Le courage, c'est de rechercher la vérité et de la dire.
J. JAURES. |
Si le mot est relativement nouveau, l'application par contre
remonte assez loin. Mais c'est surtout avec le fascisme, le
nazisme et les régimes totalitaires qu'elle a trouvé sa véritable
expression. Tous ont largement usé du procédé. Le Front Populaire
l'avait aussi envisagée en 1936 et nombreux sont
les fonctionnaires qui
se souviennent avoir figuré sur des listes établies par certaines
sectes philosophiques qui réclamaient déjà
:
« toutes les places et tous ;es postes, tout de suite ". Elles
avaient cependant hésité à pousser trop loin cette méthode qui
n'aurait pas manqué, à l'époque, de soulever une immense
indignation dans toute la France. Le Gouvernement de Vichy
lui-même a hésité pendant l'occupation à prendre certaines mesures
draconiennes à
l'encontre des fonctionnaires et, lorsqu'il fut contraint par
l'occupant de frapper les Juifs et les francs-maçons, il -leur
laissa le bénéfice des droits acquis, notamment en ce qui concerne
la retraite. M. J. Moulin, Président du C.N.R., jouissait de ce
privilège qui lui avait été accordé, sur sa demande, par M. Pierre
Laval.
A la libération, le G.P.R.F. ne s'est pas embarrassé de tant de
principes. II a vu grand. Il a fait du neuf et du raisonnable en
frappant 120.000 fonctionnaires et agents des services publics de
sanctions allant du blâme à la condamnation
à
mort en passant par la privation des droits à la retraite et
la confiscation des biens.
Dans cette opération insensée, la police a été, de toutes les
administrations, celle qui a payé le plus lourd tribut.
L'observateur impartial ne peut manquer d'être frappé par cette
disproportion dans les sanctions et il lui vient tout de suite à
l'esprit la question de savoir par qui a été faite et
à qui a profité
l'épuration.
Selon toute évidence ce sont certaines factions politiques qui ont
été les animatrices de cette « purge ». Elles ont été aidées dans
cette œuvre de destruction de l'appareil administratif du pays,
par la veulerie, le manque de jugement ou le souci de se
dédouaner, de certains éléments qui ont craint d'être touchés par
l'épuration.
Les circonstances qui ont permis ce déchaînement des passions
sont, aujourd'hui, bien connues. Ce sont
:
1° la dislocation du gouvernement de Vichy, d'où disparition de
tout pouvoir exécutif
;
2° la décapitation des organes de commandement, complètement paralysés
par l'épuration ;
3°
le noyautage politique de certains cadres.
Cette dernière opération a été l'œuvre du N.A.P. (noyautage des
administrations publiques).
Sans nous étendre sur son fonctionnement et la bonne foi de
certains responsables des échelons supérieurs, nous tenons à
souligner la légèreté avec laquelle furent acceptés et utilisés
par ces échelons, les renseignements transmis par les informateurs
en place.
La mission dont ils furent investis initialement devait permettre
la
détection des éléments antinationaux et dangereux pour la
Résistance. En réalité, ces individus comprirent tout autrement
leur rôle.
En effet, ils transformèrent leur mission d'informateur en celle
de mouchard et de délateur. Ceci, pour une double raison
:
1- Il leur était difficile de rechercher
ce qu'ils auraient dû,
en principe, uniquement signaler, c'est-à-dire des Français ayant
des attaches personnelles et intéressées avec l'occupant, car
ceux-ci étaient pratiquement inexistants parmi les fonctionnaires
de police
;
2- Il fallait, étant donné cet état de fait, justifier malgré
tout, une action quelconque pour servir des intérêts personnels et
assouvir des vengeances. En outre, elles créaient la 'possibilité
pour certains clans politiques, d'écarter des postes de
commandement les éléments considérés comme trop indépendants.
C'est pour ces raisons que ces informateurs laissèrent apparaître
dans leur action néfaste, les plus bas instincts de délateurs et
de
dénonciateurs et
qu'ils furent encouragés dans cette voie par tous ceux qui avaient
intérêt à ce qu'il en fût ainsi.
Sous le prétexte d'épuration administrative, il fut procédé à
l'élimination systématique des éléments réputés pour leur valeur
et leur conscience professionnelles. Dans presque tous les
rapports établis contre les fonctionnaires évincés, nous
retrouvons le même vice rédhibitoire sous la formule suivante
:
« A SERVI AVEC ZELE LE GOUVERNEMENT DE VICHY
»
ou
«
A EXECUTE SERVILEMENT LES ORDRES REÇUS ».
Un tel désaveu des qualités premières qu'est en droit d'exiger le
pays de la part de ses fonctionnaires, c'est-à-dire le loyalisme,
l'obéissance à la loi et le sens véritable du mot « servir », dont
ont toujours fait preuve la plupart des limogés, nous a conduits
au triste spectacle que nous avons eu l'occasion de voir depuis
(événements de Marseille, 11 novembre, etc...). Mais où ces
appréciations prennent une saveur particulière, c'est lorsqu'elles
émanent de gens qui sont restés en activité durant toute
l'occupation et qui souvent, faisaient preuve d'un esprit de
collaboration d'autant plus remarquable qu'ils se savaient
couverts par leur appartenance à la Résistance.
Dans les mêmes rapports, nous relevons également des griefs
relatifs aux idées, griefs camouflés sous l'épithète «
d'ANTI-REPUBLICAIN ».
Sous ces qualificatifs de circonstance, furent arrêtés, écroués,
détenus pendant des mois, révoqués ou exécutés, des milliers de
policiers parmi lesquels figuraient d'authentiques républicains et
d'authentiques résistants dont les noms figuraient dans les
réseaux clandestins depuis 1941, décorés à ce titre, pour leur
action patriotique. Cet état de fait prouve le caractère
uniquement politique et égoïstement intéressé de cette épuration.
Qu'il nous suffise pour cela d'évoquer le passage suivant d'un
article publié dans le numéro d'août-septembre 1946, du Bulletin
de l'Association amicale des fonctionnaires de la Sûreté
nationale, sous la signature de M. Sicot, Inspecteur Général au
Ministère de l'Intérieur
:
«
Sur un autre plan,
on pourrait évoquer le cas
si délicat de 'Commissaires et d'Inspecteurs, restés à
leur poste à la demande de la Résistance, révoqués A
LA LIBERATION et souvent
poursuivis pour avoir, sous la menace d'arrestation personnelle,
fait interner dix personnes sur cent qu'exigeait la Gestapo, et
après avoir été révoqués par
Vichy pour
avoir laissé échapper les
quatre-vingt
dix
autres, qui, sans eux, eussent été arrêtés par les Allemands ou la
Milice.
»
N'avons-nous pas vu, par ailleurs, des étrangers, refoulés de tous
les pays du monde en raison de leur activité politique, procéder à
des arrestations de Français, combattants des deux guerres, qui, à
bout d'arguments, leur jetaient à la face
: «
Vous n'êtes plus Français ».
Enfin, ne convient-il pas de souligner que l'action épuratrice
entreprise dans la police, a permis les crimes DE LA LIBERATION
qui sont la conséquence des actes insensés de fonctionnaires qui
ont manifesté, en la circonstance, un tel mépris de la loi, qu'ils
portent la responsabilité de la plupart des
assassinats, des viols,
vols et pillages ,que déplorent aujourd'hui des milliers de
familles françaises.
.
Certes, on pourra objecter que les autorités, aujourd'hui encore
en place, n'avaient pas en mains les organes destinés, par leur
action, à éviter le maintien de ce régime de guerre civile. Cette
excuse ne serait qu'un aveu supplémentaire de l'impuissance,
peut-être même de la duplicité, de tous ceux qui revendiquèrent,
dès le premier jour de l'insurrection, le droit de commander tous
les services de la police, en s'installant DE LEUR PLEINE AUTORITE
à la place de ceux qui venaient d'être dépossédés de leurs
fonctions.
Il n'est pas injuste d'affirmer que l'on peut imputer une large
part des responsabilités des crimes de la libération à ceux qui,
par leur action soi-disant épuratrice, paralysèrent les services
de police au moment où ceux-ci devaient envers et contre tout,
assurer leur mission de toujours, c'est-à-dire maintenir la
sauvegarde des personnes et des biens de la Communauté nationale.
Ainsi, on tuait, on torturait à Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux,
etc... PENDANT QUE LA POLICE S'ECROUAIT, ET
S'ECROULAIT.
