Les Polices Mobiles

 

Image1.jpg 1945...

 

Le courage, c'est de rechercher la vérité et de la dire.

J. JAURES.

 

 Le Larousse du xx° siècle définit ainsi le mot « épuration » : « acte d'un gouvernement qui élimine du corps des fonctionnaires, ceux d'entre eux qui ne partagent pas ses idées — (En ce sens, épuration est plutôt pris en mauvaise part). »

Si le mot est relativement nouveau, l'application par contre remonte assez loin. Mais c'est surtout avec le fascisme, le nazisme et les régimes totalitaires qu'elle a trouvé sa véritable expression. Tous ont largement usé du procédé. Le Front Populaire l'avait aussi envisagée en 1936 et nombreux sont les fonctionnaires qui se souviennent avoir figuré sur des listes établies par certaines sectes philosophiques qui réclamaient déjà : « toutes les places et tous ;es postes, tout de suite ". Elles avaient cependant hésité à pousser trop loin cette méthode qui n'aurait pas manqué, à l'époque, de soulever une immense indignation dans toute la France. Le Gouvernement de Vichy lui-même a hésité pendant l'occupation à prendre certaines mesures draconiennes à l'encontre des fonctionnaires et, lorsqu'il fut contraint par l'occupant de frapper les Juifs et les francs-maçons, il -leur laissa le bénéfice des droits acquis, notamment en ce qui concerne la retraite. M. J. Moulin, Président du C.N.R., jouissait de ce privilège qui lui avait été accordé, sur sa demande, par M. Pierre Laval.

A la libération, le G.P.R.F. ne s'est pas embarrassé de tant de principes. II a vu grand. Il a fait du neuf et du raisonnable en frappant 120.000 fonctionnaires et agents des services publics de sanctions allant du blâme à la condamnation à mort en passant par la privation des droits à la retraite et la confiscation des biens.

Dans cette opération insensée, la police a été, de toutes les administrations, celle qui a payé le plus lourd tribut.

L'observateur impartial ne peut manquer d'être frappé par cette disproportion dans les sanctions et il lui vient tout de suite à l'esprit la question de savoir par qui a été faite et à qui a profité l'épuration.

Selon toute évidence ce sont certaines factions politiques qui ont été les animatrices de cette « purge ». Elles ont été aidées dans cette œuvre de destruction de l'appareil administratif du pays, par la veulerie, le manque de jugement ou le souci de se dédouaner, de certains éléments qui ont craint d'être touchés par l'épuration.

Les circonstances qui ont permis ce déchaînement des passions sont, aujourd'hui, bien connues. Ce sont :

1° la dislocation du gouvernement de Vichy, d'où disparition de tout pouvoir exécutif ;

2° la décapitation des organes de commandement, complètement paralysés par l'épuration ;   

le noyautage politique de certains cadres.

Cette dernière opération a été l'œuvre du N.A.P. (noyautage des administrations publiques).

Sans nous étendre sur son fonctionnement et la bonne foi de certains responsables des échelons supérieurs, nous tenons à souligner la légèreté avec laquelle furent acceptés et utilisés par ces échelons, les renseignements transmis par les informateurs en place.

La mission dont ils furent investis initialement devait permettre la détection des éléments antinationaux et dangereux pour la Résistance. En réalité, ces individus comprirent tout autrement leur rôle.

En effet, ils transformèrent leur mission d'informateur en celle de mouchard et de délateur. Ceci, pour une double raison :

1- Il leur était difficile de rechercher ce qu'ils auraient dû, en principe, uniquement signaler, c'est-à-dire des Français ayant des attaches personnelles et intéressées avec l'occupant, car ceux-ci étaient pratiquement inexistants parmi les fonctionnaires de police ;

2- Il fallait, étant donné cet état de fait, justifier malgré tout, une action quelconque pour servir des intérêts personnels et assouvir des vengeances. En outre, elles créaient la 'possibilité pour certains clans politiques, d'écarter des postes de commandement les éléments considérés comme trop indépendants.

C'est pour ces raisons que ces informateurs laissèrent apparaître dans leur action néfaste, les plus bas instincts de délateurs et de dénonciateurs et qu'ils furent encouragés dans cette voie par tous ceux qui avaient intérêt à ce qu'il en fût ainsi.

Sous le prétexte d'épuration administrative, il fut procédé à l'élimination systématique des éléments réputés pour leur valeur et leur conscience professionnelles. Dans presque tous les rapports établis contre les fonctionnaires évincés, nous retrouvons le même vice rédhibitoire sous la formule suivante : « A SERVI AVEC ZELE LE GOUVERNEMENT DE VICHY » ou « A EXECUTE SERVILEMENT LES ORDRES REÇUS ».

Un tel désaveu des qualités premières qu'est en droit d'exiger le pays de la part de ses fonctionnaires, c'est-à-dire le loyalisme, l'obéissance à la loi et le sens véritable du mot « servir », dont ont toujours fait preuve la plupart des limogés, nous a conduits au triste spectacle que nous avons eu l'occasion de voir depuis (événements de Marseille, 11 novembre, etc...). Mais où ces appréciations prennent une saveur particulière, c'est lorsqu'elles émanent de gens qui sont restés en activité durant toute l'occupation et qui souvent, faisaient preuve d'un esprit de collaboration d'autant plus remarquable qu'ils se savaient couverts par leur appartenance à la Résistance.

Dans les mêmes rapports, nous relevons également des griefs relatifs aux idées, griefs camouflés sous l'épithète « d'ANTI-REPUBLICAIN ».

Sous ces qualificatifs de circonstance, furent arrêtés, écroués, détenus pendant des mois, révoqués ou exécutés, des milliers de policiers parmi lesquels figuraient d'authentiques républicains et d'authentiques résistants dont les noms figuraient dans les réseaux clandestins depuis 1941, décorés à ce titre, pour leur action patriotique. Cet état de fait prouve le caractère uniquement politique et égoïstement intéressé de cette épuration.

Qu'il nous suffise pour cela d'évoquer le passage suivant d'un article publié dans le numéro d'août-septembre 1946, du Bulletin de l'Association amicale des fonctionnaires de la Sûreté nationale, sous la signature de M. Sicot, Inspecteur Général au Ministère de l'Intérieur : « Sur un autre plan, on pourrait évoquer le cas si délicat de 'Commissaires et d'Inspecteurs, restés à leur poste à la demande de la Résistance, révoqués A LA LIBERA­TION et souvent poursuivis pour avoir, sous la menace d'arrestation personnelle, fait interner dix personnes sur cent qu'exigeait la Gestapo, et après avoir été révoqués par Vichy pour avoir laissé échapper les quatre-vingt dix autres, qui, sans eux, eussent été arrêtés par les Allemands ou la Milice. »

N'avons-nous pas vu, par ailleurs, des étrangers, refoulés de tous les pays du monde en raison de leur activité politique, procéder à des arrestations de Français, combattants des deux guerres, qui, à bout d'arguments, leur jetaient à la face : « Vous n'êtes plus Français ».

Enfin, ne convient-il pas de souligner que l'action épuratrice entreprise dans la police, a permis les crimes DE LA LIBERATION qui sont la conséquence des actes insensés de fonctionnaires qui ont manifesté, en la circonstance, un tel mépris de la loi, qu'ils portent la responsabilité de la plupart des  assassinats, des viols, vols et pillages ,que déplorent aujourd'hui des milliers de familles françaises.

. Certes, on pourra objecter que les autorités, aujourd'hui encore en place, n'avaient pas en mains les organes destinés, par leur action, à éviter le maintien de ce régime de guerre civile. Cette excuse ne serait qu'un aveu supplémentaire de l'impuissance, peut-être même de la duplicité, de tous ceux qui revendiquèrent, dès le premier jour de l'insurrection, le droit de commander tous les services de la police, en s'installant DE LEUR PLEINE AUTORITE à la place de ceux qui venaient d'être dépossédés de leurs fonctions.

Il n'est pas injuste d'affirmer que l'on peut imputer une large part des responsabilités des crimes de la libération à ceux qui, par leur action soi-disant épuratrice, paralysèrent les services de police au moment où ceux-ci devaient envers et contre tout, assurer leur mission de toujours, c'est-à-dire maintenir la sauvegarde des personnes et des biens de la Communauté nationale. Ainsi, on tuait, on torturait à Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, etc... PENDANT QUE LA POLICE S'ECROUAIT, ET S'ECROULAIT.

