvert était par contre de notre côté. Quand il fait beau, il
vaut mieux faire travailler un cheval en plein air, qu’enfermé c'est
meilleur pour sa santé, mais à voir les « Fritz » faire leur «
Ein's-Zwei-Ling's-Recht's », me foutait le cafard. |
Comme j'étais devenu bon cavalier, je pris les fonctions d'ordonnance du
Capitaine Méricq Jacques ( il disposait de deux chevaux) et ainsi, je pouvais sortir avec l'un et l'autre hors de la ville
et les faire galoper dans la nature. Les chevaux du Capitaine
s'appelaient « Poumm » et « Albino » le premier était un Anglo-normand
avec un garot de 1,70 m, tandis que le second était un Arabo-Tarbais
avec une encolure de 1,60 m. Tous les deux avaient une belle robe Alzane
et mon patron était un très bon cavalier, il préférait « Poumm », car il
avait lui-même une grande taille 1,80 m. Albino, s'était plutôt mon
genre et quand nous sortions ensemble pas la peine de chercher le maître
et le valet, le valet c'était moi. Mais il était content de mes services
et malgré mon travail il m'a fait passer le B.C.T. pour être Brigadier
dans la Police Nationale. |
Le Sous-Brigadier était le chef d'une escouade de six hommes. Le
Brigadier avait le commandement de douze hommes avec Chef de brigade. Le
Chef de Section devait posséder le B.S.A.P. (Brevet Supérieur d'Aptitude
Professionnelle) pour commander une section de quatre brigades ce qui
faisait du monde, quarante-huit en tout. |
Nous étions tous équipés d'affaires militaires passées à la teinture «
Bleu Acier ». Il y avait cependant une différence entre un Officier et
un Sous-officier. L'Officier avait des bottes en cuir, l'autre des
leggins (fourreaux de cuir partant du coup de pied sous les genoux et
fermés avec des boucles en acier sous les côtés). Le manteau avait un
col ouvert et la tenue était en gabardine avec chemise blanche. Pour les
autres s'étaient le manteau col fermé jusqu'au cou et chemise
bleue-marine. Il y avait trois réfectoires : le mess pour les officiers,
la salle à manger pour les gradés et le réfectoire pour les policiers
sans grade. Les uns se « sustentaient », les autres « mangeaient » et
les derniers « bouffaient ». Bien que l'heure des repas fût fixe : douze
heures et dix-huit heures, il arrivait de les devancer, en cas de
mission particulière. |
Programme d'une journée de G.M.R. classique : 7 h : réveil, 8 h :
déjeuner (café et pain beurré au début, puis café et un morceau de
chocolat par la suite. Une tablette à 8 barres pour huit. À 8 heures 15
rassemblement, levé des couleurs, 8 heures 30 à 9 heures 30 sport et
entretien physique, 10 heures à 11 heures 30 pansage en entretien de
chevaux, 11 heures 45 ouverture du bar jusqu'à 14 heures. |
Le bar était le seul endroit où le salut à l'entrée d'un supérieur
n'était pas exigé et toutes les consommations devaient être payées au
comptant. Les jeux y étaient autorisés (Tarot, Belotte, Échecs…). Le bar
était ouvert jusqu'à neuf heures. Extinction des feux à vingt-deux
heures. Sanction si non observation du règlement. |
Garde au poste le dimanche, où garde d'écurie supplémentaire, puis il y
avait la liste des autres sanctions qui pouvaient aller jusqu'à la
radiation, obligatoirement signalée aux occupants qui vous embarquaient
au S.T.O. soit en France soit en Allemagne. |
Comme on vivait un couvre-feu permanent les vitres étaient teintées en
bleue pour ne pas laisser voir la lumière à l'extérieur, et nous
permettait de continuer nos jeux de Bridge et autres dans les chambres.