Qu'on ne s'y trompe pas, pendant des années et des années, la
police française, décimée
par la
fureur partisane et la convoitise d'épuration, supportera le poids
d'une indigence intellectuelle et d'une insuffisance
professionnelle, que M. Sicot et le Syndicat Chrétien de la
Préfecture de Police ont dénoncée dans ces termes
:
«
La police désorganisée par l'occupation et par des mesures qui
n'ont pas suffisamment tenu compte des impérieuses nécessités de
la Sécurité publique, est dans un état de faiblesse auquel les
Consuls feront bien de prendre garde. On ne refera pas un corps de
police en quelques mois. L'habit ne fait pas le moine.
»
(Bonne Année, déc. 1946)...
«
Un profond malaise règne, dans les services de la Préfecture de
Police. Une vague de découragement, annonciatrice d'anarchie et de
révolte, secoue tout le navire des cales jusqu'au sommet.
«
De nombreux S.O.S. ont été poussés vers nous. Des révélations
presque quotidiennes sont faites à nos délégués ou dans nos
permanences. Nous ne pouvons plus rester sourds à ces
appels et nous nous faisons
un devoir d'attirer l'attention de M. le Préfet de Police sur le
paradoxe de certaines nominations,
prononcées ou ratifiées,
depuis la libération.
»
(Les Nouvelles Syndicales, janvier 1947).
L'EPURATION, ARME POLITIQUE
Un Commissaire du Gouvernement, requérant dans le procès de
l'Inspecteur Jourdan, commençait son réquisitoire en ces termes
:
«
Juridiction d'exception, la Cour de Justice
n'a pas à apprécier le
préjudice causé aux tiers, soit par les sévices dont ils ont été
l'objet, soit par les dommages matériels et moraux qui en ont
découlé. Elle a à juger le caractère politique de l'action faite
par l'inculpé.
»
Un tel aveu se suffit. Et pourtant nous en trouvons une nouvelle
preuve dans l'exposé des motifs de l'Ordonnance sur la presse dans
laquelle ont lit
:
«
Les agissements criminels des collaborateurs de l'ennemi n'ont pas
toujours revêtu l'aspect de faits individuels susceptibles de
recevoir une qualification précise aux termes d'une règle
juridique du droit strict. Ils ont souvent composé une activité
antinationale répréhensible en elle-même. PAR AILLEURS LES
SANCTIONS DISCIPLINAIRES QUI ECARTENT LES FONCTIONNAIRES INDIGNÉS
DE L'ADMINISTRATION LAISSENT EN DEHORS DE LEUR CHAMP D'APPLICATION
LES AUTRES CATEGORIES SOCIALES...
L'Ordonnance soumise à votre approbation tend à réaliser cette
œuvre d'épuration nécessaire et à entourer des garanties
indispensables exigées par le souci d'une justice dont la sévérité
n'altère pas la sérénité.
De
prime abord, elle revêt
un aspect rétroactif
susceptible de créer une opposition entre le principe qu'elle
consacre et la règle formulée par l'article IV du Code pénal. Mais
il semble que la non-rétroactivité ne doit pas se poser à propos
de l'indignité nationale ; il
ne s'agit pas, en effet, de
prononcer une peine privative de liberté, mais d'édicter une
déchéance. Le système
de l'indignité nationale ne trouve pas sa place sur le terrain de
l'ordre pénal proprement dit. Il s'introduit délibérément sur
celui de la JUSTICE POLITIQUE où le législateur retrouve son
entière liberté et plus particulièrement celle de tirer à tout
moment les conséquences du droit que comporte cet état de fait.
»
N'est-ce pas aussi pour justifier cette épuration politique que
l'on
a
commencé par qualifier de traîtres et de réactionnaires ceux que
l'on voulait
frapper.
Le 7 juillet 1947, M. Paulhan, Président du Conseil national des
Ecrivains, déclarait
:
«
Si j'étais moraliste
ou politique, c'est, je
crois. la cruauté de l'épuration qui me frapperait d'abord. »
Cruauté
!
Le mot n'est pas exagéré lorsque l'on songe aux centaines de
milliers de victimes innocentes qui ont été frappées et aux
dizaines de milliers de fonctionnaires qui ont été privés de leur
gagne-pain, déshonorés,
non pas en raison d'actes politiques, mais pour des faits
découlant des servitudes de leur profession, que l'on a qualifiés,
pour la circonstance, de délits politiques.
Le 11 janvier 1944, MM: Jules Moch, Fernand Grenier, René Ferrière
et Gazier déposaient, à l'Assemblée d'Alger, une proposition n°
26, relative à l'épuration dans la Métropole qui- «
affirmait la volonté de
tous les Français résistants et patriotes, de Châtier sans délai,
la POIGNEE DE TRAITRES et de collaborateurs, en commençant par les
responsables les plus hauts placés. »
A la même époque, l'un des leaders de la collaboration, Marcel
Déat, déclarait devant le Comité directeur du R.N.P., qu'il ne «
trouvait pas, dans toute la
France, 50.000
collaborateurs et pas un dixième des fonctionnaires favorables à
la collaboration ».
Pendant le même temps, les Allemands établissaient une liste de
2.000 personnalités suspectes de germanophobie, dans laquelle
figuraient un grand nombre de fonctionnaires aujourd'hui frappés
comme collaborateurs.
A la libération, le Général de Gaulle déclarait qu'il «
n'y avait eu en France
qu'une poignée de traîtres ».
En 1945, le Procureur Général Boissarie affirmait «
qu'un Français sur mille
avait collaboré ».
Comment expliquer alors que les chiffres donnés par 'ces
personnalités ont été 165 fois supérieurs dans la police ? Est-ce
à dire que des dizaines de milliers de fonctionnaires se soient
brusquement mués en collaborateurs alors même que les Allemands
les désignaient comme des adversaires et se préparaient à les
arrêter ? Non, la vérité est que l'épuration a été une opération
politique et non la sanction d'actes de trahison. Elle a été le «
hors-la-loi » magique qui a permis aux mécontents, aux aigris, aux
incapables, parfois même aux crapules (la presse nous en apporte
la preuve tous les jours), de satisfaire leur vengeances
personnelles et d'éliminer leurs concurrents à l'avancement.
Quand on saura par ailleurs que l'épuration de la police a été
l'œuvre de clans intéressés à la disparition de ce bastion de
défense des libertés républicaines, peut-être comprendra-t-on les
véritables mobiles de ce drame.
LA LEGALITE DU GOUVERNEMENT PETAIN
« En fait, il n'y a pas eu rupture entre l'Assemblée Nationale de
Vichy et la pratique gouvernementale d'avant la guerre; les
10-12 juillet 1940, le
Parlement a simplement délégué ses pouvoirs de faire
des décrets lois
constitutionnels, comme auparavant il déléguait set pouvoirs pour
des décrets lois législatifs ».
(André Marty, Xe Congrès du P.C., février 1945)
S'inspirant du précédent des Versaillais à l'égard des Communards
et pour justifier l'épuration, le G.P.R.F. a affirmé que le
gouvernement Pétain était un gouvernement de fait, à l'égard
duquel les fonctionnaires étaient tenus de désobéir.
Aujourd'hui, cet argument n'est plus guère invoqué et de nombreux
résistants reconnaissent qu'en 1940 «
Sénat et Chambre des
Députés ont été réunis selon toutes les règles et toutes les
formes constitutionnelles conformément à
la loi du 16
juillet 1875 » et que
«
c'est en toute connaissance de cause et en respectant la lettre
sinon l'esprit de la loi
que l'Assemblée Nationale a
aboli la Constitution de 1875 ».
La loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 est donc légale.
N'a-t-elle pas, du reste, été signée par M. Albert Lebrun,
Président de la République et principal défenseur de la légalité
républicaine ? Quoi qu'il en soit, 569 parlementaires contre 80
ont, en toute indépendance, donné au Maréchal Pétain les pouvoirs
pour élaborer une nouvelle Constitution et tous les pays étrangers
n'ont-ils pas accrédité des ambassadeurs auprès de lui ? Tous les
hauts cadres de l'administration restèrent en place et il fallut
les incidents de Mers-el-Kébir pour amener la rupture des
relations diplomatiques avec l'Angleterre.
Au surplus, de grandes voix ne s'étaient-elles pas faites entendre
pour inciter les Français à se grouper derrière le gouvernement du
Maréchal ? A-t-on oublié les discours du 9 juillet' 1940 de MM.
Herriot et Jeanneeny,
l'affiche de M. Vincent Auriol, la proposition de Paul Boncour,
et, plus tard, la lettre de
M. Francisque Gay et l'affiche de M. Marcel Cachin ?
Comment admettre que des « lampistes », inexpérimentés en science
juridique, habitués à obéir et tenus d'obéir, puissent discerner
dans cette période trouble de l'occupation, le bien-fondé d'une
controverse qui mettait aux prises partisans et adversaires de
Vichy. Pour eux, les apparences de la légalité existaient. Dans ce
cas, il ne leur restait qu'une attitude à adopter
:
obéir et servir. C'est ce qu'ils ont fait sur les engagements des
plus éminentes personnalités du régime.