Qu'on ne s'y trompe pas, pendant des années et des années, la police française, décimée par la fureur partisane et la convoitise d'épuration, supportera le poids d'une indigence intellectuelle et d'une insuffisance professionnelle, que M. Sicot et le Syndicat Chrétien de la Préfecture de Police ont dénoncée dans ces termes :

«   La police désorganisée par l'occupation et par des mesures qui n'ont pas suffisamment tenu compte des impérieuses nécessités de la Sécurité publique, est dans un état de faiblesse auquel les Consuls feront bien de prendre garde. On ne refera pas un corps de police en quelques mois. L'habit ne fait pas le moine. » (Bonne Année, déc. 1946)...

«   Un profond malaise règne, dans les services de la Préfecture de Police. Une vague de découragement, annonciatrice d'anarchie et de révolte, secoue tout le navire des cales jusqu'au sommet.

«   De nombreux S.O.S. ont été poussés vers nous. Des révélations presque quotidiennes sont faites à nos délégués ou dans nos permanences. Nous ne pouvons plus rester sourds à ces appels et nous nous faisons un devoir d'attirer l'attention de M. le Préfet de Police sur le paradoxe de certaines nominations, prononcées ou ratifiées, depuis la libération. » (Les Nouvelles Syndicales, janvier 1947).

 

L'EPURATION, ARME POLITIQUE

 

Un Commissaire du Gouvernement, requérant dans le procès de l'Inspecteur Jourdan, commençait son réquisitoire en ces termes : « Juridiction d'exception, la Cour de Justice n'a pas à apprécier le préjudice causé aux tiers, soit par les sévices dont ils ont été l'objet, soit par les dommages matériels et moraux qui en ont découlé. Elle a à juger le caractère politique de l'action faite par l'inculpé. »

Un tel aveu se suffit. Et pourtant nous en trouvons une nouvelle preuve dans l'exposé des motifs de l'Ordonnance sur la presse dans laquelle ont lit : « Les agissements criminels des collaborateurs de l'ennemi n'ont pas toujours revêtu l'aspect de faits individuels susceptibles de recevoir une qualification précise aux termes d'une règle juridique du droit strict. Ils ont souvent composé une activité antinationale répréhensible en elle-même. PAR AILLEURS LES SANCTIONS DISCIPLINAIRES QUI ECARTENT LES FONCTIONNAIRES INDIGNÉS DE L'ADMINISTRATION LAISSENT EN DEHORS DE LEUR CHAMP D'APPLICATION LES AUTRES CATEGO­RIES SOCIALES...

L'Ordonnance soumise à votre approbation tend à réaliser cette œuvre d'épuration nécessaire et à entourer des garanties indispensables exigées par le souci d'une justice dont la sévérité n'altère pas la sérénité.

De prime abord, elle revêt un aspect rétroactif susceptible de créer une opposition entre le principe qu'elle consacre et la règle formulée par l'article IV du Code pénal. Mais il semble que la non-rétroactivité ne doit pas se poser à propos de l'indignité nationale ; il ne s'agit pas, en effet, de prononcer une peine privative de liberté, mais d'édicter une déchéance. Le système de l'indignité nationale ne trouve pas sa place sur le terrain de l'ordre pénal proprement dit. Il s'introduit délibérément sur celui de la JUS­TICE POLITIQUE où le législateur retrouve son entière liberté et plus particulièrement celle de tirer à tout moment les conséquences du droit que comporte cet état de fait. »

N'est-ce pas aussi pour justifier cette épuration politique que l'on a commencé par qualifier de traîtres et de réactionnaires ceux que l'on voulait frapper.

Le 7 juillet 1947, M. Paulhan, Président du Conseil national des Ecrivains, déclarait : « Si j'étais moraliste ou politique, c'est, je crois. la cruauté de l'épuration qui me frapperait d'abord. »

Cruauté ! Le mot n'est pas exagéré lorsque l'on songe aux centaines de milliers de victimes innocentes qui ont été frappées et aux dizaines de milliers de fonctionnaires qui ont été privés de leur gagne-pain, déshonorés, non pas en raison d'actes politiques, mais pour des faits découlant des servitudes de leur profession, que l'on a qualifiés, pour la circonstance, de délits politiques.

Le 11 janvier 1944, MM: Jules Moch, Fernand Grenier, René Ferrière et Gazier déposaient, à l'Assemblée d'Alger, une proposition n° 26, relative à l'épuration dans la Métropole qui- « affirmait la volonté de tous les Français résistants et patriotes, de Châtier sans délai, la POIGNEE DE TRAITRES et de collaborateurs, en commençant par les responsables les plus hauts placés. »

A la même époque, l'un des leaders de la collaboration, Marcel Déat, déclarait devant le Comité directeur du R.N.P., qu'il ne « trouvait pas, dans toute la France, 50.000 collaborateurs et pas un dixième des fonctionnaires favorables à la collaboration ».

Pendant le même temps, les Allemands établissaient une liste de 2.000 personnalités suspectes de germanophobie, dans laquelle figuraient un grand nombre de fonctionnaires aujourd'hui frappés comme collaborateurs.

A la libération, le Général de Gaulle déclarait qu'il « n'y avait eu en France qu'une poignée de traîtres ».

En 1945, le Procureur Général Boissarie affirmait « qu'un Français sur mille avait collaboré ».

Comment expliquer alors que les chiffres donnés par 'ces personnalités ont été 165 fois supérieurs dans la police ? Est-ce à dire que des dizaines de milliers de fonctionnaires se soient brusquement mués en collaborateurs alors même que les Allemands les désignaient comme des adversaires et se préparaient à les arrêter ? Non, la vérité est que l'épuration a été une opération politique et non la sanction d'actes de trahison. Elle a été le « hors-la-loi » magique qui a permis aux mécontents, aux aigris, aux incapables, parfois même aux crapules (la presse nous en apporte la preuve tous les jours), de satisfaire leur vengeances personnelles et d'éliminer leurs concurrents à l'avancement.

Quand on saura par ailleurs que l'épuration de la police a été l'œuvre de clans intéressés à la disparition de ce bastion de défense des libertés républicaines, peut-être comprendra-t-on les véritables mobiles de ce drame.

 

LA LEGALITE DU GOUVERNEMENT PETAIN

 

« En fait, il n'y a pas eu rupture entre l'Assemblée Nationale de Vichy et la pratique gouvernementale d'avant la guerre; les 10-12 juillet 1940, le Parlement a simplement délégué ses pouvoirs de faire des décrets lois constitutionnels, comme auparavant il déléguait set pouvoirs pour des décrets lois législatifs ».

(André Marty, Xe Congrès du P.C., février 1945)

S'inspirant du précédent des Versaillais à l'égard des Communards et pour justifier l'épuration, le G.P.R.F. a affirmé que le gouvernement Pétain était un gouvernement de fait, à l'égard duquel les fonctionnaires étaient tenus de désobéir.

Aujourd'hui, cet argument n'est plus guère invoqué et de nombreux résistants reconnaissent qu'en 1940 « Sénat et Chambre des Députés ont été réunis selon toutes les règles et toutes les formes constitutionnelles conformément à la loi du 16 juillet 1875 » et que « c'est en toute connaissance de cause et en respectant la lettre sinon l'esprit de la loi que l'Assemblée Nationale a aboli la Constitution de 1875 ».

La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 est donc légale. N'a-t-elle pas, du reste, été signée par M. Albert Lebrun, Président de la République et principal défenseur de la légalité républicaine ? Quoi qu'il en soit, 569 parlementaires contre 80 ont, en toute indépendance, donné au Maréchal Pétain les pouvoirs pour élaborer une nouvelle Constitution et tous les pays étrangers n'ont-ils pas accrédité des ambassadeurs auprès de lui ? Tous les hauts cadres de l'administration restèrent en place et il fallut les incidents de Mers-el-Kébir pour amener la rupture des relations diplomatiques avec l'Angleterre.

Au surplus, de grandes voix ne s'étaient-elles pas faites entendre pour inciter les Français à se grouper derrière le gouvernement du Maréchal ? A-t-on oublié les discours du 9 juillet' 1940 de MM. Herriot et Jeanneeny, l'affiche de M. Vincent Auriol, la proposition de Paul Boncour, et, plus tard, la lettre de M. Francisque Gay et l'affiche de M. Marcel Cachin ?

