TRANCHE DE VIE DE JEAN MARTINEZ
Le récit de son arrivée en tant qu'officier stagiaire à la CRS 49 en avril 1964
 
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"MA PREMIÈRE COMPANIE : LA CRS 49 DE MONTELIMAR"
 
                   Je n’ai pas gardé un très bon souvenir de ma période de formation d’officier  de paix, notamment de mon passage au CNIASN de Sens. Par contre, j’en conserverai un excellent de la treizième promotion d’officiers de Paix à laquelle j’appartenais. Nous serons 65 amis à nous retrouver toujours avec plaisir au cours de nos carrières toutes réussies et bien remplies. En 1978, alors que je commandais la CRS 21, 18 CRS  sur 60 avaient à leur tête un commandant issu de la 13 eme promotion.
                 A la sortie de la promotion, je choisirai, en toute connaissance de cause, une affectation à la CRS 49 de Montélimar dont tout le monde connaissait la bonne réputation.
 

              J’arriverai  le 16 avril 1964 à la CRS 49 de Montélimar.  Je commanderai la 1 ère section composée de 45 policiers. À cette époque l’effectif total d’une compagnie était de 210 fonctionnaires de Police. Les 16 compagnies rapatriées d’Algérie, en février 1962, avaient été dissoutes le 1er janvier 1964 et leurs effectifs répartis dans les 60 CRS de métropole.

 

                Effectivement, quelle excellente compagnie que cette unité installée à Donzère-Mondragon à 10km au sud de Montélimar, créée depuis à peine 2 ans.
 
                Un commandant : Albert Lieutaud, absolument exceptionnel qui m’a tout appris sur le fonctionnement d’une compagnie. Un très bon capitaine qui deviendra un ami sincère : Roger Dodin, et 2 collègues lieutenants fantastiques, amis solides : Charles Pellegrini et Alain Pascual. Des gradés inoubliables : entre autres Mignucci, Dours, Roche, Pamard, Soulier, Gonfiantini. Une ambiance amicale, joyeuse et décontractée à toute épreuve. La devise de l’équipe d’officiers : Boulot boulot, java java. Un service toujours parfaitement assuré, des parties de rire, et notamment de tarots, mémorables : Personne de l’équipe n’oubliera l’entêtement d’un Charles Pellegrini téméraire, qui tentait toujours de mener le petit au bout, qu’il se faisait régulièrement prendre au grand dam de Lieutaud, souvent son partenaire, emporté alors par la froide colère du mauvais perdant.
                 Le rassemblement et la cérémonie des couleurs se déroulaient tous les matins à 8 heures sur une vaste place battue régulièrement par un mistral glacial que rien n’arrêtait. Juste avant le rassemblement, Charles Pellegrini arrivait de Montélimar en trombe à bord de sa Panhard, le chef Roche chef du service général, son voisin et habituel passager, descendait de la voiture les jambes flageolantes, conscient du danger qu’il venait d’affronter près de son brillant et fougueux conducteur.
               Que de casquettes emportées par le vent, la cérémonie ne durait, ces jours de mistral, qu’un minimum de temps avant que tous les présents frigorifiés se précipitent vers un abri. Je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie.
 
               Un autre souvenir de 1963, (je n’étais encore pas arrivé à l’unité), de cette place du rassemblement et des couleurs, qui bordait la voie ferrée Paris Lyon Marseille sur laquelle se succédaient à un rythme effréné de très nombreux tains : La compagnie en grande tenue devait être présentée sur cette place au préfet de la Drôme, monsieur Faussemagne en visite à la CRS. Le photographe de l’unité avait pour mission de prendre une photo du préfet, avec, à l’arrière-plan, le passage d’un train. Hélas, pas de train pendant la cérémonie, et pas de photo tant attendue de « Faussemagne et le train» qui aurait pu devenir la devise - « faut se manier le train » - de toute la compagnie.
  Charles Pellegrini et sa 3° section qui attendait, avec toute la compagnie,  le train… qui ne passera pas
 

          La CRS 49 était alors une  compagnie qui donnait envie d’aller travailler le matin et de retrouver des amis, voire de partir en déplacement, et où les congés annuels pouvaient paraître trop longs.