Leur bon sens les a-t-il tellement trompés ? Aujourd'hui, il n'est
pas seulement que les résistants qui reconnaissent la légalité du
gouvernement de Vichy. Les Professeurs de droit international,
parmi lesquels des hommes qui font autorité comme MM. Prelot et
Georges Vedel, l'un, dans le Petit Dalloz, l'autre, dans le Manuel
élémentaire de Droit Constitutionnel, démontrent la légitimité du
Gouvernement du Maréchal Pétain et affirment même que la
Constitution de 1875 n'était pas et ne pouvait être abrogée.
De son côté, M. François Mauriac, n'a pas hésité à dénoncer dans
le journal, Le Figaro : «
L'escroquerie de la libération ». Il écrivait à ce sujet
:
«
Trop de Français, dont beaucoup d'honnêtes gens, frappés par les
Cours' de Justice d'Indignité Nationale, se trouvent dans des
conditions de vie tragiques et imméritées... Cette épuration
interminable qui semble avoir frappé au hasard, épargnant les uns,
accablant les autres, ces Tribunaux d'exception, l'Histoire dire
qu'ils ont été les résultats d'une
erreur pour ne pas dire
d'un mensonge. On a nié l'évidence, qui était la légalité du
Gouvernement de Vichy. S'il y eut jamais un cas où il fallait
distinguer le droit du fait, c'était bien celui-là. On pouvait
refuser à Vichy la légitimité, mais à condition de ne pas nier que
le soleil luit en plein jour et qu'un Gouvernement auprès duquel
sont représentés tous les pays du monde, y compris l'U.R.S.S., les
Etats-Unis d'Amérique et le Saint-Siège, est un Gouvernement
légal. Cette constatation eut rendu inutiles un grand nombre de
poursuites et eut introduit une circonstance atténuante dans tous
les procès qui ont eu une issue tragique.
»
SANS DOUTE, PEUT-ON OBJECTER AUJOURD'HUI QU'IL FALLAIT QUE CES
MODESTES FRANÇAIS SOIENT PARJURES, PRATIQUENT LE DOUBLE-JEU ET
L'IGNOMINIE POUR AVOIR DROIT A LA RECONNAISSANCE DU PAYS, les
actes légaux accomplis par eux étant sans valeur. Mais quel est
l'homme d'honneur qui affirmera qu'il s'agit là de vertus
cardinales qui font la force et la grandeur d'un pays ? Nos
Consuls feraient bien de méditer les dangers de ce sentiment
qu'ils ont contribué
à
développer et dont ils seront, demain peut-être, les victimes.
LES FONCTIONNAIRES DE POLICE ONT-ILS TRAHI ?
«
Lorsque nous avons demandé aux policiers pourquoi ils avaient poursuivi
avec tant d'acharnement les patriotes, ils nous ont répondu que
c'était parce qu'ils étaient convaincus qu'ils défendaient la
Nation.
»
PAUL MARCEL,
De tous les corps constitués, la Police est celui qui comporte, à
l'égard de ses membres, les plus grandes servitudes et les plus
graves inconvénients.
SERVITUDES
:
parce qu'obligation de respecter et de faire respecter la loi,
obéissance absolue au pouvoir légal, défense des institutions,
discipline sévère imposée par une hiérarchie dont le contrôle est
permanent, en un mot, abnégation totale et subordination de
l'intérêt particulier à l'intérêt général.
Le policier n'a pas à savoir si le Gouvernement a tort ou raison,
il doit obéir. Si la loi est juste ou injuste, il doit l'appliquer
tant que le Parlement ne l'a pas abrogée. Un gouvernement
républicain ne peut donc prendre prétexte que le policier à obéi à
la loi ou l'a fait respecter pour lui faire violence. Admettre
qu'il est seul juge de l'opportunité d'appliquer telle ou telle
décision gouvernementale, c'est admettre l'insubordination et ses
conséquences, en premier-lieu : l'anarchie. C'est aussi pousser le
fonctionnaire à faire de l'opportunisme politique, donc à miner
l'autorité du gouvernement, affaiblir sa puissance, trahir sa
confiance. Tous les gouvernements républicains
ont compris cette nécessité et c'est pourquoi, en 1940, M. Mandel,
révoqua les fonctionnaires qui avaient abandonné leur poste et que
M. Jules Moch, Ministre de l'Intérieur, a fait supprimer le droit
de grève aux policiers, droit cependant inclus dans la
Constitution.
INCONVENIENTS
:
parce que les obligations inhérentes à ces servitudes
entraînent inévitablement à l'égard des policiers, le ressentiment
des personnes à l'encontre desquelles ils ont sévi et l'antipathie
d'une population aimant voir rosser le Commissaire.
Or, l'épuration a été à la fois la conséquence des servitudes
professionnelles de ces fonctionnaires, la vengeance des crapules
(de nombreux gangsters faisaient partie de la Résistance) et la
réalisation d'une opération politique méticuleusement préparée et
réalisée dans le but évident de détruire ce bastion de défense des
institutions républicaines.
Le nombre des fonctionnaires de police accusés de trahison a
surpris les observateurs étrangers et les journalistes. Ils ont
été stupéfaits de constater que tant de fonctionnaires qui
avaient, à maintes reprises, risqué leur vie pour défendre la
société et le régime, s'étaient brusquement mués en
collaborateurs. Mais leur stupéfaction a été de courte durée
lorsqu'ils ont connu
les mobiles et les artisans de cette épuration politique.
L'opinion publique sera fort surprise lorsque nous publierons les
documents qui sont en notre possession. Elle apprendra dans quel
but et à quelles fins la radio de Londres et la presse clandestine
se sont ingéniées à persuader le peuple français que sa police
était passée au service de l'occupant.
En vérité, la police française a, dans le cadre des lois en
vigueur et conformément à la Convention de La Haye, poursuivi sa
tâche afin de protéger la population dont elle avait la garde. Et
si, parfois, il y eut connexité entre son activité et celle des
occupants, celle-ci eut lieu sous la contrainte et, souvent aussi,
par suite de la lâcheté de certains Parquets.
Ce qui est certain, c'est que par son action, la Police Française
a
évité les plus graves représailles envers la population,
représailles dont auraient été victimes des dizaines de milliers
d'innocents. Dans la région parisienne notamment, ce sont 60.000
otages qui ont été arrachés aux plotons d'exécution pour les 600
attentats ou actes de sabotage commis durant l'occupation
;
attentats ou sabotages qui n'avaient pas, à une certaine époque,
l'approbation de tous les épurateurs. SI LA VILLE DE PARIS N'A PAS
CONNU DES TRAGEDIES SEMBLABLES A CELLES D'ASCQ ET D'ORADOUR, C'EST
A SA POLICE QU'ELLE LE DOIT.
Certes, il est aujourd'hui possible à ceux qui accusent, de juger
avec haine et passion l'activité de ces policiers, mais personne
n'a le droit de leur reprocher d'avoir dû choisir la politique du
moindre mal. Fallait-il qu'ils laissent en liberté un coupable et
voir fusiller 100 otages ou qu'ils arrêtent le coupable et sauvent
les otages ? Tel est le dilemme devant lequel ils se sont trouvés.
Dans ses mémoires, le Général Catroux a déclaré que lorsqu'on ne
pouvait faire sa politique, il fallait faire un compromis. C'est
ce qu'a fait la police.
Il serait du reste intéressant de consulter ses archives pour y
retrouver les lettres des militants emprisonnés qui adjuraient les
policiers d'arrêter les coupables et
de mettre leurs
camarades en garde contre les attentats inutiles qui n'avaient
d'autres résultats que de faire fusiller les meilleurs d'entre
eux. Et puis, que ces justiciers n'ont-ils entendu les
supplications des mères, des femmes de ces malheureux, qui
venaient supplier les policiers pour qu'ils mettent tout en œuvre
afin de sauver leurs fils ou leurs maris. Parmi celles-ci
figuraient des femmes et des mères de personnages aujourd'hui
influents qui se posent aujourd'hui en accusateurs. Enfin,
pourquoi ne pas comprendre les provocations de la Gestapo à
l'égard de la Police ? Les Gaveau et les Bardet étaient nombreux
dans la Résistance...
Pourquoi ne pas dire non plus que les attentats étaient le plus
souvent l'œuvre d'étrangers, mercenaires de causes plus ou moins
défendables, aux quels il importait peu que des Français fussent
massacrés.