Comment admettre que des « lampistes », inexpérimentés en science juridique, habitués à obéir et tenus d'obéir, puissent discerner dans cette période trouble de l'occupation, le bien-fondé d'une controverse qui mettait aux prises partisans et adversaires de Vichy. Pour eux, les apparences de la légalité existaient. Dans ce cas, il ne leur restait qu'une attitude à adopter : obéir et servir. C'est ce qu'ils ont fait sur les engagements des plus éminentes personnalités du régime.

Leur bon sens les a-t-il tellement trompés ? Aujourd'hui, il n'est pas seulement que les résistants qui reconnaissent la légalité du gouvernement de Vichy. Les Professeurs de droit international, parmi lesquels des hommes qui font autorité comme MM. Prelot et Georges Vedel, l'un, dans le Petit Dalloz, l'autre, dans le Manuel élémentaire de Droit Constitutionnel, démontrent la légitimité du Gouvernement du Maréchal Pétain et affirment même que la Constitution de 1875 n'était pas et ne pouvait être abrogée.

De son côté, M. François Mauriac, n'a pas hésité à dénoncer dans le journal, Le Figaro : « L'escroquerie de la libération ». Il écrivait à ce sujet : « Trop de Français, dont beaucoup d'honnêtes gens, frappés par les Cours' de Justice d'Indignité Nationale, se trouvent dans des conditions de vie tragiques et imméritées... Cette épuration interminable qui semble avoir frappé au hasard, épargnant les uns, accablant les autres, ces Tribunaux d'exception, l'Histoire dire qu'ils ont été les résultats d'une erreur pour ne pas dire d'un mensonge. On a nié l'évidence, qui était la légalité du Gouvernement de Vichy. S'il y eut jamais un cas où il fallait distinguer le droit du fait, c'était bien celui-là. On pouvait refuser à Vichy la légitimité, mais à condition de ne pas nier que le soleil luit en plein jour et qu'un Gouvernement auprès duquel sont représentés tous les pays du monde, y compris l'U.R.S.S., les Etats-Unis d'Amérique et le Saint-Siège, est un Gouvernement légal. Cette constatation eut rendu inutiles un grand nombre de poursuites et eut introduit une circonstance atténuante dans tous les procès qui ont eu une issue tragique. »

SANS DOUTE, PEUT-ON OBJECTER AUJOURD'HUI QU'IL FALLAIT QUE CES MODESTES FRANÇAIS SOIENT PARJURES, PRATIQUENT LE DOUBLE-JEU ET L'IGNOMINIE POUR AVOIR DROIT A LA RECON­NAISSANCE DU PAYS, les actes légaux accomplis par eux étant sans valeur. Mais quel est l'homme d'honneur qui affirmera qu'il s'agit là de ver­tus cardinales qui font la force et la grandeur d'un pays ? Nos Consuls feraient bien de méditer les dangers de ce sentiment qu'ils ont contribué à développer et dont ils seront, demain peut-être, les victimes.

 

LES FONCTIONNAIRES DE POLICE ONT-ILS TRAHI ?

 

« Lorsque nous avons demandé aux policiers pourquoi ils avaient poursuivi avec tant d'acharnement les patriotes, ils nous ont répondu que c'était parce qu'ils étaient convaincus qu'ils défendaient la Nation. »

PAUL MARCEL,député communiste, déposition au procès Pétain.

De tous les corps constitués, la Police est celui qui comporte, à l'égard de ses membres, les plus grandes servitudes et les plus graves inconvénients.

 

SERVITUDES : parce qu'obligation de respecter et de faire respecter la loi, obéissance absolue au pouvoir légal, défense des institutions, discipline sévère imposée par une hiérarchie dont le contrôle est permanent, en un mot, abnégation totale et subordination de l'intérêt particulier à l'intérêt général.

Le policier n'a pas à savoir si le Gouvernement a tort ou raison, il doit obéir. Si la loi est juste ou injuste, il doit l'appliquer tant que le Parlement ne l'a pas abrogée. Un gouvernement républicain ne peut donc prendre prétexte que le policier à obéi à la loi ou l'a fait respecter pour lui faire violence. Admettre qu'il est seul juge de l'opportunité d'appliquer telle ou telle décision gouvernementale, c'est admettre l'insubordination et ses conséquences, en premier-lieu : l'anarchie. C'est aussi pousser le fonctionnaire à faire de l'opportunisme politique, donc à miner l'autorité du gouvernement, affaiblir sa puissance, trahir sa confiance. Tous les gouvernements républicains ont compris cette nécessité et c'est pourquoi, en 1940, M. Mandel, révoqua les fonctionnaires qui avaient abandonné leur poste et que M. Jules Moch, Ministre de l'Intérieur, a fait supprimer le droit de grève aux policiers, droit cependant inclus dans la Constitution.

 

INCONVENIENTS : parce que les obligations inhérentes à ces servitudes entraînent inévitablement à l'égard des policiers, le ressentiment des personnes à l'encontre desquelles ils ont sévi et l'antipathie d'une population aimant voir rosser le Commissaire.

 

Or, l'épuration a été à la fois la conséquence des servitudes professionnelles de ces fonctionnaires, la vengeance des crapules (de nombreux gangsters faisaient partie de la Résistance) et la réalisation d'une opération politique méticuleusement préparée et réalisée dans le but évident de détruire ce bastion de défense des institutions républicaines.

Le nombre des fonctionnaires de police accusés de trahison a surpris les observateurs étrangers et les journalistes. Ils ont été stupéfaits de constater que tant de fonctionnaires qui avaient, à maintes reprises, risqué leur vie pour défendre la société et le régime, s'étaient brusquement mués en collaborateurs. Mais leur stupéfaction a été de courte durée lorsqu'ils ont connu les mobiles et les artisans de cette épuration politique.

L'opinion publique sera fort surprise lorsque nous publierons les documents qui sont en notre possession. Elle apprendra dans quel but et à quelles fins la radio de Londres et la presse clandestine se sont ingéniées à persuader le peuple français que sa police était passée au service de l'occupant.

En vérité, la police française a, dans le cadre des lois en vigueur et conformément à la Convention de La Haye, poursuivi sa tâche afin de protéger la population dont elle avait la garde. Et si, parfois, il y eut connexité entre son activité et celle des occupants, celle-ci eut lieu sous la contrainte et, souvent aussi, par suite de la lâcheté de certains Parquets.

Ce qui est certain, c'est que par son action, la Police Française a évité les plus graves représailles envers la population, représailles dont auraient été victimes des dizaines de milliers d'innocents. Dans la région parisienne notamment, ce sont 60.000 otages qui ont été arrachés aux plotons d'exécution pour les 600 attentats ou actes de sabotage commis durant l'occupation ; attentats ou sabotages qui n'avaient pas, à une certaine époque, l'approbation de tous les épurateurs. SI LA VILLE DE PARIS N'A PAS CONNU DES TRAGEDIES SEMBLABLES A CELLES D'ASCQ ET D'ORADOUR, C'EST A SA POLICE QU'ELLE LE DOIT.

 

Certes, il est aujourd'hui possible à ceux qui accusent, de juger avec haine et passion l'activité de ces policiers, mais personne n'a le droit de leur reprocher d'avoir dû choisir la politique du moindre mal. Fallait-il qu'ils laissent en liberté un coupable et voir fusiller 100 otages ou qu'ils arrêtent le coupable et sauvent les otages ? Tel est le dilemme devant lequel ils se sont trouvés. Dans ses mémoires, le Général Catroux a déclaré que lorsqu'on ne pouvait faire sa politique, il fallait faire un compromis. C'est ce qu'a fait la police.

Il serait du reste intéressant de consulter ses archives pour y retrouver les lettres des militants emprisonnés qui adjuraient les policiers d'arrêter les coupables et de mettre leurs camarades en garde contre les attentats inutiles qui n'avaient d'autres résultats que de faire fusiller les meilleurs d'entre eux. Et puis, que ces justiciers n'ont-ils entendu les supplications des mères, des femmes de ces malheureux, qui venaient supplier les policiers pour qu'ils mettent tout en œuvre afin de sauver leurs fils ou leurs maris. Parmi celles-ci figuraient des femmes et des mères de personnages aujourd'hui influents qui se posent aujourd'hui en accusateurs. Enfin, pourquoi ne pas comprendre les provocations de la Gestapo à l'égard de la Police ? Les Gaveau et les Bardet étaient nombreux dans la Résistance...