Personnellement, j'avais intérêt à ne pas me faire remarquer, car pour
moi, cela n'aurait pas été le S.T.O., mais le front en Russie. |
Je me rappelle qu'un jour j'ai reçu un coup de téléphone pour me rendre
à un rendez-vous dans un café de la place Esquirol où j'étais attendu
par trois civils, qui m'ont raconté des tas de choses sur ma vie privée
d'avant 1940 et qui étaient même au courant de mes correspondances avec
la Suisse et mes cousins. Petit à petit, j'ai compris qu'ils voulaient
que je leur procure des armes de poing pour le maquis. Je leur ai dit
que je verrai… mais je ne les ai jamais plus revus. |
Après un an à la caserne Compans, nous avons déménagé et nous sommes
allés à St Anne au sud-est du Centre. C'étaient services organisés, mais
on était entre nous à côté de l'hippodrome. Nous faisions nos sorties
d'entraînement du côté de Blagnac qui était en 1943 sur un immense
terrain inculte. |
Nous nous sommes rendus en train jusqu'à Pierrebufière et de là, à
Limoges au domaine de Labastide. J'avais comme cheval un alezan
arabo-tarbais du nom d’Alpino..... un jour il m'a fait gagner une course
d'obstacle en nature contre la 6e légion de la garde mobile montée et
j'ai gagné une paire d'étriers en cuivre massif, ce qui en
1943 était très difficile à trouver, car le cuivre était très recherché
par les allemands pour faire des douilles de cartouches... |
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Dierstein sur le cheval "ALPINO"
1944 (Col Jean Louis Dierstein)
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Je suis devenu vaguemestre et ayant réussit l'examen du B.C.T; «
Sous-brigadier sous les ordres du Commandant Méricq avec qui je suis
resté en relation jusqu'à son décès en 1992. J'avais un grand respect
pour cet homme, magnifique cavalier, humain, très intelligent.... |
J'ai également fait les liaisons avec le G.F.L. et en cours de route
laissé photocopier mon courrier par le maquis du Colonel Guingouin. |
La Compagnie fut dissoute en septembre 1944 et tout le personnel
a dû se présenter devant une commission d'examen qui jugeait notre
activité pendant l'occupation. Je n'ai eu que des félicitations et mes
témoignages étaient pris en compte à l'encontre de mes supérieurs et
j'ai encore pu rendre ainsi de menus services aux Officier Schuller et
Méricq qu'on a voulu inculper pour collaboration avec l'ennemi, mais
tout c'est bien passé. |
Je suis donc comme F.F.I. revenu aux armées et affecté au corps franc
Pommiès, qui a fait route début octobre pour Royan dernière base
allemande sur l'Atlantique où la base de sous-marins refusait encore de
se rendre aux français. Dans le courant de la soirée d'arrivée, le
capitaine de mon groupe demandait s'il y avait quelqu’un qui parle
couramment l'anglais et l'allemand. |
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GMR-FFI (ex
Lauraguais) à Limoges (Col Jean Louis Dierstein) |
Je me suis présenté et j'ai été renvoyé à la subdivision militaire de
Toulouse pour subir un examen d'interprète, que j'ai réussi et on m'a
affecté comme Mdl Chef au service général du camp de prisonniers de
Bourdelongue, pas loin de Toulouse avec dix mille P.G. de l'axe dont
cinq mille italiens. Parmi les allemands il y avait dix-sept
nationalités y compris des Russes blancs et des indous qui tout au long
de la journée peignaient leur longue chevelure. Mais un jour j'ai vu
arriver des commissaires du peuple russe avec des autorisations
accordées par l'autorité française. Ils ont interrogé les prisonniers
russes blancs. Un d'eux m'a dit en français, je suis prince polonais et
demain ils vont nous fusiller. Je l'ai aidé à fuir la nuit et il m'a
donné sa bague en argent. Je ne sais pas ce qu'il est devenu, mais j'ai
toujours sa bague et le lendemain après avoir creusé une tranchée, les
commissaires russes les ont abattus, les vingt qu'ils étaient comme
traitres à la Russie. Personne ne demandait des comptes.
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Tous les jours des exécutions étaient faites au nom de la France contre
des soi-disant collaborateurs et cela sans aucun jugement. N'importe qui
pouvait dans les premiers mois de la libération faire n'importe quoi,
une vraie période de règlement de comptes, nous sommes en fin de
1944………… " |
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