Pourquoi également qualifier de traîtres des policiers qui ont
fait leur devoir et leur travail et admettre que les ouvriers, les
cheminots, les postiers, etc... qui ont fabriqué des tanks, des
munitions, convoyé des trains ou du courrier allemands, donc qui
ont travaillé au développement du potentiel économique et
militaire du IIIe Reich, n'ont pas trahi ? D'un côté, il y a eu
contrainte administrative et sanctions
;
de l'autre, collaboration effective et pas de sanctions. C'est là
une conception bien spéciale de la justice.
COMMENT A ETE FAITE L'EPURATION DE LA POLICE ?
En admettant même le bien-fondé des poursuites ou des sanctions
administrative prises à l'encontre des fonctionnaires de la
police, comment ne pas être révolté par les conditions dans
lesquelles l'épuration a été faite ?
C'est certainement dans la police que l'épuration a été la plus
violente. Elle a été inspirée par trois raisons
:
la première, d'ordre politique, la seconde, d'ordre intérieur
;
la troisième, par un esprit de vengeance.
Il semble inutile d'insister sur la raison d'ordre politique, elle
est connue de tout le monde. Quant à celle d'ordre intérieur, elle
a été, comme nous l'avons indiqué plus haut, la revanche des
mécontents et des incapables contre leurs chefs ou leurs
concurrents à l'avancement. L'esprit de vengeance a été, lui,
l'occasion pour les trafiquants, les, mercantis, les voyous
d'éliminer de la police ceux qui avaient sévi contre eux.
Les mesures prises marquent bien cette triple origine
:
Elimination de tous les cadres supérieurs qui ont été révoqués ou
arrêtés
;
Bouleversement des cadres moyens, qui s'est traduit par l'éviction
de près de la moitié des Commissaires et des Secrétaires
;
Coupes sombres dans le personnel subalterne.
Les conditions dans lesquelles ces fonctionnaires ont été frappés
pour avoir fait respecter la loi ou la discipline, sont un tissu
d'irrégularités, d'abus et de violations flagrantes du droit et de
l'équité.
Les intéressés ont été, pour la plupart, jetés sans l'ombre d'une
preuve quelconque ou de la décision d'une autorité supérieure, au
gré d'hommes sans mandat ou qualité pour
ce faire, en prison ou
dans des camps de concentration où ils ont été détenus pendant des
mois et des mois sans être interrogés ou subissant un simulacre
d'interrogatoire.
Leur comparution devant les Commissions d'épuration n'a été qu'une
formalité vide de sens
:
Enquête préalable faite uniquement à charge, avec consigne
d'éliminer les témoins à décharge ;
Utilisation de faux
;
Absence d'audition par le rapporteur, défaut de communication du
dossier avant la comparution
;
Absence de toute comparution devant la commission, les intéressés
étant jugés sur pièces sans pouvoir se justifier ;
Refus de l'assistance d'un défenseur
;
-- Absence de véritables débats contradictoires, le fonctionnaire
incriminé ne pouvant ni s'expliquer librement, ni faire entendre
ses témoins, ni produire ses pièces puisqu'étant détenu et privé
de tout contact avec sa famille ou un défenseur et étant trop
souvent pris à partie par les membres de la Commission.
En bref, une partialité manifeste, l'enquête et la comparution
n'ayant pour objet que de donner une apparence de légalité à des
mesures souvent arrêtées au préalable, en tout cas, dictées par
les considérations que l'on
sait.
FONCTIONNAIRES JUGES PAR LEURS REMPLAÇANTS, CHEFS JUGES PAR LEURS
SUBORDONNES, HOMMES JUGES PAR LEURS ADVERSAIRES, VOILA LE
SPECTACLE QU'A OFFERT L'EPURATION DE LA POLICE
!
De récents scandales et en particulier l'affaire
Fournet-Joanovicci ou encore celle qui est actuellement instruite
par la Cour de Riom, concernant le chef épurateur de
Clermont-Ferrand, Kléber Ducrot, titulaire de douze condamnations
de droit commun, ou encore l'aventure de cet évadé de la Prison
des Baumettes à Marseille devenu épurateur, illustrent cet exposé.
Que pouvaient attendre de tels individus les fonctionnaires
appelés à comparaître devant eux ?
Ainsi, des amis de Joanovicci, des agents de la Gestapo, des
malfaiteurs, ont pu, avec la tolérance des Services publics, jeter
en prison, déshonorer, vouer à la misère d'honnêtes fonctionnaires
et leurs familles. L'administration prétend qu'elle a uniquement
agi dans l'intérêt de ces fonctionnaires. C'était, dit-elle, pour
les protéger contre d'éventuelles représailles et parce que les
Parquets étaient embouteillés qu'ils ont été maintenus si
longtemps en prison. C'est là, l'argument style Tartuffe. Les
fonctionnaires
internés étaient d'inoffensifs serviteurs publics. En procédant à
leur arrestation, on faisait, au contraire, peser sur eux une
suspicion très lourde qui, dans cette période de fébrilité,
pouvait les exposer à un massacre général.
De plus, comment explique-t-on que c'est précisément parmi ceux
qui ont été « protégés » de la manière que l'on sait, qu'on trouve
la totalité de ceux qui ont été l'objet de violences graves de la
part de leurs
«
protecteurs
»
(tympans crevés, côtes cassées, traumatismes divers, etc...) Le
cas de l'ex-Commissaire Achiary n'est pas unique
;
il y a aussi les Roicourt, Saintier, Demarche et consorts. Des
centaines de victimes peuvent en apporter les preuves.
Lorsque des reproches sont faits à l'administration sur les
irrégularités dont ont été victimes de nombreux policiers, elle
tente de se justifier en disant
:
« Sans doute, toutes
prescriptions légales n'ont pas été respectées. Mais enfin, les
mesures prises étaient justifiées en fait, puisque la plupart des
fonctionnaires qui en ont été l'objet ont été, par
la suite, révoqués et même
déférés à la Justice »
Certes, ces fonctionnaires ont été révoqués. Mais par qui ? Par
des Commissions composées des principaux meneurs de l'opération
qui ne pouvaient se déjuger. Et c'est ce qui explique que neuf sur
dix des dossiers transmis à la justice ont été classés. Il n'en
reste pas moins que ces mesures ont prolongé le martyre des
inculpés, dont certains se sont suicidés et d'autres ont accompli
parfois plus de deux années de prison avant de voir leur innocence
reconnue.
Pour justifier ces détentions arbitraires, l'administration
invoque l'état de fait qui l'empêchait de mettre en œuvre les,
garanties de la loi.
Cette raison est mensongère. Des commissions de vérification ont
fonctionné et ont ordonné la libération de milliers de personnes
arrêtées, parmi lesquelles des prostituées, des trafiquants, des
souteneurs. Mais on a soustrait à leur attention le cas des
policiers. Certains d'entre eux qui avaient réussi à comparaître
devant elles ont été immédiatement libérés. Les autres ont dû
attendre le bon plaisir d'une Commission d'épuration pour se voir
placer sous mandat de dépôt.
Pourquoi, nous dira-t-on, cette infraction à la loi ? Pour
satisfaire à l'ambition la plus vulgaire
:
l'occupation des places. Il est difficile d'accéder aux grades par
voie de concours ou au prix d'une longue carrière. Il est beaucoup
plus commode de jouer quelques instants les héros de la dernière
heure et de s'approprier les emplois convoités.
LE CRIME D'OBEISSANCE
En réalité, les fonctionnaires de police ont été frappés pour «
CRIME D'OBEISSANCE ». C'est là la seule base juridique des
accusations relevées contre eux.
Certes, nous savons que la thèse des épurateurs est que
:
« dès l'instant ou l'Etat
se désolidarise de la Nation, on ne peut plus contester qu'il ait
perdu sa légitimité et que le haut personnel administratif et
politique ne doit plus ignorer que ses décisions et ses actes
engagent sa propre responsabilité envers la
Nation.
»
N'est-ce pas là des arguties de juristes ou de politiciens qui
font que les généraux se réservent le droit de guider la politique
extérieure du pays et les fonctionnaires la politique intérieure ?