Pourquoi ne pas dire non plus que les attentats étaient le plus souvent l'œuvre d'étrangers, mercenaires de causes plus ou moins défendables, aux quels il importait peu que des Français fussent massacrés.

Pourquoi également qualifier de traîtres des policiers qui ont fait leur devoir et leur travail et admettre que les ouvriers, les cheminots, les pos­tiers, etc... qui ont fabriqué des tanks, des munitions, convoyé des trains ou du courrier allemands, donc qui ont travaillé au développement du potentiel économique et militaire du IIIe Reich, n'ont pas trahi ? D'un côté, il y a eu contrainte administrative et sanctions ; de l'autre, collaboration effective et pas de sanctions. C'est là une conception bien spéciale de la justice.

 

COMMENT A ETE FAITE L'EPURATION DE LA POLICE ?

 

En admettant même le bien-fondé des poursuites ou des sanctions administrative prises à l'encontre des fonctionnaires de la police, comment ne pas être révolté par les conditions dans lesquelles l'épuration a été faite ?

C'est certainement dans la police que l'épuration a été la plus violente. Elle a été inspirée par trois raisons : la première, d'ordre politique, la seconde, d'ordre intérieur ; la troisième, par un esprit de vengeance.

Il semble inutile d'insister sur la raison d'ordre politique, elle est connue de tout le monde. Quant à celle d'ordre intérieur, elle a été, comme nous l'avons indiqué plus haut, la revanche des mécontents et des incapables contre leurs chefs ou leurs concurrents à l'avancement. L'esprit de vengeance a été, lui, l'occasion pour les trafiquants, les, mercantis, les voyous d'éliminer de la police ceux qui avaient sévi contre eux.

Les mesures prises marquent bien cette triple origine :

Elimination de tous les cadres supérieurs qui ont été révoqués ou arrêtés ;

Bouleversement des cadres moyens, qui s'est traduit par l'éviction de près de la moitié des Commissaires et des Secrétaires ;

Coupes sombres dans le personnel subalterne.

Les conditions dans lesquelles ces fonctionnaires ont été frappés pour avoir fait respecter la loi ou la discipline, sont un tissu d'irrégularités, d'abus et de violations flagrantes du droit et de l'équité.

Les intéressés ont été, pour la plupart, jetés sans l'ombre d'une preuve quelconque ou de la décision d'une autorité supérieure, au gré d'hommes sans mandat ou qualité pour ce faire, en prison ou dans des camps de concentration où ils ont été détenus pendant des mois et des mois sans être interrogés ou subissant un simulacre d'interrogatoire.

Leur comparution devant les Commissions d'épuration n'a été qu'une formalité vide de sens :

Enquête préalable faite uniquement à charge, avec consigne d'éliminer les témoins à décharge ;

Utilisation de faux ;

Absence d'audition par le rapporteur, défaut de communication du dossier avant la comparution ;

Absence de toute comparution devant la commission, les intéressés étant jugés sur pièces sans pouvoir se justifier ;

Refus de l'assistance d'un défenseur ;

-- Absence de véritables débats contradictoires, le fonctionnaire incriminé ne pouvant ni s'expliquer librement, ni faire entendre ses témoins, ni produire ses pièces puisqu'étant détenu et privé de tout contact avec sa famille ou un défenseur et étant trop souvent pris à partie par les membres de la Commission.

En bref, une partialité manifeste, l'enquête et la comparution n'ayant pour objet que de donner une apparence de légalité à des mesures souvent arrêtées au préalable, en tout cas, dictées par les considérations que l'on sait.

FONCTIONNAIRES JUGES PAR LEURS REMPLAÇANTS, CHEFS JUGES PAR LEURS SUBORDONNES, HOMMES JUGES PAR LEURS ADVERSAIRES, VOILA LE SPECTACLE QU'A OFFERT L'EPURATION DE LA POLICE !

De récents scandales et en particulier l'affaire Fournet-Joanovicci ou encore celle qui est actuellement instruite par la Cour de Riom, concernant le chef épurateur de Clermont-Ferrand, Kléber Ducrot, titulaire de douze condamnations de droit commun, ou encore l'aventure de cet évadé de la Prison des Baumettes à Marseille devenu épurateur, illustrent cet exposé. Que pouvaient attendre de tels individus les fonctionnaires appelés à comparaître devant eux ?

Ainsi, des amis de Joanovicci, des agents de la Gestapo, des malfaiteurs, ont pu, avec la tolérance des Services publics, jeter en prison, déshonorer, vouer à la misère d'honnêtes fonctionnaires et leurs familles. L'administration prétend qu'elle a uniquement agi dans l'intérêt de ces fonctionnaires. C'était, dit-elle, pour les protéger contre d'éventuelles représailles et parce que les Parquets étaient embouteillés qu'ils ont été maintenus si longtemps en prison. C'est là, l'argument style Tartuffe. Les fonctionnaires internés étaient d'inoffensifs serviteurs publics. En procédant à leur arrestation, on faisait, au contraire, peser sur eux une suspicion très lourde qui, dans cette période de fébrilité, pouvait les exposer à un massacre général.

De plus, comment explique-t-on que c'est précisément parmi ceux qui ont été « protégés » de la manière que l'on sait, qu'on trouve la totalité de ceux qui ont été l'objet de violences graves de la part de leurs « protecteurs » (tympans crevés, côtes cassées, traumatismes divers, etc...) Le cas de l'ex-Commissaire Achiary n'est pas unique ; il y a aussi les Roicourt, Sain­tier, Demarche et consorts. Des centaines de victimes peuvent en apporter les preuves.

Lorsque des reproches sont faits à l'administration sur les irrégularités dont ont été victimes de nombreux policiers, elle tente de se justifier en disant : « Sans doute, toutes prescriptions légales n'ont pas été respectées. Mais enfin, les mesures prises étaient justifiées en fait, puisque la plupart des fonctionnaires qui en ont été l'objet ont été, par la suite, révoqués et même déférés à la Justice »

Certes, ces fonctionnaires ont été révoqués. Mais par qui ? Par des Commissions composées des principaux meneurs de l'opération qui ne pouvaient se déjuger. Et c'est ce qui explique que neuf sur dix des dossiers transmis à la justice ont été classés. Il n'en reste pas moins que ces mesures ont prolongé le martyre des inculpés, dont certains se sont suicidés et d'autres ont accompli parfois plus de deux années de prison avant de voir leur innocence reconnue.

Pour justifier ces détentions arbitraires, l'administration invoque l'état de fait qui l'empêchait de mettre en œuvre les, garanties de la loi.

Cette raison est mensongère. Des commissions de vérification ont fonctionné et ont ordonné la libération de milliers de personnes arrêtées, parmi lesquelles des prostituées, des trafiquants, des souteneurs. Mais on a soustrait à leur attention le cas des policiers. Certains d'entre eux qui avaient réussi à comparaître devant elles ont été immédiatement libérés. Les autres ont dû attendre le bon plaisir d'une Commission d'épuration pour se voir placer sous mandat de dépôt.

Pourquoi, nous dira-t-on, cette infraction à la loi ? Pour satisfaire à l'ambition la plus vulgaire : l'occupation des places. Il est difficile d'accéder aux grades par voie de concours ou au prix d'une longue carrière. Il est beaucoup plus commode de jouer quelques instants les héros de la dernière heure et de s'approprier les emplois convoités.

 

LE CRIME D'OBEISSANCE

 

En réalité, les fonctionnaires de police ont été frappés pour « CRIME D'OBEISSANCE ». C'est là la seule base juridique des accusations relevées contre eux.

Certes, nous savons que la thèse des épurateurs est que : « dès l'instant ou l'Etat se désolidarise de la Nation, on ne peut plus contester qu'il ait perdu sa légitimité et que le haut personnel administratif et politique ne doit plus ignorer que ses décisions et ses actes engagent sa propre responsabilité envers la Nation. » N'est-ce pas là des arguties de juristes ou de politiciens qui font que les généraux se réservent le droit de guider la politique extérieure du pays et les fonctionnaires la politique intérieure ? N'est-ce pas aussi des choses qui échappent à la masse des Français ? N'EST-CE PAS AU SURPLUS UN RAISONNEMENT DANGEREUX POUR LES HOMMES ACTUELLEMENT EN PLACE ET SURTOUT POUR LE GOUVERNE­MENT QUI PEUT, A CHAQUE INSTANT, VOIR DISCUTER PAR SES FONCTIONNAIRES SA LEGITIMITE ? Qui donc peut nier que le Parlement actuel ne représente plus l'opinion de la majorité des Français comme l'ont démontré de récentes élections? CHAQUE FONCTIONNAIRE ENGAGE DONC, AUJOURD'HUI, SA PROPRE RESPONSABILITE EN LUI OBEIS­SANT ET POURRA ETRE AMENE, DEMAIN, A RENDRE DES COMP­TES. IL EN EST DE MEME POUR LE SOLDAT QUI COMBAT EN INDO­CHINE.