 
Faits marquants pendant mon affectation à la CRS 49 :
 
              Le 15 Août 1964 après-midi, le général De Gaulle, Président de la République inaugure le mémorial construit au Mont Faron sur les hauteurs de Toulon pour commémorer le 20 eme anniversaire du débarquement des troupes Françaises en Provence le 15 Août 1944. Je viens d’arriver à l’unité.
              Plusieurs CRS sont déplacées à Toulon. La CRS 49 assure le service de protection et d’honneur autour du mémorial, près d’une énorme potiche de fleurs devant laquelle le général doit descendre de voiture. Quelques jours avant, un commando de l’OAS, encore active à l’époque, a placé une énorme bombe sophistiquée dans la potiche. Le membre du commando, préposé à son déclenchement caché dans un bois un km plus loin, aura beau appuyer sur le système de mise à feu télécommandé à distance à l’arrivée du général, la bombe n’explosera pas. La veille un jardinier de la ville de Toulon avait inondé d’eau les fleurs de la jarre pour les arroser.
                 Près de la potiche se tenaient toutes les autorités locales : Notamment le préfet, le maire, les autorités locales et le commandant Lieutaud.  J’étais chef d’une section d’honneur devant l’entrée du mémorial, à quelques mètres de la potiche. L’hebdomadaire Paris-Match publiera plus tard une photo de l’arrivée du Général près de la potiche. Tous ceux qui auraient pu mourir ou être gravement blessés ce jour-là y figuraient. Notre heure n’était pas encore arrivée….
 
                - J’irai exercer le commandement du détachement permanent des CRS de 45 hommes, chargé d’assurer la circulation sur la route d’accès et dans le tunnel du Mont Blanc à Chamonix, ainsi que le contrôle à la frontière Italienne pendant un an, du 10 avril 1967 au 10 Avril 1968. La PAF (Police de l’Air et des Frontières) n’existait pas encore, elle ne sera créée que fin 1968, …. avec des effectifs prélevés sur ceux des CRS qui seront réduits alors à 165 fonctionnaires par compagnie.
                Une année entière, sans supérieur hiérarchique sur place, cette activité variée et prenante restera une excellente expérience, très enrichissante à cette époque de ma carrière. J’en garderai aussi une passion pour la ville de Chamonix qui me vaut d’aller y passer régulièrement une semaine tous les ans en janvier depuis mon départ à la retraite. Site magnifique, cette chaîne du Mont Blanc vue de Chamonix offre un panorama unique au monde et attire des visiteurs du monde entier.
 
             - En mai 1968. Le commandant Mout commandait la compagnie, Lieutaud, Dodin, Pellegrini, Pascual, partis poursuivre leur carrière ailleurs, étaient…. remplacés .   La CRS 49 n’était plus du tout la même compagnie. J’étais le dernier officier de la compagnie de 1964 encore en poste à l’unité. Je n’y resterai, heureusement, moins d’un an, le temps aussi de vivre le mois de Mai 1968 à la CRS 49.
                Le 9 mai 1968, Je rentrais juste de Chamonix, et partais avec la CRS 49, tôt le matin à Grenoble pour une demie journée, retour prévu le soir même et …. ne revenais que 53 jours plus tard. Après Grenoble, direction Lyon. Nous étions sur le pont Lafayette le 24 mai, le soir ou le commissaire Lacroix a été tué, écrasé contre un lampadaire par un camion envoyé par un manifestant sur les forces de l’ordre. Puis Marseille (pour l’étape Lyon - Marseille : arrêt d’une heure pour faire les pleins d’essence des véhicules au cantonnement de Montélimar, et permettre à quelques femmes prévenues de venir voir leurs maris). Ensuite la Ciotat, Toulon, re-Lyon (6 CRS logées dans l’ancien palais de la foire de Lyon sur les berges du Rhône) et fin du périple encore à Grenoble, avant de rentrer enfin chez nous à Montélimar le 28 Juin. Les épouses avaient dû, seules, assurer la bonne marche des familles, dans des conditions pas toujours faciles. Les banques en grève, l’administration avait alloué, début juin, à chaque fonctionnaire de police une avance en argent liquide équivalant à, environ, un demi-traitement mensuel.

             Quelques manifestations difficiles, mais rien de grave pour la CRS 49, surtout aucun blessé à la compagnie, ni chez les manifestants que nous avons toujours contenus sans heurt ni brutalité. Restera, pour moi, une forte impression de déliquescence du pouvoir politique devant une tentative de révolte anarchique des étudiants, vite suivis par des ouvriers poussés par leurs syndicats, et des partis politiques d’opposition très opportunistes.
 
             Mai 68 apportera aussi de profonds changements dans le fonctionnement, le tableau de service de nos unités et surtout dans nos méthodes, techniques d’intervention et nos équipements.

            Le 1er Mars 1969, nommé Capitaine, j’irai exercer les fonctions d’officier chargé des transmissions au groupement de CRS de Rennes. 

Tous ces souvenirs, à la CRS 49, resteront parmi les meilleurs de ma carrière, bien sûr aussi j’avais alors 24 ans.

 
Le trio de lieutenants de la CRS 49 en déplacement à Marseille à la CRS 54 en Mai 1964 : Martinez, Ch. Pellegrini, Pascual