N'est-ce pas aussi des choses qui échappent à la masse des
Français ? N'EST-CE PAS AU SURPLUS UN RAISONNEMENT DANGEREUX POUR
LES HOMMES ACTUELLEMENT EN PLACE ET SURTOUT POUR LE GOUVERNEMENT
QUI PEUT, A CHAQUE INSTANT, VOIR DISCUTER PAR SES
FONCTIONNAIRES SA
LEGITIMITE ? Qui donc peut nier que le Parlement actuel ne
représente plus l'opinion de la majorité des Français comme l'ont
démontré de récentes élections? CHAQUE FONCTIONNAIRE ENGAGE DONC,
AUJOURD'HUI, SA PROPRE RESPONSABILITE EN LUI OBEISSANT ET POURRA
ETRE AMENE, DEMAIN, A RENDRE DES COMPTES. IL EN EST DE MEME POUR
LE SOLDAT QUI COMBAT EN INDOCHINE.
Tout récemment, le Tribunal Militaire de Paris condamnait à une
peine de prison, trois gendarmes qui avaient refusé de partir en
Indochine sous prétexte que leur engagement était pour la
métropole. Ils ont été poursuivis pour refus d'obéissance. Peu de
jours avant, comparaissait devant la
Cour de Justice un policier
qui
avait obéi au gouvernement « de Vichy
».
Il a été condamné à 5 ans de travaux forcés. Là encore, l'exemple
est dangereux
:
5 ans de travaux forcés pour crime d'obéissance — 18 mois de
prison pour refus d'obéissance. La comparaison des deux peines
permet tout de suite de tirer les enseignements
:
IL VAUT MIEUX DESOBEIR. Et cette conclusion s'impose encore
davantage lorsque, dans d'autres circonstances (événements de
Marseille, 11 novembre à Paris, etc...) aucune sanction n'a été
prise à l'égard des policiers qui- ont refusé d'assurer l'ordre ou
de protéger des citoyens étrangers.
LES PRIVILÈGES DES CHEFS
Dans le traité de « droit nouveau » élaboré par les juristes
résistentialistes peu avant la libération, on lit
:
«
Seuls restent, en quelque sorte, mineurs ceux qui se trouvent au
bas de l'échelle des responsabilités, tenus de gagner leur vie et
celle de leur famille, et ceux que le, manque d'expérience ou de
discernement courbe dans l'étau des disciplines.
Or, un simple examen des fonctionnaires frappés nous permet de
constater que ce sont les
«
lampistes » qui ont le plus lourdement payé.
Il importe là, du reste, de faire une discrimination entre le haut
fonctionnaire évince parce qu'on voulait surtout sa place, et le
petit fonctionnaire frappé pour « crime d'obéissance » parce qu'il
fallait des victimes. Il est de fait que 90'% des cadres
supérieurs ont été éliminés, 50 % des cadres moyens et 25 % des
cadres
subalternes et du
personnel. Mais, lorsqu'on examine le nombre des condamnations ou
des révocations sans pension, on s'aperçoit que ce sont les
derniers qui garnissent les prisons de la IV République et qui
sont frustrés de leur retraite.
Peu de grands chefs de la police ont été condamnés. Un tel a été
acquitté par la Haute Cour, tel autre est Conseiller à la Cour des
Comptes, un troisième est Préfet, d'autres sont en retraite, un
autre est Trésorier payeur général
;
le plus grand nombre à réussi à se dédouaner grâce à ses relations
dans le camp adverse. Nous ne les désignerons pas car nous ne
sommes pas des auxiliaires de l'épuration, mais le fait est là.
D'autres n'ont pas été inquiétés et c'est justice. Pourquoi alors
tant de lampistes sont-ils l'objet d'un ostracisme systématique ?
Est-ce parce qu'il fallait malgré tout des victimes et qu'il était
plus facile de les prendre parmi les petits qui n'avaient pas de
puissantes relations politiques ? Une fois de plus se confirme
l'adage
:
« Suivant que vous serez puissant ou misérable... »
Il était de tradition en France que seule la responsabilité de
ceux qui ordonnaient pouvait être mise en cause et c'est pour cela
qu'existait l'article 327 du Code Pénal. S'attaquer à l'exécutant,
c'est s'attaquer au devoir d'obéissance, c'est interdire au
gouvernement le droit et le devoir de poursuivre et de condamner
ceux qui lui désobéissent.
Et puis, pourquoi méconnaître pour ces lampistes le droit
d'obéir
LORSQU'ON L'INVOQUE POUR COUVRIR ET JUSTIFIER LES ACTES COMMIS PAR
LES MAQUISARDS PENDANT L'OCCUPATION ? La France serait-elle donc
composée de guelfes et de gibelins ?
Enfin, signalons la récente décision du Conseil d'Etat qui, toutes
chambres réunies, sous la présidence de M. Cassin, a annulé
l'arrête de révocation du Préfet régional de Toulouse parce que
manquant de
«
bases légales ». Quelles sont les bases légales que l'on va
invoquer pour justifier les sanctions prises .à l'encontre de ses
subordonnés qui ont exécuté ses ordres ?
LA VALEUR MORALE ET PROFESSIONNELLE DES EPURATEURS
Comme nous l'avons vu, la plupart des policiers ont été épurés par
des gens n'ayant ni la valeur morale ni la valeur professionnelle
nécessaires pour procéder à l'épuration. Ici, c'était un condamné
de droit commun
;
là, un cheminot; ailleurs, des gens qui ne connaissaient rien aux
servitudes, policières et qui ont trouvé l'occasion de
se
venger. Partout des subordonnés accusant leurs chefs, des
concurrents à l'avancement éliminant leurs rivaux.
Des violences ont été exercées ; des pillages aussi, par des
hommes qui, le plus souvent, étaient en état d'ivresse et qui
refusent aujourd'hui de prendre la responsabilité des abus qu'ils
ont commis.
Qu'il nous suffise de rapporter la déclaration faite le 5 mai 1949
par l'un des principaux responsables de cette épuration, le
brigadier des gardiens de la paix Lamboley, qui s'est promu
Commissaire divisionnaire à la libération, pour comprendre dans
quel climat et par quels hommes cette épuration a été faite
:
"
«
Le 19 août 1944, je suis
arrivé à la Caserne de la Cité vers 7 h. 30.
Immédiatement après nous
avons procédé à la prise des locaux. A 8
h., nous avons procédé à
l'arrestation de Bussière et occupé le cabinet du Préfet avec
Fournet et Pierre. »
(Pierre était gardien de la paix — Fournet est l'ami de
Joanovicci dont la presse a parlé).
.................................
«
La Préfecture de Police était alors occupée par environ
3.000 hommes parmi lesquels
se trouvaient quelques éléments étrangers à l'administration
»
(l'effectif de la Préfecture de Police était de 22.000 employés.
La résistance n'en groupait, pas un millier).
«
Entre
9 heures et midi, nous
avons fait procéder à l'arrestation des principaux chefs de la
Préfecture de Police.
«
Vers
10 heures, j'ai donné
l'ordre à une vingtaine d'hommes, dont je ne me
souviens plus les noms, de
pénétrer dans son appartement (il s'agissait de l'appartement
de M. Hennequin, Directeur de la Police Municipale)
afin de vérifier s'il ne
s'y trouvait pas par hasard. Cette opération étant demeurée sans
résultat, mes hommes se sont retirés, mais la surveillance des
lieux a été immédiatement confiée à des gardiens placés sous les
ordres directs de M.
Duc, lequel avait reçu mission de la surveillance de tous les
locaux de la Caserne de la Cité.
»
...............................
«
Vers
16 heures, A LA SUITE DE
L'EXPLOSION D'UN OBUS ALLEMAND DE 88
SUR LA TOURELLE SITUEE DANS
LA COUR DE L'ISOLEMENT, LES OCCUPANTS DE LA CITE ONT ETE PRIS DE
PANIQUE ET SE SONT ENFUIS PAR LES COULOIRS DU METRO, A LA FOIS
VERS LA PLACE SAINT-MICHEL ET LA PLACE DU CHATELET. J'AI CONSTATE,
A CET INSTANT, QUE CENT HOMMES RESTAIENT DANS LES BÂTIMENTS.
Immédiatement, avec Fournet. Levasseur et le sergent Bourhas, nous
avons rallié le plus possible et finalement il se trouvait huit
cents hommes dans le courant de la soirée. Nous avions déjà une
quarantaine de tués et aucune distribution de vivres n'avait
encore, eu lieu. Pour pallier à une défaillance possible, j'ai
aussitôt donné l'ordre de faire distribuer les QUELQUES QUARANTE
MILLE PAQUETS de tabac et de cigarettes qui avaient été mis en
réserve sous la responsabilité du
Commissaire Schmitt.