Tout récemment, le Tribunal Militaire de Paris condamnait à une peine de prison, trois gendarmes qui avaient refusé de partir en Indochine sous prétexte que leur engagement était pour la métropole. Ils ont été poursuivis pour refus d'obéissance. Peu de jours avant, comparaissait devant la Cour de Justice un policier qui avait obéi au gouvernement « de Vichy ». Il a été condamné à 5 ans de travaux forcés. Là encore, l'exemple est dangereux : 5 ans de travaux forcés pour crime d'obéissance — 18 mois de prison pour refus d'obéissance. La comparaison des deux peines permet tout de suite de tirer les enseignements : IL VAUT MIEUX DESOBEIR. Et cette conclusion s'impose encore davantage lorsque, dans d'autres circonstances (événements de Marseille, 11 novembre à Paris, etc...) aucune sanction n'a été prise à l'égard des policiers qui- ont refusé d'assurer l'ordre ou de protéger des citoyens étrangers.

 

LES PRIVILÈGES DES CHEFS

 

Dans le traité de « droit nouveau » élaboré par les juristes résistentialistes peu avant la libération, on lit : « Seuls restent, en quelque sorte, mineurs ceux qui se trouvent au bas de l'échelle des responsabilités, tenus de gagner leur vie et celle de leur famille, et ceux que le, manque d'expérience ou de discernement courbe dans l'étau des disciplines.

Or, un simple examen des fonctionnaires frappés nous permet de constater que ce sont les « lampistes » qui ont le plus lourdement payé.

Il importe là, du reste, de faire une discrimination entre le haut fonctionnaire évince parce qu'on voulait surtout sa place, et le petit fonctionnaire frappé pour « crime d'obéissance » parce qu'il fallait des victimes. Il est de fait que 90'% des cadres supérieurs ont été éliminés, 50 % des cadres moyens et 25 % des cadres  subalternes et du personnel. Mais, lorsqu'on examine le nombre des condamnations ou des révocations sans pension, on s'aperçoit que ce sont les derniers qui garnissent les prisons de la IV République et qui sont frustrés de leur retraite.

Peu de grands chefs de la police ont été condamnés. Un tel a été acquitté par la Haute Cour, tel autre est Conseiller à la Cour des Comptes, un troisième est Préfet, d'autres sont en retraite, un autre est Trésorier payeur général ; le plus grand nombre à réussi à se dédouaner grâce à ses relations dans le camp adverse. Nous ne les désignerons pas car nous ne sommes pas des auxiliaires de l'épuration, mais le fait est là. D'autres n'ont pas été inquiétés et c'est justice. Pourquoi alors tant de lampistes sont-ils l'objet d'un ostracisme systématique ? Est-ce parce qu'il fallait malgré tout des victimes et qu'il était plus facile de les prendre parmi les petits qui n'avaient pas de puissantes relations politiques ? Une fois de plus se confirme l'adage : « Suivant que vous serez puissant ou misérable... »

Il était de tradition en France que seule la responsabilité de ceux qui ordonnaient pouvait être mise en cause et c'est pour cela qu'existait l'article 327 du Code Pénal. S'attaquer à l'exécutant, c'est s'attaquer au devoir d'obéissance, c'est interdire au gouvernement le droit et le devoir de poursuivre et de condamner ceux qui lui désobéissent.

Et puis, pourquoi méconnaître pour ces lampistes le droit d'obéir LORSQU'ON L'INVOQUE POUR COUVRIR ET JUSTIFIER LES ACTES COMMIS PAR LES MAQUISARDS PENDANT L'OCCUPATION ? La France serait-elle donc composée de guelfes et de gibelins ?

Enfin, signalons la récente décision du Conseil d'Etat qui, toutes chambres réunies, sous la présidence de M. Cassin, a annulé l'arrête de révocation du Préfet régional de Toulouse parce que manquant de « bases légales ». Quelles sont les bases légales que l'on va invoquer pour justifier les sanctions prises .à l'encontre de ses subordonnés qui ont exécuté ses ordres ?

 

LA VALEUR MORALE ET PROFESSIONNELLE DES EPURATEURS

 

Comme nous l'avons vu, la plupart des policiers ont été épurés par des gens n'ayant ni la valeur morale ni la valeur professionnelle nécessaires pour procéder à l'épuration. Ici, c'était un condamné de droit commun ; là, un cheminot; ailleurs, des gens qui ne connaissaient rien aux servitudes, policières et qui ont trouvé l'occasion de se venger. Partout des subordonnés accusant leurs chefs, des concurrents à l'avancement éliminant leurs rivaux.

Des violences ont été exercées ; des pillages aussi, par des hommes qui, le plus souvent, étaient en état d'ivresse et qui refusent aujourd'hui de prendre la responsabilité des abus qu'ils ont commis.

Qu'il nous suffise de rapporter la déclaration faite le 5 mai 1949 par l'un des principaux responsables de cette épuration, le brigadier des gardiens de la paix Lamboley, qui s'est promu Commissaire divisionnaire à la libération, pour comprendre dans quel climat et par quels hommes cette épuration a été faite :

"

«    Le 19 août 1944, je suis arrivé à la Caserne de la Cité vers 7 h. 30. Immédiatement après nous avons procédé à la prise des locaux. A 8 h., nous avons procédé à l'arrestation de Bussière et occupé le cabinet du Préfet avec Fournet et Pierre. » (Pierre était gardien de la paix — Fournet est l'ami de Joanovicci dont la presse a parlé).

.................................

«    La Préfecture de Police était alors occupée par environ 3.000 hommes parmi lesquels se trouvaient quelques éléments étrangers à l'administration » (l'effectif de la Préfecture de Police était de 22.000 employés. La résistance n'en groupait, pas un millier).

«    Entre 9 heures et midi, nous avons fait procéder à l'arrestation des principaux chefs de la Préfecture de Police.

«    Vers 10 heures, j'ai donné l'ordre à une vingtaine d'hommes, dont je ne me souviens plus les noms, de pénétrer dans son appartement (il s'agissait de l'appartement de M. Hennequin, Directeur de la Police Municipale) afin de vérifier s'il ne s'y trouvait pas par hasard. Cette opération étant demeurée sans résultat, mes hommes se sont retirés, mais la surveillance des lieux a été immédiatement confiée à des gardiens placés sous les ordres directs de M. Duc, lequel avait reçu mission de la surveillance de tous les locaux de la Caserne de la Cité. »

...............................

«    Vers 16 heures, A LA SUITE DE L'EXPLOSION D'UN OBUS ALLE­MAND DE 88 SUR LA TOURELLE SITUEE DANS LA COUR DE L'ISO­LEMENT, LES OCCUPANTS DE LA CITE ONT ETE PRIS DE PANIQUE ET SE SONT ENFUIS PAR LES COULOIRS DU METRO, A LA FOIS VERS LA PLACE SAINT-MICHEL ET LA PLACE DU CHATELET. J'AI CONSTATE, A CET INSTANT, QUE CENT HOMMES RESTAIENT DANS LES BÂTIMENTS. Immédiatement, avec Fournet. Levasseur et le sergent Bourhas, nous avons rallié le plus possible et finalement il se trouvait huit cents hommes dans le courant de la soirée. Nous avions déjà une quarantaine de tués et aucune distribution de vivres n'avait encore, eu lieu. Pour pallier à une défaillance possible, j'ai aussitôt donné l'ordre de faire distribuer les QUELQUES QUARANTE MILLE PAQUETS de tabac et de cigarettes qui avaient été mis en réserve sous la responsabilité du Commissaire Schmitt.