«
Peu après, c'est-à-dire vers
18 heures, j'ai été informé
que les hommes dévalisaient les caves de la Cité. dont celles de
Rottée et Hennequin. Je n'ai pas réagi en raison de l'énervement
général, sachant très bien que les hommes avaient soi' et que
j'aurais des difficultés à contrecarrer leur comportement. Dans la
soirée, avant 22
heures. le responsable
Deshereau. de la
1er Division, que j'avais
chargé d'une ronde, est revenu alors qu'il-venait d'être blessé au
bras par une rafale de mitraillette tirée par
un policier en état
d'ivresse. Dans le même instant. M. Chassagnette m'apprenait
qu'un. grand nombre d'hommes étaient ivres. "
.........................
Cette déposition se passe de commentaires. Disons cependant que ce
fait n'est pas isolé. Rue de la Banque, des gardiens de la paix,
en état d'ivresse, frappaient les détenus et urinaient sur les
femmes. Dans le XVIII° arrondissement, d'autres gardiens abattent
le Commissaire Siri qu'ils avaient odieusement torturé ainsi qu'un
brigadier de gardiens de la paix qui, conduit à l'hôpital Bichat,
est achevé dans son lit, d'une rafale de mitraillette. Au poste de
la Maison-Blanche, ce sont deux hommes dénoncés comme miliciens
auxquels on crève les tympans et les yeux et que finalement on
abat. Dans le XIX° arrondissement, des femmes sont violées. Dans
le XII°, le Commissaire Silvestri, arrêté par ses subordonnés
comme collaborateur et gardé â vue sans son bureau, est emmené par
les Allemands et fusillé à Vincennes, au grand soulagement des
responsables résistants qu'il avait couvert. A Charenton, c'est le
gardien de la paix Cazaubat qui, au cours de son transfert au
Dépôt alors qu'il venait d'être arrêté comme collaborateur, est
tué par les Allemands tandis que plusieurs de ses camarades sont
grièvement blessés. Cazaubat est ensuite adopté comme victime de
la résistance, décoré
de la Légion d'honneur, mais ses camarades qui n'étaient pas morts
sont transférés au Dépôt et gardés pendant des mois comme
traîtres. Partout ce sont des violences exercées par des hommes en
état d'ivresse. Au Dépôt la nuit, les détenus sont extraits de
leurs cellules et alignés le long du mur en vue de leur exécution.
Ces scènes se terminent le plus souvent par des violences.
Des abus de cette sorte pourraient être énumérés à l'infini. En
province, les mêmes faits se sont produits.
LES ERREURS DE L'EPURATION
On peut s'imaginer dans quelles conditions et avec quelles
garanties les arrestations effectuées par ces hommes dominés par
la passion de l'alcool ont été faites. Mais une fois arrêtés,
coupables ou innocents, les intéressés ne pouvaient plus se faire
entendre. Des mois et des mois se sont écoulés avant qu'ils
puissent être interrogés, non sur le fond de leur affaire, niais
seulement sur leur identité. Ceux qui avaient leurs places ne
voulaient pa
s
se déjuger. Il fallait, coûte que coûte, qu'ils fussent coupables.
C'est alors que l'on a procédé à des enquêtes uniquement faites à
charges. Que l'on a fait pression, voire menacé, ceux qui se
refusaient de déposer contre leurs collègues. Que les épurateurs
ont protesté contre la mollesse des juges. Il fallait que ceux qui
étaient partis ne puissent revenir parce qu'ils auraient été en
droit de réclamer leurs places.
Puis, peu, à peu, devant les campagnes de presse dénonçant les
abus de l'épuration dans la police, l'administration s'est émue.
Elle a révisé quelques cas pour calmer les attaques, mais elle
s'est ingéniée à maintenir le plus grand nombre des victimes en
dehors de l'administration.
Le scandale a été tel que des Commissaires du gouvernement n'ont'
pas hésité à stigmatiser l'attitude des épurateurs, dans des
appréciations comme celle-ci
:
« Il parait du reste, que
plusieurs de ses accusateurs ont témoigné contre lui avec plus ou
moins de malveillance et que même certains pourraient bien, plutôt
que lui, être poursuivis pour faits tels que ceux qu'ils lui
imputent.
»
Des épurateurs ont été par la suite arrêtés comme agents de
l'Abwehr
Aujourd'hui, la plupart des témoins à charge se rétractent, mais
les sanctions n'en sont pas moins maintenues et l'on voit
l'administration les
justifier par des appréciations de cette nature
:
« L'intéressé était
connu comme ayant même la
haine des Allemands, mais, d'un caractère discipliné, il. AURAIT
exécuté sans discrimination les ordres de ses chefs. »
"Il
y a là matière à une sanction administrative. "
D'autres policiers, sanctionnés tout à fait début du
fonctionnement des Commissions d'épuration, Ont été, par la
suite, complètement
réhabilités, parce « qu'aucun
grief précis ne pouvait
être retenu contre X... quant à son attitude durant l'occupation
». Ils n'en ont pas moins été chassés de l'administration en
vertu de la loi sur le dégagement des cadres qui dit :
«
Seront dégagés
par priorité, nonobstant
toute valeur professionnelle, les fonctionnaires ayant fait
l'objet d'une sanction administrative au titre de l'épuration.
»
Enfin, des policiers ont obtenu, devant le Conseil d'Etat
l'annulation des sanctions prises contre eux, tant sur la forme
que sur le fond, niais l'administration refuse de les réintégrer.
Mieux, elle fait juges d'appel de la plus haute juridiction
française, les Commissions d'épuration.
LA HAINE
Il était d'usage, en France, de jeter le voile de l'oubli sur les
gens condamnés. Actuellement il n'en est rien. Dans sa prison, le
policier est l'objet de brimades inutiles. Il est abandonné de
tout le monde et l'administration pénitentiaire s'oppose à la
réception de mandats qui lui sont adressés par quelques amis. Dans
les centrales, il est souvent placé sous les ordres d'assassins et
de voleurs.
Les familles sont, elles aussi, l'objet de brimades inutiles et
l'administration ne s'adresse aux femmes de détenus ou de révoqués
que sous l'appellation
de Madame Veuve X...
Pourquoi cette humiliation à l'égard d'innocents.
Ceux qui sortent de prison ou qui n'ont pas été condamnés sont
chassés des entreprises à la demande des comités et sous menace de
grève.
Les femmes et les enfants sont l'objet des mêmes persécutions.
Combien de patrons n'ont-ils pas été l'objet de pression pour
qu'ils les chassent de leurs maisons.
A tous, on leur interdit de quitter la France afin qu'ils ne
puissent aller dire à l'étranger ce qu'est devenu le pays de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.
Les épurateurs n'ont reculé devant aucune ignominie. Certains ont
fait du chantage auprès des familles pour qu'elles abandonnent
ceux de leurs Membres épurés. Ils ont même fait pression auprès
des femmes pour qu'elles se
séparent de leurs maris.
Des fonctionnaires, morts depuis deux ou trois ans avant la
libération, ont
été
révoqués afin que leurs femmes ne puissent toucher leur pension.
D'autres
ont
eu leurs noms effacés sur les monuments des victimes du devoir.
Tous ceux qui sont seulement frappés d'une sanction administrative
jouissant
de
leurs droits civils et politiques se voient néanmoins frappés
d'inéligibilité parce que révoqués d'une fonction publique.
PAR DECRET EN DATE DU 16 JUILLET 1947, LE GOUVERNEMENT PRIVE DU
DROIT SACRE DE FAIRE INHUMER PRES D'EUX, LES CORPS DE LEURS
ENFANTS TOMBES POUR LA PATRIE, TOUS LES FONCTIONNAIRES REVOQUES
D'UN SERVICE
PUBLIC SI
CE SONT EUX QUI DECEDENT, LEURS FEMMES ET LEURS ENFANTS SE VOIENT
PRIVES DES MEMES DROITS.
Partout, c'est la haine qui les poursuit. Une haine stupide,
atroce, qui fait d'eux des parias, et c'est dans cette atmosphère
d'injustice, de délation et de persécution, que grandit une
jeunesse qui porte en elle la rancune et esprit de vengeance.
Est-ce ce que veut la France ?
L'ILLEGALITE DES ORDONNANCES D'ALGER
C'est,
dit-on, au nom de la raison d'Etat que les Ordonnances d'Alger
concernant l'épuration ont été prises. Gageons plutôt que c'est au
nom d'un clan politique, car la raison d'Etat, condamnée par tous
les professeurs de droit, ne devrait servir que les intérêts
supérieurs de la Nation. Or, en la circonstance, elle ne fait que
sauvegarder des intérêts particuliers.
Dans une allocution prononcée le 28 septembre 1949, le Pape n'a
pas hésité à déclarer «
qu'aucune raison d'Etat ne saurait prévaloir les droits
primordiaux de l'Homme ». Plus récemment, M. Robert Schumann,
Ministre oies Affaires Etrangères, réclamait devant l'O.N.U. le
respect des principes de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme et critiquait
«
les gouvernements qui violaient ces droits par certains procédés
judiciaires et policiers ».