«    Peu après, c'est-à-dire vers 18 heures, j'ai été informé que les hommes dévalisaient les caves de la Cité. dont celles de Rottée et Hennequin. Je n'ai pas réagi en raison de l'énervement général, sachant très bien que les hommes avaient soi' et que j'aurais des difficultés à contrecarrer leur comportement. Dans la soirée, avant 22 heures. le responsable Deshereau. de la 1er Division, que j'avais chargé d'une ronde, est revenu alors qu'il-venait d'être blessé au bras par une rafale de mitraillette tirée par un policier en état d'ivresse. Dans le même instant. M. Chassagnette m'apprenait qu'un. grand nombre d'hommes étaient ivres. "

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Cette déposition se passe de commentaires. Disons cependant que ce fait n'est pas isolé. Rue de la Banque, des gardiens de la paix, en état d'ivresse, frappaient les détenus et urinaient sur les femmes. Dans le XVIII° arrondissement, d'autres gardiens abattent le Commissaire Siri qu'ils avaient odieusement torturé ainsi qu'un brigadier de gardiens de la paix qui, conduit à l'hôpital Bichat, est achevé dans son lit, d'une rafale de mitraillette. Au poste de la Maison-Blanche, ce sont deux hommes dénoncés comme miliciens auxquels on crève les tympans et les yeux et que finalement on abat. Dans le XIX° arrondissement, des femmes sont violées. Dans le XII°, le Commissaire Silvestri, arrêté par ses subordonnés comme collaborateur et gardé â vue sans son bureau, est emmené par les Allemands et fusillé à Vincennes, au grand soulagement des responsables résistants qu'il avait couvert. A Charenton, c'est le gardien de la paix Cazaubat qui, au cours de son transfert au Dépôt alors qu'il venait d'être arrêté comme collaborateur, est tué par les Allemands tandis que plusieurs de ses camarades sont grièvement blessés. Cazaubat est ensuite adopté comme victime de la résistance, décoré de la Légion d'honneur, mais ses camarades qui n'étaient pas morts sont transférés au Dépôt et gardés pendant des mois comme traîtres. Partout ce sont des violences exercées par des hommes en état d'ivresse. Au Dépôt la nuit, les détenus sont extraits de leurs cellules et alignés le long du mur en vue de leur exécution. Ces scènes se terminent le plus souvent par des violences.

Des abus de cette sorte pourraient être énumérés à l'infini. En pro­vince, les mêmes faits se sont produits.

 

LES ERREURS DE L'EPURATION

 

On peut s'imaginer dans quelles conditions et avec quelles garanties les arrestations effectuées par ces hommes dominés par la passion de l'alcool ont été faites. Mais une fois arrêtés, coupables ou innocents, les intéressés ne pouvaient plus se faire entendre. Des mois et des mois se sont écoulés avant qu'ils puissent être interrogés, non sur le fond de leur affaire, niais seulement sur leur identité. Ceux qui avaient leurs places ne voulaient pa s se déjuger. Il fallait, coûte que coûte, qu'ils fussent coupables.

C'est alors que l'on a procédé à des enquêtes uniquement faites à charges. Que l'on a fait pression, voire menacé, ceux qui se refusaient de déposer contre leurs collègues. Que les épurateurs ont protesté contre la mollesse des juges. Il fallait que ceux qui étaient partis ne puissent revenir parce qu'ils auraient été en droit de réclamer leurs places.

Puis, peu, à peu, devant les campagnes de presse dénonçant les abus de l'épuration dans la police, l'administration s'est émue. Elle a révisé quelques cas pour calmer les attaques, mais elle s'est ingéniée à maintenir le plus grand nombre des victimes en dehors de l'administration.

Le scandale a été tel que des Commissaires du gouvernement n'ont' pas hésité à stigmatiser l'attitude des épurateurs, dans des appréciations comme celle-ci : « Il parait du reste, que plusieurs de ses accusateurs ont témoigné contre lui avec plus ou moins de malveillance et que même certains pourraient bien, plutôt que lui, être poursuivis pour faits tels que ceux qu'ils lui imputent. »

Des épurateurs ont été par la suite arrêtés comme agents de l'Abwehr

Aujourd'hui, la plupart des témoins à charge se rétractent, mais les sanctions n'en sont pas moins maintenues et l'on voit l'administration les justifier par des appréciations de cette nature : « L'intéressé était connu comme ayant même la haine des Allemands, mais, d'un caractère discipliné, il. AURAIT exécuté sans discrimination les ordres de ses chefs. »

"Il y a là matière à une sanction administrative. "

D'autres policiers, sanctionnés tout à fait début du fonctionnement des Commissions d'épuration, Ont été, par la  suite, complètement réhabilités, parce « qu'aucun grief précis ne pouvait être retenu contre X... quant à son attitude durant l'occupation ». Ils n'en ont pas moins été chassés de l'administration en vertu de la loi sur le dégagement des cadres qui dit : « Seront dégagés par priorité, nonobstant toute valeur professionnelle, les fonctionnaires ayant fait l'objet d'une sanction administrative au titre de l'épuration. »

Enfin, des policiers ont obtenu, devant le Conseil d'Etat l'annulation des sanctions prises contre eux, tant sur la forme que sur le fond, niais l'administration refuse de les réintégrer. Mieux, elle fait juges d'appel de la plus haute juridiction française, les Commissions d'épuration.

 

LA HAINE

 

Il était d'usage, en France, de jeter le voile de l'oubli sur les gens condamnés. Actuellement il n'en est rien. Dans sa prison, le policier est l'objet de brimades inutiles. Il est abandonné de tout le monde et l'administration pénitentiaire s'oppose à la réception de mandats qui lui sont adressés par quelques amis. Dans les centrales, il est souvent placé sous les ordres d'assassins et de voleurs.

Les familles sont, elles aussi, l'objet de brimades inutiles et l'administration ne s'adresse aux femmes de détenus ou de révoqués que sous l'appellation de Madame Veuve X... Pourquoi cette humiliation à l'égard d'innocents.

Ceux qui sortent de prison ou qui n'ont pas été condamnés sont chassés des entreprises à la demande des comités et sous menace de grève.

Les femmes et les enfants sont l'objet des mêmes persécutions. Combien de patrons n'ont-ils pas été l'objet de pression pour qu'ils les chassent de leurs maisons.

A tous, on leur interdit de quitter la France afin qu'ils ne puissent aller dire à l'étranger ce qu'est devenu le pays de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Les épurateurs n'ont reculé devant aucune ignominie. Certains ont fait du chantage auprès des familles pour qu'elles abandonnent ceux de leurs Membres épurés. Ils ont même fait pression auprès des femmes pour qu'elles se séparent de leurs maris.

Des fonctionnaires, morts depuis deux ou trois ans avant la libération, ont été révoqués afin que leurs femmes ne puissent toucher leur pension. D'autres ont eu leurs noms effacés sur les monuments des victimes du devoir.

Tous ceux qui sont seulement frappés d'une sanction administrative jouissant de leurs droits civils et politiques se voient néanmoins frappés d'inéligibilité parce que révoqués d'une fonction publique.

 

PAR DECRET EN DATE DU 16 JUILLET 1947, LE GOUVERNEMENT PRIVE DU DROIT SACRE DE FAIRE INHUMER PRES D'EUX, LES CORPS DE LEURS ENFANTS TOMBES POUR LA PATRIE, TOUS LES FONCTIONNAIRES REVOQUES D'UN SERVICE PUBLIC SI CE SONT EUX QUI DECEDENT, LEURS FEMMES ET LEURS ENFANTS SE VOIENT PRIVES DES MEMES DROITS.

 

Partout, c'est la haine qui les poursuit. Une haine stupide, atroce, qui fait d'eux des parias, et c'est dans cette atmosphère d'injustice, de délation et de persécution, que grandit une jeunesse qui porte en elle la rancune et esprit de vengeance.

Est-ce ce que veut la France ?

 

L'ILLEGALITE DES ORDONNANCES D'ALGER

 

C'est, dit-on, au nom de la raison d'Etat que les Ordonnances d'Alger concernant l'épuration ont été prises. Gageons plutôt que c'est au nom d'un clan politique, car la raison d'Etat, condamnée par tous les professeurs de droit, ne devrait servir que les intérêts supérieurs de la Nation. Or, en la circonstance, elle ne fait que sauvegarder des intérêts particuliers.