Que fait la France en ce .moment ?
M. P. H. Teitgen n'a-t-il pas, lui aussi, lancé devant l'Assemblée
Européenne à Strasbourg, un appel urgent pour la protection des
Droits de l'Homme ?
Or, les Ordonnances d'Alger violent l'un des principes essentiels
de cette Déclaration
:
la non-rétroactivité des lois, que le bâtonnier Ribet condamnait
devant MM. Vincent Auriol et André Marie dans ces termes
:
< La non-rétroactivité des lois inscrite dans la Déclaration des
Droits de l'Homme est violée. La sérénité a fait place d la haine
et le
Journal officiel affirme
trop souvent dans ses colonnes le mépris des promesses les, plus
sacrées
de notre Vieille civilisation. »
Nous somme convaincus que ces hautes personnalités auront à cœur
de ne
pas se déjuger et qu'elles exigeront l'abrogation de ces
Ordonnances qui sont la
négation des principes affirmés.
L'EPURATION A ETE L'OEUVRE DE MAGISTRATS DE
COMPLEMENT
L'épuration qui constitue indéniablement le plus grand déni de
justice dés temps modernes, a jeté sur la justice un tel discrédit,
qu'il n'est plus France, un citoyen qui croit à l'indépendance de
cette institution.
Certes, des magistrats ont couvert de leur robe et de leur
autorité ces parodies de justice, mais il convient cependant de
souligner que ces parodies ont été, le plus souvent, l'oeuvre 'de
magistrats de complément, avocats sans causes, juristes médiocres
qui ont trouvé là l'occasion de manifester leurs talents. D'autre
part, si on en juge par les renseignements recueillis, certains
de ces magistrats ne seraient, de surcroît, Français que de
fraiche date, ce qui est beaucoup plus grave.
Quant à la composition des Commissions d'épuration et des Cours de
Justice, la presse nous fournit chaque jour des preuves de la
médiocre valeur de ces auxiliaires de la justice depuis Dordain,
de Récy à Kléber Ducrot.
Concluons par cette déclaration de M° de Moro-Giafféri
:
«
Le Juge doit détester le
crime, mais il n'a pas le droit de haïr le justiciable. Je veux
une justice qui statue sans haine et sans crainte, pour
l'honneur même du pays. »
Et disons que, pour notre part, nous avons connu des juges qui
ont jugé avec haine pour le déshonneur du pays et sans qu'aucun
parlementaire n'élève la voix pour condamner de telles méthodes.
LES SEQUELLES DE L'EPURATION
De tels manquements aux règles traditionnelles du droit
;
de telles atteinte à l'honneur et à la liberté d'inoffensifs
serviteurs du pays; sont graves, mais combien sont encore plus
graves les séquelles laissées dans l'administration par
l'épuration.
Aujourd'hui, le Gouvernement ne peut guère compter que sur 10 de
ses policiers — ceux qui ont lié leur sort aux puissants du jour.
Tous les autres sont préoccupés par la recherche de l'orientation
politique de la grande masse des Français et cherchent déjà à
prendre des gages du côté des futurs puissants. Le devoir
d'obéissance, la défense des libertés républicaines, sont
reléguées au second plan. Ils poursuivent le double-jeu qui a si
bien réussi à d'autres et ils passent leur temps à s'espionner, se
ficher et se combattre. La police se décompose lentement mais
sûrement. Elle s'écroulera et s'écrouera à la première occasion.
C'est du reste sans doute ce qui explique l'acharnement apporté
par certains membres du gouvernement en vue de créer une police
unique qui facilitera, demain, l'hégémonie de leur parti sur la
France.
Dans cette période grave, la crainte de l'avenir pour les
policiers est telle qu'ils préfèrent s'abstenir de toute activité.
L'exemple de 1944 reste présent aux yeux de ceux qui ont été les
exécutants ou les spectateurs de l'épuration.
Nous en trouverons une preuve dans la requête adressée en 1947 au
Préfet de Police par le Syndicat des Inspecteurs, dans laquelle on
lit
:
«.• L'étude attentive d'incidents passés et d'inconvénients
multiples survenus dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice
de leurs fonctions nous
a
amenés à désirer pour les Inspecteurs des Renseignements généraux
et plus particulièrement pour ceux qui sont affectés aux brigades
politiques, un statut qui
déterminerait très
exactement leur rôle et définirait très exactement leurs
attributions.
« Il serait naturel que l'administration prenne ses
responsabilités vis-à-vis de ceux qui sont chargés du service
«
Informations politiques et sociales » et fixe, par un arrêté, une
circulaire formelle ou un ordre de mission, ses exigences sur
leurs activité.
« L'épuration a prouvé qu'en maintes occasions, les punitions
infligées à des Inspecteurs des R.G. étaient le résultat de
vengeances politiques die fait qu'ils avaient été chargés
d'enquêter sur des politiciens ou sur les activités d'un parti.
« Un passé récent a démontré que les
«
faits justificatifs » énoncés par le droit français, étaient
restés sans effet dans la plupart des cas ci il s'est agi de
déterminer le degré de culpabilité des Inspecteurs des
Renseignements
Généraux traduits devant
les Cours de Justice. »
Cette requête prend une saveur particulière quand on sait qu'elle
émane des épurateurs les plus zélés qui, aujourd'hui, avouent
inconsciemment, avoir agi par vengeances politiques.
Devant la carence de ses services, le Préfet LUIZET, Préfet de
l'épuration, était amené à donner satisfaction à cette requête en
faisant savoir aux intéressés que
:
— désormais tout rapport d'Inspecteur ayant trait à des faits
politiques serait dactylographié sans qu'aucune référence soit
produite, l'original étant remis à son auteur pour être détruit
;
— tout rapport transmis au Ministre de l'Intérieur, à d'autres
Ministres ou tout autre organisme officiel, le sera sous forme de
note impersonnelle, sans indication d'origine.
Pour insignifiante qu'elle paraisse, cette mesure est d'une
gravité exceptionnelle parce qu'elle permet à tout policier de
fournir sur ses adversaires
politiques des renseignements erronés et cela sans aucun contrôle.
Demain,
des hommes politiques, des militants, pourront être accusés des
pires méfaits sans qu'il leur soit possible de connaître leurs
accusateurs ni d'être confrontés
avec eux. Il n'est pas un parlementaire qui ne comprendra la
gravité d'une telle mesure qui peut, à tout moment, faire peser
sur lui les menaces les plus graves.
Mais il ne s'agit là que d'un aspect de la mentalité actuelle de
la police. Il en est un autre que nous révèle M. Sicot, Inspecteur
Général au Ministère de l'Intérieur, dans un article publié dans
le Bulletin de l'Association amicale des
•
Fonctionnaires de la Sûreté nationale.
«
Les impérieuses nécessité de la Résistance,
écrit-il firent prendre à
notre jeunesse des habitudes qui étaient éminemment louables
durant l'occupation,
mais qui ne sont plus de mise aujourd'hui et compromettent la
situation de la France à l'étranger. Quand et comment
parviendrons-nous à extirper de l'esprit des jeunes le goût du
mensonge et de la combine que nous avons tous, en somme, plus
moins contribué à leur inculquer. Le drame est là.
«
Si l'administration française ébranlée par la guerre, l'occupation
et la nécessaire épuration a bénéficié de l'apport de nouveaux
éléments d'une
valeur morale, civique et technique incontestables, elle a
également souffert
et elle continue à pâtir d'un renfort trop considérable de
néophytes, venus; sous des pseudonymes et des états-civils
d'emprunt, s'ajouter au corps des
auxiliaires, agents contractuels et chargés de mission, institués
par Vichy. »
N'est-ce pas parmi ces néophytes aux noms d'emprunt, que figurent
les plus zélés épurateurs ? N'est-ce pas parmi eux que se sont
également
manifestés les fonctionnaires les plus véreux qui ont été mêlés
aux récents scandales qui ont éclaboussé la police française ?
C'est alors que l'on comprend toute la signification de cet aveu
d'un vieux commissaire de police
:
LES HONNETES GENS ONT PLUS PEUR DE NOUS QUE DES GANGSTERS. »
Cette crise de moralité a encore été aggravée par la loi sur le
dégagement des cadres qui a chassé de l'administration d'honnêtes
fonctionnaires et maintenu en activité les tarés.
Ainsi, des incapables, des véreux, ont été maintenus en activité
parce que les sanctions dont ils avaient été l'objet ne se
rapportaient pas à l'épuration et les autres chassés. Peut-être
comprendra-t-on pourquoi les bandits tiennent le pavé.
L 'AVIS DES EPURATEURS
Nos adversaires seront sans doute tentés de dire que les arguments
invoqués par nous sont sans valeur et ne constituent qu'un
plaidoyer en notre faveur. Nous tenons à leur disposition les
multiples articles publiés à ce sujet dans leurs propres journaux.
VERS UN FONCTIONNARISME POLITIQUE
L'épuration a été, en réalité, la création d'un fonctionnarisme
politique. Aujourd'hui, le policier n'a plus le souci de défendre
la Nation mais les intérêts particuliers de son parti. Son
attitude à l'égard de tel ou tel Ministre laisse présager ce
qu'elle sera le jour où le pays aura décidé de s'orienter dans
telle ou telle activité politique nouvelle.
Une nation libre ne peut concevoir une telle action de ses
serviteurs. Ceux-ci doivent, sous le contrôle du gouvernement
légal, servir le pays et non tel ou tel clan, ce qui n'est pas le
cas actuellement et c'est ce qui laisse entrevoir des
jours sombres pour ceux
qui auront demain la lourde mission de présider au destinées de la
Nation.
LA PERSISTANCE DANS L'ARBITRAIRE
M. René MAYER, Ministre radical de la Justice, vient de déposer
sur le bureau de l'Assemblée, un projet de loi d'amnistie dans
lequel les fonctionnaires sont exclus de toutes mesures de
réhabilitation et de réparation.
Ce texte apparaît immédiatement au Français le plus profane en
science juridique, comme une monstrueuse hypocrisie qui n'a
d'autre but que de faire accepter par le Parlement, une loi qui,
sous couvert d'une mesure de "
clémence et de Pardon
", sera, en fait, une loi répressive, qui porte atteinte aux
libertés républicaines.
Ce texte, comme les Ordonnances d'exception, est dans la plus pure
tradition du droit nazi. Il place un clan au-dessus des lois et
lui donne tous les pouvoirs pour opprimer ceux qu'il considère
comme ses adversaires, parce qu'ils protestent contre les
injustices dont ils ont été victimes et demandent réparation.
Qu'on ne s'y trompe pas; ce projet porte en lui des éléments de
nature à inciter à la réflexion les parlementaires soucieux de la
défense du droit d'expression et d'association qui sont à la base
des libertés républicaines, parce que demain peut-être, ces textes
se retourneront contre ceux qui les auront votés. Des exemples
récents devraient, en tout cas, leur donner à réfléchir.
L'Ordonnance du 14 août 1945 prise dans le même esprit de
parti-pris, n'a-t-elle pas été récemment appliquée à l'écrivain
communiste Aragon et
à
des militants syndicalistes ? Or, à son origine, elle ne visait
que les prétendus collaborateurs. Le choc en retour est un
phénomène politique bien connu et nous en trouvons là un cas
typique.
CONCLUSION
Qu'on nous comprenne bien. En dressant le tragique bilan de
l'épuration de la Police, nous n'avons pas cherché à discréditer
la Résistance, celle qui n'avait d'autre but que la défense de la
Nation. Chacun de nous n'a-t-il pas, à sa place et selon ses
possibilités, apporté son concours à la protection et à la défense
de ses compatriotes persécutés ?
Sur ce point, nous partageons l'avis du Chanoine DESGRANGES qui
écrivait en préface à son livre
«
Les Crimes masqués du Résistentialisme
»
:
«
Il doit être hautement affirmé au seuil
de ce livre que
l'auteur n'y attaque en
aucune façon l'authentique et glorieuse résistance. Il n'en
a qu'au Résistentialisme,
cette abominable exploitation de la vraie résistance au profit
de certain partis
politiques et de ta plus éhontée des camaraderies... il entend
seulement dénoncer l'œuvre
néfaste, les crimes masqués des imposteurs, des profiteurs et
usurpateurs qui, par leurs iniquités, leurs vengeances inexorables
et leurs scandaleuses spoliations ont décimé toute une élite
française et tenté de dissocier la conscience elle-même de la
Patrie dont le salut
a
coûté tant de sang d nos martyrs.
»
L'Amicale des Anciens Fonctionnaires de la Police française, qui
compte dans ses, rangs d'authentiques résistants, s'associe à
l'hommage rendu à la vraie Résistance, mais elle a aussi des
devoirs envers les victimes de l'épuration, leurs familles, la
vérité historique, envers la France, qui a si longtemps incarné la
Justice.
C'est donc aux profiteurs du résistentialisme que nous nous en
prenons. A ceux qui ont perverti l'idée de justice qui est le
propre de tous les pays civilisés.
C'est aussi à ces Ordonnances d'Alger qui ont faussé la conception
du droit en assurant l'impunité à des hommes qui, sous couvert de
la Résistance, se sont livrés aux plus effroyables
massacres, à la spoliation, à la destruction de l'édifice
administratif, militaire, économique et politique de la Nation. A
ces Ordonnances qui ont
livré aux appétits, aux vengeances d'aventuriers,
pour la plus grande partie étrangers, des Français sans défense
sous prétexte qu'ils n'avaient pas prêté serment d'allégeance à
Alger.
À ces ordonnances qui
ont
—
institué le « crime d'obéissance » pour les fonctionnaires,
—
fait de la délation et de la haine un « devoir national »,
—
violé les principes traditionnels du droit français et de la
Déclaration des Droits de l'Homme à laquelle la France a adhéré,
et dans laquelle
on lit
:
« Tout individu
a
droit à la vie, à la liberté,
à
la sécurité de
sa personne. » (dixit M. Cassin).
DROIT A LA VIE ?
Toutes ces exécutions sommaires préparées, ordonnées et exécutées
sur l'ordre de gens sans pouvoir ni mandat pour ce faire.
DROIT A LA VIE ?
L'institution de cette déchéance appelée « indignité nationale »
qui prive précisément celui qui en est frappé des moyens propres à
assurer sa vie et celle de sa famille.
DROIT A LA VIE ?
Ces interdictions faites aux patrons par les responsables des
organisations syndicales, d'embaucher des Français ayant été
inquiétés par l'épuration même lorsqu'ils n'ont été frappés
d'aucune sanction.
DROIT A LA LIBERTE ?
Ces arrestations arbitraires, ces détentions illégales,
ces internements
abusifs, ces révocations faites par des fonctionnaires d'autorité
ou de justice dont la mission traditionnelle est précisément de
faire respecter la loi et d'assurer la liberté des gens.
DROIT A LA LIBERTE ?
Cette interdiction qui est faite aux épurés de quitter la France
s'ils le désirent.
DROIT A LA SECURITE DE SA PERSONNE ?
Les viols, violences exercées à l'encontre de malheureux sans
défense.
A ces Ordonnances qui ont violé des principes fondamentaux du
droit français et l'article 14 de la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme qui est ainsi conçu : «
Nul ne peut être poursuivi
qu'en vertu d'une loi promulguée antérieurement au
délit. LA LOI QUI PUNIRAIT
DES DELITS COMMIS AVANT QU'ELLE EXISTAT SERAIT UNE TYRANNIE,
L'EFFET RETROACTIF DONNE A LA LOI SERAIT UN CRIME. »
Maitre Maurice Garçon déclarait en novembre 1945
:
« On n'assure la paix
publique qu'en rétablissant le cours normal de la Justice. »
La Justice à l'heure présente c'est la révision de tous les
dossiers des gens injustement frappés par l'épuration et la
réparation des abus commis. Ensuite,
ce sera l'amnistie et
le pardon pour les coupables.
La France a connu au cours de son histoire des heures
douloureuses. Des injustices ont été commises sous tous les
régimes mais il est à l'honneur des hommes qui ont assumé la
responsabilité du pouvoir d'avoir compris que le pays ne pouvait
pas vivre dans un état perpétuel de guerre civile.
Depuis 404, date où est né le mot amnistie, tous les pays et tous
les régimes ont été amenés à prendre de semblables mesures. Seuls
les pays totalitaires y restent hostiles, encore que Franco et
Tito ont récemment libéré des détenus politiques.
Aujourd'hui, siègent au Parlements des hommes qui ont bénéficié de
cette faveur. Pourquoi la refuser à des Français qui n'ont commis
d'autres délits que le
«
crime d'obéissance » ?
L'INGRATITUDE D'UNE NATION
A L'EGARD DE SES SERVITEURS EST UNE MAUVAISE LEÇON D'HISTOIRE.
Amicale des anciens fonctionnaires de la police Française
2, rue Vide-Gousset -
Paris 2°
Impr. St-Denis,
86, fg St-Denis, Paris
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