Dans une allocution prononcée le 28 septembre 1949, le Pape n'a pas hésité à déclarer « qu'aucune raison d'Etat ne saurait prévaloir les droits primordiaux de l'Homme ». Plus récemment, M. Robert Schumann, Ministre oies Affaires Etrangères, réclamait devant l'O.N.U. le respect des principes de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et critiquait « les gouvernements qui violaient ces droits par certains procédés judiciaires et policiers ». Que fait la France en ce .moment ?

M. P. H. Teitgen n'a-t-il pas, lui aussi, lancé devant l'Assemblée Européenne à Strasbourg, un appel urgent pour la protection des Droits de l'Homme ?

Or, les Ordonnances d'Alger violent l'un des principes essentiels de cette Déclaration : la non-rétroactivité des lois, que le bâtonnier Ribet condamnait devant MM. Vincent Auriol et André Marie dans ces termes : < La non-rétroactivité des lois inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme est violée. La sérénité a fait place d la haine et le Journal officiel affirme trop souvent dans ses colonnes le mépris des promesses les, plus sacrées de notre Vieille civilisation. »

Nous somme convaincus que ces hautes personnalités auront à cœur de ne pas se déjuger et qu'elles exigeront l'abrogation de ces Ordonnances qui sont la négation des principes affirmés.

 

L'EPURATION A ETE L'OEUVRE DE MAGISTRATS DE COMPLEMENT

 

L'épuration qui constitue indéniablement le plus grand déni de justice dés temps modernes, a jeté sur la justice un tel discrédit, qu'il n'est plus France, un citoyen qui croit à l'indépendance de cette institution.

Certes, des magistrats ont couvert de leur robe et de leur autorité ces parodies de justice, mais il convient cependant de souligner que ces parodies ont été, le plus souvent, l'oeuvre 'de magistrats de complément, avocats sans causes, juristes médiocres qui ont trouvé là l'occasion de manifester leurs talents. D'autre part, si on en juge par les renseignements recueillis, cer­tains de ces magistrats ne seraient, de surcroît, Français que de fraiche date, ce qui est beaucoup plus grave.

Quant à la composition des Commissions d'épuration et des Cours de Justice, la presse nous fournit chaque jour des preuves de la médiocre valeur de ces auxiliaires de la justice depuis Dordain, de Récy à Kléber Ducrot.

Concluons par cette déclaration de M° de Moro-Giafféri : « Le Juge doit détester le crime, mais il n'a pas le droit de haïr le justiciable. Je veux une justice qui statue sans haine et sans crainte, pour l'honneur même du pays. » Et disons que, pour notre part, nous avons connu des juges qui ont jugé avec haine pour le déshonneur du pays et sans qu'aucun parlementaire n'élève la voix pour condamner de telles méthodes.

 

LES SEQUELLES DE L'EPURATION

 

De tels manquements aux règles traditionnelles du droit ; de telles atteinte à l'honneur et à la liberté d'inoffensifs serviteurs du pays; sont graves, mais combien sont encore plus graves les séquelles laissées dans l'administration par l'épuration.

Aujourd'hui, le Gouvernement ne peut guère compter que sur 10 de ses policiers — ceux qui ont lié leur sort aux puissants du jour. Tous les autres sont préoccupés par la recherche de l'orientation politique de la grande masse des Français et cherchent déjà à prendre des gages du côté des futurs puissants. Le devoir d'obéissance, la défense des libertés républicaines, sont reléguées au second plan. Ils poursuivent le double-jeu qui a si bien réussi à d'autres et ils passent leur temps à s'espionner, se ficher et se combattre. La police se décompose lentement mais sûrement. Elle s'écroulera et s'écrouera à la première occasion.

C'est du reste sans doute ce qui explique l'acharnement apporté par certains membres du gouvernement en vue de créer une police unique qui facilitera, demain, l'hégémonie de leur parti sur la France.

Dans cette période grave, la crainte de l'avenir pour les policiers est telle qu'ils préfèrent s'abstenir de toute activité. L'exemple de 1944 reste présent aux yeux de ceux qui ont été les exécutants ou les spectateurs de l'épuration.

Nous en trouverons une preuve dans la requête adressée en 1947 au Préfet de Police par le Syndicat des Inspecteurs, dans laquelle on lit : «.• L'étude attentive d'incidents passés et d'inconvénients multiples survenus dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions nous a amenés à désirer pour les Inspecteurs des Renseignements généraux et plus particulièrement pour ceux qui sont affectés aux brigades politiques, un statut qui déterminerait très exactement leur rôle et définirait très exactement leurs attributions.

« Il serait naturel que l'administration prenne ses responsabilités vis-à-vis de ceux qui sont chargés du service « Informations politiques et so­ciales » et fixe, par un arrêté, une circulaire formelle ou un ordre de mission, ses exigences sur leurs activité.

« L'épuration a prouvé qu'en maintes occasions, les punitions infligées à des Inspecteurs des R.G. étaient le résultat de vengeances politiques die fait qu'ils avaient été chargés d'enquêter sur des politiciens ou sur les activités d'un parti.

« Un passé récent a démontré que les « faits justificatifs » énoncés par le droit français, étaient restés sans effet dans la plupart des cas ci il s'est agi de déterminer le degré de culpabilité des Inspecteurs des Renseignements Généraux traduits devant les Cours de Justice. »

 

Cette requête prend une saveur particulière quand on sait qu'elle émane des épurateurs les plus zélés qui, aujourd'hui, avouent inconsciemment, avoir agi par vengeances politiques.

Devant la carence de ses services, le Préfet LUIZET, Préfet de l'épuration, était amené à donner satisfaction à cette requête en faisant savoir aux intéressés que :

— désormais tout rapport d'Inspecteur ayant trait à des faits politiques serait dactylographié sans qu'aucune référence soit produite, l'original étant remis à son auteur pour être détruit ;

— tout rapport transmis au Ministre de l'Intérieur, à d'autres Ministres ou tout autre organisme officiel, le sera sous forme de note impersonnelle, sans indication d'origine.

Pour insignifiante qu'elle paraisse, cette mesure est d'une gravité exceptionnelle parce qu'elle permet à tout policier de fournir sur ses adversaires politiques des renseignements erronés et cela sans aucun contrôle. Demain, des hommes politiques, des militants, pourront être accusés des pires méfaits sans qu'il leur soit possible de connaître leurs accusateurs ni d'être confrontés avec eux. Il n'est pas un parlementaire qui ne comprendra la gravité d'une telle mesure qui peut, à tout moment, faire peser sur lui les menaces les plus graves.

Mais il ne s'agit là que d'un aspect de la mentalité actuelle de la police. Il en est un autre que nous révèle M. Sicot, Inspecteur Général au Ministère de l'Intérieur, dans un article publié dans le Bulletin de l'Association amicale des Fonctionnaires de la Sûreté nationale.

« Les impérieuses nécessité de la Résistance, écrit-il firent prendre à notre jeunesse des habitudes qui étaient éminemment louables durant l'occupation, mais qui ne sont plus de mise aujourd'hui et compromettent la situation de la France à l'étranger. Quand et comment parviendrons-nous à extirper de l'esprit des jeunes le goût du mensonge et de la combine que nous avons tous, en somme, plus moins contribué à leur inculquer. Le drame est là.

« Si l'administration française ébranlée par la guerre, l'occupation et la nécessaire épuration a bénéficié de l'apport de nouveaux éléments d'une valeur morale, civique et technique incontestables, elle a également souffert et elle continue à pâtir d'un renfort trop considérable de néophytes, venus; sous des pseudonymes et des états-civils d'emprunt, s'ajouter au corps des auxiliaires, agents contractuels et chargés de mission, institués par Vichy. »

N'est-ce pas parmi ces néophytes aux noms d'emprunt, que figurent les plus zélés épurateurs ? N'est-ce pas parmi eux que se sont également manifestés les fonctionnaires les plus véreux qui ont été mêlés aux récents scandales qui ont éclaboussé la police française ? C'est alors que l'on comprend toute la signification de cet aveu d'un vieux commissaire de police :

 

LES HONNETES GENS ONT PLUS PEUR DE NOUS QUE DES GANGS­TERS. »

Cette crise de moralité a encore été aggravée par la loi sur le dégagement des cadres qui a chassé de l'administration d'honnêtes fonctionnaires et maintenu en activité les tarés.

Ainsi, des incapables, des véreux, ont été maintenus en activité parce que les sanctions dont ils avaient été l'objet ne se rapportaient pas à l'épuration et les autres chassés. Peut-être comprendra-t-on pourquoi les bandits tiennent le pavé.

 

L 'AVIS DES EPURATEURS

 

Nos adversaires seront sans doute tentés de dire que les arguments invoqués par nous sont sans valeur et ne constituent qu'un plaidoyer en notre faveur. Nous tenons à leur disposition les multiples articles publiés à ce sujet dans leurs propres journaux.

 

VERS UN FONCTIONNARISME POLITIQUE

 

L'épuration a été, en réalité, la création d'un fonctionnarisme politique. Aujourd'hui, le policier n'a plus le souci de défendre la Nation mais les intérêts particuliers de son parti. Son attitude à l'égard de tel ou tel Ministre laisse présager ce qu'elle sera le jour où le pays aura décidé de s'orienter dans telle ou telle activité politique nouvelle.

 

Une nation libre ne peut concevoir une telle action de ses serviteurs. Ceux-ci doivent, sous le contrôle du gouvernement légal, servir le pays et non tel ou tel clan, ce qui n'est pas le cas actuellement et c'est ce qui laisse entrevoir des  jours sombres pour ceux qui auront demain la lourde mission de présider au destinées de la Nation.

 

LA PERSISTANCE DANS L'ARBITRAIRE

 

M. René MAYER, Ministre radical de la Justice, vient de déposer sur le bureau de l'Assemblée, un projet de loi d'amnistie dans lequel les fonctionnaires sont exclus de toutes mesures de réhabilitation et de réparation.

Ce texte apparaît immédiatement au Français le plus profane en science juridique, comme une monstrueuse hypocrisie qui n'a d'autre but que de faire accepter par le Parlement, une loi qui, sous couvert d'une mesure de " clémence et de Pardon ", sera, en fait, une loi répressive, qui porte atteinte aux libertés républicaines.

Ce texte, comme les Ordonnances d'exception, est dans la plus pure tradition du droit nazi. Il place un clan au-dessus des lois et lui donne tous les pouvoirs pour opprimer ceux qu'il considère comme ses adversaires, parce qu'ils protestent contre les injustices dont ils ont été victimes et demandent réparation.

Qu'on ne s'y trompe pas; ce projet porte en lui des éléments de nature à inciter à la réflexion les parlementaires soucieux de la défense du droit d'expression et d'association qui sont à la base des libertés républicaines, parce que demain peut-être, ces textes se retourneront contre ceux qui les auront votés. Des exemples récents devraient, en tout cas, leur donner à réfléchir. L'Ordonnance du 14 août 1945 prise dans le même esprit de parti-pris, n'a-t-elle pas été récemment appliquée à l'écrivain communiste Aragon et à des militants syndicalistes ? Or, à son origine, elle ne visait que les prétendus collaborateurs. Le choc en retour est un phénomène politique bien connu et nous en trouvons là un cas typique.

 

CONCLUSION

 

Qu'on nous comprenne bien. En dressant le tragique bilan de l'épuration de la Police, nous n'avons pas cherché à discréditer la Résistance, celle qui n'avait d'autre but que la défense de la Nation. Chacun de nous n'a-t-il pas, à sa place et selon ses possibilités, apporté son concours à la protection et à la défense de ses compatriotes persécutés ?

Sur ce point, nous partageons l'avis du Chanoine DESGRANGES qui écrivait en préface à son livre « Les Crimes masqués du Résistentialisme » : « Il doit être hautement affirmé au seuil de ce livre que l'auteur n'y attaque en aucune façon l'authentique et glorieuse résistance. Il n'en a qu'au Résis­tentialisme, cette abominable exploitation de la vraie résistance au profit de certain partis politiques et de ta plus éhontée des camaraderies... il entend seulement dénoncer l'œuvre néfaste, les crimes masqués des imposteurs, des profiteurs et usurpateurs qui, par leurs iniquités, leurs vengeances inexorables et leurs scandaleuses spoliations ont décimé toute une élite française et tenté de dissocier la conscience elle-même de la Patrie dont le salut a coûté tant de sang d nos martyrs. »

L'Amicale des Anciens Fonctionnaires de la Police française, qui compte dans ses, rangs d'authentiques résistants, s'associe à l'hommage rendu à la vraie Résistance, mais elle a aussi des devoirs envers les victimes de l'épuration, leurs familles, la vérité historique, envers la France, qui a si longtemps incarné la Justice.

C'est donc aux profiteurs du résistentialisme que nous nous en prenons. A ceux qui ont perverti l'idée de justice qui est le propre de tous les pays civilisés.

C'est aussi à ces Ordonnances d'Alger qui ont faussé la conception du droit en assurant l'impunité à des hommes qui, sous couvert de  la Résistance, se sont livrés aux plus effroyables massacres, à la spoliation, à la destruction de l'édifice administratif, militaire, économique et politique de la Nation. A ces Ordonnances qui ont livré aux appétits, aux vengeances d'aventuriers, pour la plus grande partie étrangers, des Français sans défense sous prétexte qu'ils n'avaient pas prêté serment d'allégeance à Alger.

À ces ordonnances qui ont

         institué le « crime d'obéissance » pour les fonctionnaires,

         fait de la délation et de la haine un « devoir national »,

         violé les principes traditionnels du droit français et de la Déclaration des Droits de l'Homme à laquelle la France a adhéré, et dans laquelle on lit : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité de  sa personne. » (dixit M. Cassin).

DROIT A LA VIE ? Toutes ces exécutions sommaires préparées, ordonnées et exécutées sur l'ordre de gens sans pouvoir ni mandat pour ce faire.

DROIT A LA VIE ? L'institution de cette déchéance appelée « indignité nationale » qui prive précisément celui qui en est frappé des moyens propres à assurer sa vie et celle de sa famille.

DROIT A LA VIE ? Ces interdictions faites aux patrons par les responsables des organisations syndicales, d'embaucher des Français ayant été inquiétés par l'épuration même lorsqu'ils n'ont été frappés d'aucune sanction.

DROIT A LA LIBERTE ? Ces arrestations arbitraires, ces détentions illégales, ces internements abusifs, ces révocations faites par des fonctionnaires d'autorité ou de justice dont la mission traditionnelle est précisément de faire respecter la loi et d'assurer la liberté des gens.

DROIT A LA LIBERTE ? Cette interdiction qui est faite aux épurés de quitter la France s'ils le désirent.

DROIT A LA SECURITE DE SA PERSONNE ? Les viols, violences exercées à l'encontre de malheureux sans défense.

A ces Ordonnances qui ont violé des principes fondamentaux du droit français et l'article 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui est ainsi conçu : « Nul ne peut être poursuivi qu'en vertu d'une loi promulguée antérieurement au délit. LA LOI QUI PUNIRAIT DES DELITS COMMIS AVANT QU'ELLE EXISTAT SERAIT UNE TYRANNIE, L'EFFET RETROACTIF DONNE A LA LOI SERAIT UN CRIME. »

Maitre Maurice Garçon déclarait en novembre 1945 : « On n'assure la paix publique qu'en rétablissant le cours normal de la Justice. »

La Justice à l'heure présente c'est la révision de tous les dossiers des gens injustement frappés par l'épuration et la réparation des abus commis. Ensuite, ce sera l'amnistie et le pardon pour les coupables.

La France a connu au cours de son histoire des heures douloureuses. Des injustices ont été commises sous tous les régimes mais il est à l'honneur des hommes qui ont assumé la responsabilité du pouvoir d'avoir compris que le pays ne pouvait pas vivre dans un état perpétuel de guerre civile.

Depuis 404, date où est né le mot amnistie, tous les pays et tous les régimes ont été amenés à prendre de semblables mesures. Seuls les pays totalitaires y restent hostiles, encore que Franco et Tito ont récemment libéré des détenus politiques.

Aujourd'hui, siègent au Parlements des hommes qui ont bénéficié de cette faveur. Pourquoi la refuser à des Français qui n'ont commis d'autres délits que le « crime d'obéissance » ?

 

L'INGRATITUDE D'UNE NATION A L'EGARD DE SES SERVI­TEURS EST UNE MAUVAISE LEÇON D'HISTOIRE.

 

 

Amicale des anciens fonctionnaires de la police Française

2, rue Vide-Gousset  -  Paris 2°

Impr. St-Denis, 86, fg St-Denis, Paris

 

 

 

 



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